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Projet de loi 66 : Me Nikolas Blanchette invité à commenter le projet de loi à titre d’avocat spécialiste en droit de l’expropriation

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Bulletin litiges et résolution de conflits

Le 23 septembre dernier, le gouvernement du Québec déposait le projet de loi 66 intitulé « Loi concernant l'accélération de certains projets d'infrastructure » (le « PL66 »), nouvelle mouture de l'ancien projet de loi 61 hautement controversé. Le PL66 prévoit des mesures permettant d'accélérer certains projets d'infrastructure précis et ciblés par le gouvernement en prévoyant certaines mesures d'accélération en matière d'expropriation, lesquelles mesures ne touchent que les projets visés à l'Annexe I du PL66[1]. Son application est donc limitée et ne constitue pas une réforme ou une modification majeure de la Loi sur l'expropriation (RLRQ, c. E-24) (la « Loi »).

Les 20, 21, 22 et 27 octobre 2020 se tenaient les consultations particulières de la Commission des finances publiques de l'Assemblée nationale (la « Commission ») sur le PL66, étape précédant l'étude détaillée du projet de loi. Dans le cadre de ces consultations, Me Nikolas Blanchette a été invité à titre d'avocat spécialiste en droit de l'expropriation dans le but de commenter les mesures d'accélération proposées par le législateur et concernant plus spécifiquement l'accélération des procédures d'expropriation et la réduction des délais liés aux contestations judiciaires y afférentes. Visionnez ici l'intervention complète de Nikolas Blanchette devant la Commission des finances publiques de l'Assemblée nationale. Suite à son passage devant la Commission, il a été cité lors de la séance parlementaire du 29 octobre 2020 à l'Assemblée nationale.

Dans le cadre de cette intervention, un mémoire fut déposé devant la Commission dans lequel Me Blanchette commente la légalité et l'opportunité de certaines mesures mises de l'avant par le PL66. Ainsi, six recommandations ont été faites à la Commission, lesquelles portent principalement sur :

  • le retrait du droit de contestation prévu à l'article 44 de la Loi;
  • l'ingérence du pouvoir législatif dans des procédures judiciaires en cours devant les tribunaux;
  • la fixation de l'indemnité provisionnelle par le ministre des Transports, et ce, de façon discrétionnaire et sans débat contradictoire; et
  • les mesures de remboursement et de compensation des frais et dépenses engagées par les parties expropriées dont les contestations judiciaires sont arrêtées par les effets rétroactifs du PL66.

Le retrait du droit de contestation envisagé comme une mesure d'accélération

Dans sa forme actuelle, le PL66 propose de retirer aux parties expropriées le droit de contester leur expropriation comme le prévoit présentement la Loi à son article 44. Or, et comme l'a souligné la jurisprudence[2], retirer un pouvoir de contestation contenu dans une loi procédurale n'aurait pas pour effet de retirer la possibilité pour la partie expropriée de contester son expropriation par voie de pourvoi en contrôle judiciaire devant la Cour supérieure.

En effet, retirer toute forme de contestation, y compris le contrôle judiciaire que peut exercer la Cour supérieure en vertu de son pouvoir général de surveillance et de contrôle, serait potentiellement problématique sur le plan constitutionnel. C'est d'ailleurs la mise en garde qui découle du jugement rendu par l'Honorable Michel Yergeau, j.c.s. dans le cadre d'une contestation judiciaire entourant la loi spéciale adoptée pour la construction du Réseau électrique métropolitain (le « REM »)[3].

Par ailleurs, il est possible que « forcer » les parties expropriées à contester leur expropriation par voie de contrôle judiciaire ait l'effet inverse que celui souhaité par le législateur, à savoir réduire, voire éliminer, les délais relatifs aux contestations judiciaires en matière d'expropriation. En retirant aux parties expropriées le bénéfice du régime applicable en vertu de l'article 44 de la Loi, dont notamment la suspension automatique des procédures d'expropriation prévue à l'article 44 al. 2 de la Loi, celles-ci devront en sus de leur contestation demander à la Cour supérieure le sursis de la procédure d'expropriation afin d'éviter une prise de possession avant jugement final au fond[4].

L'ingérence du pouvoir législatif sur les instances judiciaires en cours dans le cadre du projet de prolongement de la ligne bleue

Actuellement, le PL66 a pour effet de court-circuiter des procédures de contestation judiciaire en cours devant les tribunaux dans le cadre bien spécifique du projet de prolongement de la ligne bleue du métro de Montréal. Bien que la rétroactivité d'une loi soit une mesure législative possible, elle demeure néanmoins problématique.

Contrairement aux lois spéciales adoptées pour la construction du REM ou encore la construction du Réseau structurant de transport en commun de la Ville de Québec[5], lesquelles ont été adoptées en amont des projets, le PL66 est déposé alors que le projet de prolongement de la ligne bleue est déjà en cours et que des contestations judiciaires sont déjà pendantes devant les tribunaux. Le PL66 pourrait être d'application immédiate et non d'application rétroactive, et ce, à présumer que le législateur choisisse de maintenir sa décision de retirer le droit de contestation aux parties expropriées.

La fixation de l'indemnité provisionnelle de façon discrétionnaire par le ministre

En matière industrielle, commerciale et agricole, le PL66 propose de remettre entre les mains du ministre des Transports la compétence exclusive de fixer l'indemnité provisionnelle payable par la partie expropriante, laquelle compétence est présentement dévolue au Tribunal administratif du Québec (le « TAQ »). Cela comporte certains risques de voir des indemnités provisionnelles fixées à des montants trop faibles eu égard au préjudice parfois considérable que subissent les parties expropriées[6]. Le législateur aurait sans doute intérêt à maintenir la possibilité d'un débat contradictoire devant le TAQ, tribunal spécialisé, de manière à s'assurer que les parties expropriées sont adéquatement indemnisées pour la période comprise entre la prise de possession du bien et la fixation de l'indemnité définitive.

Les mesures de remboursement et de compensation des frais et dépenses engagés  

Le législateur propose également certaines mesures visant à rembourser les parties expropriées des frais de justice et dépenses engagés dans le cadre de leur contestation. Le PL66 prévoit également une compensation pour les frais d'avocats payés et le temps investi par ces parties dans le cadre de leur contestation judiciaire. Or, le PL66 tel qu'actuellement rédigé ne donne aucune balise ni encadrement clair quant à l'application de ces mesures, laissant ainsi place à d'éventuels débats devant la Cour supérieure. De tels débats ne sont pas souhaitables dans la mesure où l'objectif du législateur est de limiter, voire éliminer complètement, les procédures devant les tribunaux en raison des projets d'infrastructure qu'il cible. Un meilleur encadrement et de meilleures balises d'application de ces mesures de remboursement et de compensation pourraient possiblement limiter les possibilités de débat sur cette question.

Prochaines étapes

Les consultations particulières ont pris fin le 27 octobre 2020 et ont donné lieu au dépôt de plus de 40 mémoires provenant d'une multitude d'intervenants concernés par le PL66, et ce, à tous égards. Il sera fort intéressant de suivre la progression des travaux de l'Assemblée nationale en vue de l'adoption du PL66 à la lumière des diverses recommandations formulées sur les mesures d'accélérations proposées, notamment celles en matière d'expropriation.

Le texte complet du mémoire déposé devant la Commission le 27 octobre 2020 est disponible ici.


 


[1] Le PL66 vise un total de 181 projets d'infrastructure répartis dans l'ensemble de la province, contrairement à 202 projets que visait le précédent projet de loi 61.

[2] 8811571 Canada inc. c. Procureure générale du Québec, 2018 QCCS 4554 (demande pour permission d'appeler rejetée : 2018 QCCA 865).

[3] Loi concernant le réseau électrique métropolitain, RLRQ, c. R-25.02.

[4] Article 530 al. 2 C.p.c.

[5] Loi concernant le réseau structurant de transport en commun de la Ville de Québec, RLRQ, c. R-25.03.

[6] Une telle démonstration émane notamment de l'affaire P.G.Q. /Ministre des Transports c. 167465 Canada inc., 2016 QCTAQ 02801. 

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  • Vincent Belley, Avocat, Montréal, QC, +1 514 397 5198, vbelley@fasken.com

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