Les critères d’évaluation juridiques de la discrimination fondée sur la situation familiale diffèrent d’un bout à l’autre du Canada. En 2019, la Cour d’appel de la Colombie-Britannique a confirmé l’applicabilité du critère de l’affaire Campbell River, souvent critiqué comme étant plus rigoureux que les critères d’évaluation utilisés dans d’autres juridictions. Dans les lieux de travail sous réglementation fédérale, les tribunaux fédéraux appliquent le critère de l’affaire Johnstone, élaboré dans le cas Canada (Agence des services frontaliers) c. Johnstone, 2014 CAF 110, qui est également désigné comme impliquant un critère plus rigoureux que pour les autres motifs de discrimination protégés. En Ontario, les tribunaux ont appliqué à la fois le critère de l’affaire Johnstone et le critère établi par le Tribunal des droits de la personne de l’Ontario dans l’affaire Misetich c. Value Village Stores Inc., 2016 HRTO 1229. En Alberta, les tribunaux ont appliqué un critère établi dans l’affaire SMS Equipment Inc c. Communications, Energy and Paperworkers Union, Local 707, 2015 ABQB 162.
Selon les critères d’évaluation des affaires Campbell River et Johnstone, les employés sont généralement tenus de prendre des mesures proactives pour tenter d’obtenir des arrangements en matière de garde d’enfants, afin de remplir leurs obligations et de respecter leurs horaires de travail. Le Tribunal des droits de la personne de l’Ontario et la Cour du banc de la Reine de l’Alberta ont expressément rejeté cette approche.
Pour ajouter à la complexité, les arbitres et les commentateurs se sont demandé comment s’applique le critère d’évaluation de la discrimination prima facie établi par la Cour suprême du Canada. Dans Moore c. Colombie-Britannique (Éducation), 2012 CSC 61 (« Moore »), la Cour suprême du Canada a déterminé qu’une preuve de discrimination prima facie est établie lorsque :
- le plaignant présente un motif protégé;
- le plaignant subit des répercussions négatives en ce qui concerne son emploi;
- le motif protégé est un facteur d’incidence négative.
Le critère de l’arrêt Moore a été rejeté par la Cour d’appel de la Colombie-Britannique dans l’affaire Envirocon, lorsqu’elle a annulé une décision du Tribunal des droits de la personne de la Colombie-Britannique qui avait appliqué le critère de l’arrêt Moore à une plainte pour discrimination fondée sur la situation familiale.
La saga se poursuit avec une décision récente de la Cour d’appel de l’Alberta qui a expressément rejeté l’approche adoptée par la Cour d’appel de la Colombie-Britannique et la Cour d’appel fédérale.
Les faits
Dans l’affaire United Nurses of Alberta c. Alberta Health Services, 2021 ABCA 194, une employée syndiquée a déposé un grief. Elle alléguait que son employeur avait exercé de la discrimination en refusant de modifier un nouvel horaire de travail. L’employée a allégué que son horaire était en conflit avec ses besoins en matière de garde d’enfants.
Le grief a été évalué par un conseil d’arbitrage en droit du travail. Le conseil a estimé que l’employée ne s’était pas engagée dans un processus d’auto-accommodation ou d’auto-protection en ce qui concerne les obligations liées à la garde de ses enfants, et qu’elle n’avait donc pas fait la preuve de discrimination prima facie. Le grief a été rejeté.
La Cour du banc de la Reine de l’Alberta a annulé la décision et a conclu que le conseil d’arbitrage avait appliqué le mauvais critère en Alberta. L’employeur a fait appel devant la Cour d’appel de l’Alberta.
La décision
La Cour d’appel de l’Alberta a examiné les différents critères d’évaluation appliqués dans plusieurs juridictions canadiennes, et a confirmé son intention de « clarifier » la loi, telle qu’elle devrait s’appliquer en Alberta. Ce faisant, la Cour a expressément rejeté les critères des affaires Johnstone et Campbell River établis par la Cour d’appel fédérale et la Cour d’appel de la Colombie-Britannique, les désignant comme incompatibles avec l’arrêt Moore.
La Cour a conclu que le critère de l’arrêt Moore n’exige pas qu’un demandeur prouve son auto-accommodation pour établir une discrimination prima facie. La Cour n’a pas affirmé que l’auto-protection n’était pas pertinente, mais plutôt qu’elle ne devrait être prise en compte que lorsqu’il s’agissait de déterminer si la règle ou la politique applicable est une exigence professionnelle justifiée, ou si l’employeur subirait un préjudice exagéré en accommodant l’employé.
La Cour a en outre soulevé ses préoccupations du fait que l’obligation de prouver l’auto-protection afin de démontrer une discrimination prima facie pourrait permettre aux employeurs « de maintenir des pratiques ostensiblement discriminatoires, en toute impunité ».
Il est intéressant de noter que la Cour d’appel de la Colombie-Britannique a adopté une approche différente lorsqu’elle a justifié le critère de l’affaire Campbell River, en déclarant qu’il visait à éviter « les perturbations et les graves méfaits » perpétrés par les employés.
L’employeur a demandé l’autorisation d’interjeter appel devant la Cour suprême du Canada. Nous verrons si la Cour suprême détermine un critère unique et unifié pour l’évaluation future des plaintes de discrimination fondée sur la situation familiale.
Points à retenir pour les employeurs
Les critères d’évaluation de la discrimination fondée sur la situation familiale diffèrent à travers le Canada. Les employeurs doivent en être conscients, en particulier lorsqu’ils exercent leurs activités dans plusieurs juridictions. Chaque question doit être examinée de façon individuelle et en fonction de la loi applicable dans la province ou le territoire concerné. Il convient d’éviter les politiques ou règles générales couvrant plusieurs juridictions, jusqu’à ce qu’une approche unifiée ait été développée.