La doctrine de l’employeur commun permet à un tribunal de traiter des entités juridiques distinctes comme un seul employeur pour certaines obligations telles que les salaires impayés, les indemnités de cessation d’emploi ou les indemnités de départ, dans les cas appropriés. Cependant, le fait que des sociétés soient liées et coordonnent leurs activités ne signifie toutefois pas forcément qu’elles partagent une responsabilité.
La récente décision O’Reilly v. ClearMRI Solutions Ltd. (disponible uniquement en anglais) a confirmé qu’un tribunal ne peut pas imposer de responsabilités à une société mère ou à une société actionnaire en tant qu’employeur commun, à moins qu’il n’y ait une intention claire de créer une relation employeur-employé.
Le contexte
Une somme importante devait être payée à l’employé à la fin de son emploi. Il a intenté une action en recouvrement de toutes les sommes impayées contre son employeur et l’actionnaire majoritaire de celui-ci (la « société mère »). L’employé a soutenu que, même s’il n’occupait pas de poste chez l’actionnaire majoritaire – la société mère – et n’avait pas d’entente écrite avec elle, la société mère et l’employeur représentaient un employeur commun et étaient conjointement responsables à son égard relativement aux sommes en souffrance.
En plus d’être l’actionnaire majoritaire de l’employeur, la société mère avait également des administrateurs en commun avec l’employeur et disposait de certains droits en vertu d’une convention entre actionnaires. Ces droits prévus dans la convention entre actionnaires ne couvraient pas les changements au sein de la direction de l’employeur, l’autorité sur les contrats de travail, ni d’autres aspects relevant exclusivement du conseil d’administration de l’employeur.
L’employé a obtenu un jugement sommaire contre son employeur et contre la société mère. La société mère a interjeté appel en faisant valoir qu’elle ne constituait pas un employeur commun avec l’employeur et qu’elle ne devrait pas avoir de responsabilités à ce titre.
Quelle a été la décision de la Cour?
La Cour d’appel de l’Ontario a conclu que la société mère n’avait pas de responsabilités envers l’employé à titre d’employeur commun. Elle a examiné plusieurs facteurs pertinents pour déterminer si une relation d’employeur commun existait entre des entités juridiques distinctes, à savoir :
- qui exerce réellement un contrôle sur l’employé (p. ex., le niveau de contrôle qu’un employeur lié présumé exerce sur l’employé);
- le libellé employé dans tout contrat de travail (p. ex., si le contrat de travail fait mention d’une entité ou de plusieurs entités à titre d’employeur); et
- si un contrôle commun est partagé entre les différentes entités juridiques.
Par ailleurs, la Cour d’appel a confirmé un facteur primordial nécessaire pour déterminer si des entités distinctes doivent être considérées comme un employeur commun : il faut évaluer si [traduction] « l’employé et la société qui serait un employeur commun avaient [ou ont] l’intention de conclure ensemble un contrat d’emploi en vertu des modalités alléguées »[1]. La Cour d’appel a conclu qu’il n’y avait aucune intention de ce genre entre l’employé et la société mère, que ce soit au moment de l’embauche ou par la suite. De plus, selon la Cour d’appel [traduction] : « En l’absence d’un élément qui démontre une telle intention, la propriété d’actions et ce qui en découle, y compris le pouvoir d’élire les administrateurs et l’alignement des objectifs financiers entre la société mère et la filiale, ne suffisent pas pour établir le statut d’employeur commun de la société mère »[2].
Les principaux points à retenir
Bien que cette affaire ait été tranchée en Ontario, la doctrine de l’employeur unique est pertinente et significative pour tous les employeurs canadiens.
Cette décision démontre clairement que les tribunaux interpréteront strictement l’application de la responsabilité de l’employeur commun de façon à ce que les liens intersociétés ne soient pas confondus comme une preuve de la relation d’employeur commun. Le principe juridique de la séparation des sociétés – selon lequel les entités juridiques sont considérées comme distinctes aux fins de la responsabilité – n’est pas compromis simplement en raison de leur lien de parenté.
C’est également un rappel important aux employeurs de faire attention à la façon dont ils organisent leur structure organisationnelle et de revoir régulièrement cette dernière afin de s’assurer que des limites de responsabilité claires sont maintenues.
Si vous avez besoin de conseils à ce sujet, n’hésitez pas à communiquer avec l’auteure de cet article ou avec votre avocat(e) attitré(e) chez Fasken.