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Le tribunal refuse d’accorder une injonction obligeant une ex-employée à supprimer ses messages dans lesquels elle accuse son ancien employeur de racisme sur les médias sociaux

Fasken
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Bulletin travail, emploi et droits de la personne | L'Espace RH

Les médias sociaux offrent des plateformes sur lesquelles les utilisateurs peuvent partager leur vie, leurs opinions et leurs points de vue. Il arrive aussi que ces plateformes soient utilisées par des employés pour partager la manière dont ils ont été traités lorsqu’ils étaient employés d’une entreprise et pour exprimer ce qu’ils pensent de leur employeur. La portée de ces déclarations peut être considérable et, si elles sont négatives, elles peuvent nuire à la réputation de l’employeur. La récente décision d’un tribunal ontarien (en anglais seulement) démontre à quel point il peut être difficile pour un employeur d’obtenir une ordonnance d’injonction visant la suppression de messages prétendument diffamatoires sur les médias sociaux.

Les faits

Une employée a été congédiée par une entreprise, prétendument en raison de son attitude hostile, de son rendement à la baisse et des dommages qu’elle aurait causés aux biens des clients. L’employée, pour sa part, croyait avoir été congédiée en raison de son soutien au mouvement Black Lives Matter (BLM).

Par suite de son congédiement, l’employée a publié sur Twitter et Instagram des messages alléguant qu’elle avait été congédiée en raison de son soutien au mouvement BLM. Elle a affirmé que les propriétaires de l’entreprise étaient racistes et qu’ils proféraient des insultes racistes. Elle prétendait également que la seule chose qui intéressait l’entreprise était de profiter de la culture noire. Elle écrivait aussi que l’entreprise était un mauvais employeur.

L’entreprise et ses propriétaires ont intenté un recours en diffamation contre l’ex-employée. Avant le procès, les propriétaires ont demandé une injonction au tribunal visant à forcer l’employée à supprimer les publications contenant les allégations de racisme des médias sociaux et de s’abstenir de publier des messages similaires dans le futur.

La décision

La juge a refusé d’accorder l’ordonnance d’injonction, ajoutant que le recours à ce type d’injonction était rarement accordé dans des dossiers de diffamation. L’ordonnance aurait pu être rendue si des critères stricts avaient été respectés :

  1. il doit y avoir une diffamation claire;
  2. s’il y a une intention de défendre les allégations comme essentiellement vraies ou comme commentaire loyal, il doit être claire que la défense de justification sera dépourvue de succès;
  3. il doit y avoir un préjudice irréparable si l’injonction n’est pas accordée.

Le seuil élevé de ce critère reflète l’importance de protéger la liberté d’expression, particulièrement lorsque les enjeux touchent l’intérêt public. La juge a mentionné qu’il était dans l’intérêt du public d’être informé au sujet de l’entreprise (notamment sa position sur des enjeux politiques et sociaux et la manière dont elle traite ses employés) pour que le public soit en mesure de décider s’il souhaite soutenir l’entreprise en payant pour ses services.

La juge a convenu que le fait de qualifier une personne ou une entreprise d’être raciste peut être diffamatoire. Toutefois, en examinant la preuve déposée, la juge a mentionné qu’il était possible de prouver que les énoncés étaient essentiellement vrais ou qu’ils pouvaient être perçus comme des commentaires loyaux. En particulier, la juge a rejeté l’argument de l’entreprise selon lequel une personne ne pouvait pas en toute honnêteté exprimer l’opinion que l’entreprise et ses propriétaires étaient racistes et qu’au mieux, les messages publiés sur les réseaux sociaux pourraient indiquer que l’employée avait subis un mauvais traitement dans le cours de son emploi. La juge a répondu que cet argument passait sous silence les expériences vécues par les communautés racisées, qui sont plus sensibles et conscients des actes de racisme, directs ou passifs. La juge a poursuivi en affirmant que le vécu des personnes noires, autochtones et/ou issues d’autres communautés racisées qui ont été victimes de racisme en milieu de travail ne peut être ignoré lors de l’évaluation de la défense de commentaire loyal – et qu’agir autrement serait une injustice. Ignorer ce vécu, selon les écrits de la juge, reviendrait à « oublier le racisme systémique que [ces communautés] ont subi et continuent de subir dans leurs milieux de travail – des expériences qui peuvent être vues de manière différente par des personnes qui ne sont pas membres d’une communauté racisée » [traduction].

Étant donné que la juge n’a pas été en mesure de déterminer que la défense de justification et de commentaire loyal serait inévitablement un échec, elle a refusé d’accorder l’injonction.

Points à retenir pour les employeurs

Cette affaire a été tranché sur la base de la preuve écrite déposée par les deux parties. La preuve de part et d’autre était souvent contradictoire et n’a pas été mise à l’épreuve d’un contre-interrogatoire. Ce qui ressort de ce dossier est que les parties avaient des opinions très différentes sur ce qui s’était passé sur les lieux de travail et sur la signification de ces événements. La juge a reconnu que ce pouvait être dû, au moins partiellement, au regard différent que les parties ont posé sur les événements, étant donné leur vécu respectif. La juge était prête à considérer les expériences vécues par les personnes issues de communautés racisées lors de son évaluation de la défense de commentaire loyal contre les allégations de diffamation concernant les commentaires racistes.

Cette affaire illustre bien le fait que le tribunal accueillera une demande d’injonction avant le procès pour forcer une employée à supprimer des messages prétendument diffamatoires qu’elle a publiés en ligne uniquement dans les cas les plus évidents. L’une des façons de réduire les risques d’être la cible de déclarations publiques similaires est de traiter tous ses employés de manière équitable, avec respect et dignité. Ceci inclut de se familiariser avec les expériences et les perspectives différentes des employés et de prendre des mesures actives pour lutter contre le racisme et la discrimination en milieu de travail. Cela ne signifie pas que les employeurs ne peuvent pas agir en présence de réels problèmes concernant le rendement d’un employé ou en cas d’inconduite, mais qu’ils devraient toujours faire preuve d’équité et de bonne foi lorsqu’ils agissent.

Si vous avez des questions, veuillez communiquer avec l’auteur(e) du bulletin ou avec votre avocat(e) de Fasken. 

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