Introduction
Depuis plus d’un demi-siècle, la mondialisation a façonné l’économie mondiale. La libéralisation du commerce, sous la forme d’accords de libre-échange (ALE), constitue une pierre angulaire de la mondialisation économique.
Depuis la crise financière de 2008-2009, la communauté internationale a observé attentivement l’évolution de la mondialisation et s’est finalement divisée en deux camps idéologiques opposés. Le premier camp, regroupant les défendeurs du nativisme, du populisme, du nationalisme économique et du protectionnisme, cherche à infléchir la mondialisation. L’autre camp, composé de pays comme l’Allemagne, la France, le Japon, la Corée du Sud et le Canada, entre autres, est favorable à une réforme de la mondialisation.
Tout en continuant à chercher des moyens d’étendre la libéralisation du commerce par de nouveaux accords commerciaux, le camp réformiste vise à promouvoir la dimension sociale ainsi que celle du travail de la mondialisation. La croyance sous-jacente des réformistes est que l’atténuation, voire l’éradication, de la « dette sociale » reconnue comme faisant partie intégrante de la mondialisation (et principale source du mécontentement palpable actuel) redonnerait un second souffle à la mondialisation, désarmant ainsi les forces qui favorisent le renversement de notre système économique mondial.
Du point de vue des réformistes, l’atteinte d’un juste équilibre entre le développement économique et le progrès social constitue une composante essentielle à la survie de la mondialisation. Selon ce camp idéologique, la mondialisation peut être durable si les dimensions économiques et sociales parviennent à cohabiter harmonieusement.
Un exemple concret : l’Accord Canada-États-Unis-Mexique (l’« ACÉUM ») ou (l’« Accord »)
Où peut-on trouver un exemple illustrant le cheminement vers un système mondial durable grâce à l’harmonisation des composantes économiques et sociales ? Pour les Canadiens, il n’est pas nécessaire de regarder plus loin que la conclusion du récent Accord Canada-États-Unis-Mexique (ACÉUM), soit l’accord commercial nord-américain entré en vigueur le 1er juillet 2020. Une brève comparaison entre le contenu social de l’Accord de libre-échange Nord-Américain (ALÉNA) en 1994 et celui de l’accord le remplaçant vingt-cinq ans plus tard permet d’illustrer ce point.
1. ALÉNA : 1994
En 1994, la rédaction de l’ALÉNA avait pris place sans l’inclusion de quelconque norme sociale ou de travail reconnue au niveau international. En effet, la Déclaration de l’OIT relative aux principes et droits fondamentaux au travail (la « Déclaration fondamentale ») était entrée en vigueur seulement quatre ans après l’ALÉNA. En conséquence, l’obligation des États signataires, soit le Canada, les États Unis et le Mexique, était simplement de maintenir et d’appliquer les lois nationales pertinentes alors en œuvre sur leur territoire.
Il convient de noter que les dispositions relatives aux affaires sociales et au travail, au sein de l’ALÉNA, ne figurent pas dans le corps du texte, mais plutôt dans un « accord parallèle » connu sous le nom d’Accord nord-américain de coopération dans le domaine du travail (l’« ANACT »). L’ANACT, bien que jouant un rôle éducatif utile, proposait peu de mesures concrètes, et la dimension sociale de l’ALÉNA s’était finalement avérée quasi inexistante.
2. ACÉUM : 2020
Un examen de l’ACÉUM récemment promulgué révèle un tout autre scénario par rapport à l’ALENA — un scénario conforme à la proposition selon laquelle le progrès social, associé au progrès économique, est l’un des principaux axes des accords commerciaux contemporains.
Dans un premier temps, les dispositions sociales de l’ACÉUM figurent dans le corps du texte. Le chapitre 23 sur le travail prévoit des obligations légales larges pour les trois territoires signataires qui sont centrées sur la Déclaration fondamentale de l’OIT. Les dispositions de l’ACÉUM sur le travail interdisent par ailleurs l’importation, par les trois États signataires, de biens produits, en tout ou en partie, par le travail forcé ou obligatoire, y compris le travail des enfants.
Qui plus est, en cas de violation des dispositions du chapitre sur le travail par un pays signataire, des poursuites peuvent être engagées dans le cadre du mécanisme de règlement des différends prévu par l’ACÉUM (chapitre 31), pouvant aller jusqu’à l’imposition de sanctions commerciales proportionnelles en cas de non-conformité persistante.
L’ACÉUM s’aventure également sur un terrain inexploré en matière d’entente commerciale qui dépasse le processus systémique habituel de relations gouvernement à gouvernement, en élaborant des dispositions précises visant à réformer les droits des travailleuses et travailleurs, et le système régissant les relations de travail au Mexique. Ces dispositions précises, abordées plus en détail ci dessous, sont nouvelles et leurs modalités d’application doivent encore être définies et approuvées.
L’une des annexes de l’ACÉUM vise spécifiquement la représentation des travailleurs dans les négociations collectives au Mexique et prévoit que l’État devra modifier son système en matière de relations de travail afin de permettre aux travailleurs de s’associer librement et de négocier collectivement dans des conditions équitables (conformément à la Déclaration fondamentale de l’OIT). Afin de renforcer davantage les exigences en matière de travail imposées au Mexique par l’ACÉUM, deux annexes bilatérales supplémentaires (l’une entre le Canada et le Mexique et l’autre entre les États-Unis et le Mexique) ont été jointes au chapitre sur le règlement des différends (chapitre 31) et sont intitulées « Mécanisme de réaction rapide applicable à des installations particulières » (le « MRRIP »).
Le MRRIP permet de déployer des groupes d’experts en matière de travail pour déterminer si les installations visées sont conformes aux exigences imposées au Mexique en matière de liberté d’association et de négociation collective. Si le groupe d’experts désigné constate la non-conformité de cette installation et que cette non-conformité persiste, des sanctions commerciales proportionnelles peuvent être imposées.
La liste des experts en matière de travail, de chacun des trois États, ainsi qu’une première élaboration du processus entourant le MRRIP, est présentée dans la décision no 1 (datée du 2 juillet 2020) de la Commission du libre-échange établie en vertu des dispositions de l’ACÉUM.
Conclusion
Les dispositions relatives au travail énoncées dans l’ACÉUM constituent une démarche ambitieuse visant à renforcer le contenu social de cet important accord de libre-échange régional. En conséquence, l’ACÉUM établit un précédent dans le cadre d’un accord commercial contemporain qui allie l’intégration économique à grande échelle, au-delà des multiples frontières nationales, à un réel progrès social. L’ACÉUM intervient alors que le commerce mondial — après des décennies de croissance remarquable, pratiquement ininterrompue — est en déclin depuis peu, avec une chute précipitée provoquée par les effets économiques de la COVID-19 en 2020. Toutes les nations, y compris le Canada, s’affairent actuellement à la tâche colossale de redresser leur économie nationale ainsi que le système économique mondial. À ce moment-ci, la question qui se pose est la suivante : l’ACÉUM, dont la mission est de favoriser le développement économique et le progrès social — dans le cadre de la recherche d’un équilibre judicieux entre les deux — oriente t il le monde vers la structure architecturale du prochain ordre mondial ? Seul le temps nous le dira.