Une récente affaire du Tribunal des droits de la personne de l’Ontario[1]aborde la question des préjugés sexistes inconscients à l’égard d’une femme en position de leadership dans un milieu de travail à prédominance masculine, de la façon dont ces préjugés peuvent freiner, voire contrer, l’avancement professionnel, et des conséquences de l’absence d’enquête sur les préoccupations soulevées par ces femmes.
Que s’est-il passé?
La demanderesse était chirurgienne cardiaque et chef du Service de chirurgie cardiaque du défendeur de 2009 à 2016. Elle y travaillait depuis le début des années 1990. À l’époque pertinente pour la demande, elle était la seule femme à la tête d’un service de chirurgie cardiaque au Canada.
Au début de l’année 2014, le chirurgien en chef par intérim a nommé un autre médecin pour procéder à un examen du service de la demanderesse en raison des « critiques » et du mécontentement d’au moins deux membres du personnel concernant la façon dont le service était géré et le style de leadership de la demanderesse. Quand elle a en été informé, la demanderesse a réclamé des précisions concernant chacun des problèmes, et elle a commencé à enregistrer les conversations qu’elle tenait. Le chirurgien en chef par intérim a déclaré qu’il n’avait jamais eu de problèmes avec la demanderesse et qu’il pensait qu’elle avait fait du bon travail. Il a déclaré qu’elle n’était pas « du genre à mettre des gants blancs » et a suggéré que l’examen pourrait conclure qu’elle devait « adoucir un peu son approche avec les gens ».
La demanderesse a interrogé la personne chargée de l’examen sur ce qui avait motivé ledit examen. Cette dernière a indiqué qu’elle n’avait pas ces détails. La demanderesse a abordé directement auprès de la personne chargée de l’examen la question des stéréotypes et des préjugés à laquelle sont confrontées les femmes en position de leadership, et plus particulièrement de la manière dont le fait d’être une femme directe et affirmée (traits de caractère utilisés pour la décrire) pourrait jouer en sa défaveur comme femme en position de leadership
. La personne chargée de l’examen a essentiellement ignoré les motifs et est simplement passée à un autre sujet.
Dans un rapport écrit final, une section confidentielle contenait les commentaires d’un « grand groupe » sur le style de leadership et de communication de la demanderesse, allant de « microgestionnaire » à « intimidatrice » en passant par « froide » et « dictatrice ». La seule recommandation contenue dans le rapport à l’intention de la demanderesse concernait son style de communication qui devait être amélioré. Lorsque le chirurgien en chef par intérim a rencontré la demanderesse pour discuter du rapport, celle-ci a de nouveau soulevé la question des défis que représente le fait d’être une femme en position de leadership et le fait que la personne chargée de l’examen n’a pas tenu compte de cette question.
Par la suite, un nouveau chirurgien en chef a été nommé. Celui-ci s’est appuyé sur cet examen, du moins en partie, au moment de prendre la décision de ne pas renommer la demanderesse et d’afficher son poste. La demanderesse n’a pas postulé. Par contre, cela l’a incitée à envoyer un courriel à un spécialiste des droits de la personne et de l’inclusion sur le lieu de travail des défendeurs, l’informant qu’elle pensait que les préjugés à l’égard des femmes en position de leadership avaient joué un rôle dans sa situation. Au cours de son intervention, le spécialiste n’a jamais interrogé la demanderesse au sujet de la déclaration faite dans son courriel.
La demanderesse a déposé une requête auprès du Tribunal des droits de la personne de l’Ontario alléguant une discrimination fondée sur le sexe contraire au Code des droits de la personne (le « Code »).
Le Tribunal a déterminé que les défendeurs ont commis trois violations distinctes des droits protégés de la demanderesse en vertu du Code. Tout d’abord, la demanderesse a été lésée par le fait que l’organisation n’a pas correctement pris en compte le rôle que le sexe a pu jouer dans les observations sur son leadership dans le cadre de l’examen. Il s’agissait d’une violation de ses droits en vertu du Code. Le Tribunal a déclaré que l’organisation avait l’« obligation de veiller à ce que toute personne effectuant un examen du leadership de la demanderesse, dans le contexte d’un milieu de travail à prédominance masculine, tienne dûment compte du rôle que joue le sexe dans la perception des femmes dans les rôles de leadership ». La personne chargée de l’examen n’a pas replacé ce qui a été dit sur le style de communication de la candidate ou sur son incapacité à créer des liens avec les autres membres dans le contexte où elle était la seule femme de l’organisation et une femme leader dans un environnement de travail dominé par des hommes. Deuxièmement, le Tribunal a déterminé que le recours du chirurgien en chef à un examen déficient était influencé par un préjugé sexiste. Selon le Tribunal, les conclusions de l’examen ne comportaient aucune conclusion concernant le sexe et le préjudice a été aggravé lorsque ces conclusions ont été acceptées par le chirurgien en chef. Ainsi, la dignité de la demanderesse a été bafouée. L’ultime violation des droits de la demanderesse en vertu du Code s’est produite lorsque le spécialiste a omis de consulter la demanderesse et d’enquêter sur les allégations de préjugés sexistes et de discrimination contenues dans son courriel.
Le Tribunal a prévu un processus distinct pour discuter des mesures correctives appropriées.
Cette affaire a été jugée en Ontario, mais la question des préjugés sexistes est pertinente dans tous les lieux de travail au Canada.
Cette affaire est un rappel important pour les employeurs que l’obligation d’enquêter existe indépendamment d’une plainte formelle. Dans le présent cas, la demanderesse n’avait aucune obligation de déposer une plainte formelle pour déclencher l’obligation d’enquête de l’organisation. Lorsque la demanderesse a informé le spécialiste qu’elle pensait que les préjugés à l’égard des femmes en position de leadership avaient joué un rôle dans sa situation, l’obligation d’enquêter a été déclenchée. La jurisprudence en matière de droits de la personne a interprété l’obligation de mener une enquête sur le droit à l’égalité de traitement en matière d’emploi en vertu de l’article 5(1) du Code. Le fait qu’une enquête n’ait pas été menée constitue une violation des droits de la demanderesse en vertu du Code.
Ce cas renforce également le fait qu’un traitement défavorable ne doit pas nécessairement être intentionnel pour entraîner une violation du Code. En l’espèce, le fait que les défendeurs n’aient pas pris en compte le sexe de la demanderesse dans son contexte et le fait que le rapport déficient ait été utilisé pour prendre la décision de ne pas renommer la demanderesse ont suffi au Tribunal pour conclure que la demanderesse a subi un traitement différentiel lié à son sexe.
Enfin, cette affaire devrait rappeler aux employeurs l’impact des préjugés sexistes inconscients, particulièrement dans un contexte où une femme exerce un rôle de leadership. Cette affaire devrait inciter les employeurs à chercher des moyens d’atténuer les préjugés sexistes inconscients sur le lieu de travail.
Si vous avez besoin de conseils à ce sujet, veuillez contacter l’auteure de ce bulletin ou votre avocat Fasken.