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Première sentence arbitrale québécoise rendue sur la vaccination contre la COVID-19 en milieu de travail

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Bulletin travail, emploi et droits de la personne | L'Espace RH

Depuis que toute personne a eu l’occasion d’être adéquatement vaccinée contre la COVID-19 au Canada, les employeurs canadiens se questionnent sur leurs droits et obligations relativement à la mise en place d’une exigence vaccinale contre la COVID-19 afin que leurs employés puissent accéder à un lieu de travail.

  • Que faire lorsqu’un employeur, à titre de prestataire de services, est soumis aux politiques de son client exigeant que l’ensemble des personnes qui accèdent à son établissement soient adéquatement vaccinés contre la COVID-19?
  • L’employeur peut-il exiger que ses employés divulguent leur statut vaccinal afin de respecter les exigences d’un tiers liées à la vaccination?
  • Que faire si certains employés ne sont pas vaccinés contre la COVID-19 et se voient ainsi refuser l’accès à leur lieu de travail par un client?

Ce sont ces questions auxquelles un arbitre de griefs a dû répondre pour la première fois dans le cadre d’une décision[1] rendue le 15 novembre 2021.

Contexte de l’exigence vaccinale imposée par les clients

Certaines entreprises d’entretien ménager, lesquelles sont syndiquées, ont demandé à un arbitre de griefs de rendre un jugement déclaratoire afin que ce dernier réponde à ces questions.

Ces entreprises ont des clients dans une diversité d’industries et elles signent avec eux un contrat de service, lequel peut être résilié.

Certains de ces clients ont mis en place des politiques selon lesquelles leurs employés, fournisseurs et sous-traitants doivent être adéquatement vaccinés s’ils veulent accéder aux lieux de travail sous leur autorité.

Cette exigence imposait donc aux entreprises d’entretien ménager de recueillir le statut vaccinal de leurs employés assignés à ces contrats.

Le défaut de respecter une telle exigence est susceptible de mener à la résiliation du contrat par le client et une telle résiliation implique que l’ensemble des employés assignés à ce contrat seront mis à pied par l’employeur.

Objectif de l’exigence vaccinale imposée par les clients

L’exigence vaccinale des clients est basée sur leurs obligations en matière de santé et de sécurité au travail.

Au Québec, la Loi sur la santé et la sécurité du travail (« LSST ») a pour objet l’élimination à la source même des dangers pour la santé, la sécurité et l’intégrité physique des employés.

En vertu de l’article 51 de la LSST, un employeur doit prendre les mesures nécessaires pour protéger la santé et assurer la sécurité et l’intégrité physique des employés. Dans le contexte de la pandémie, tout employeur doit donc utiliser les méthodes et techniques visant à identifier et contrôler les risques associés au virus du SRAS-CoV-2 qui cause la COVID-19 pouvant affecter la santé et la sécurité des employés.

Les clients de l’employeur ont ces obligations envers leurs propres employés, mais également à l’égard des employés de leurs fournisseurs et sous-traitants, et ce, par l’application de l’article 51.1 de la LSST, car ils utilisent ces derniers afin de rendre des services dans leur établissement.

Un employé a des obligations corrélatives en vertu de l’article 49 de la LSST, car il doit (1) prendre les mesures nécessaires pour protéger sa santé, sa sécurité ou son intégrité physique, (2) veiller à ne pas mettre en danger la santé, la sécurité ou l’intégrité physique des autres personnes qui se trouvent sur les lieux de travail et (3) participer à l’identification et à l’élimination des risques d’accidents du travail et de maladies professionnelles sur le lieu de travail.

Les articles 124 à 126 du Code canadien du travail prévoient des obligations similaires pour les employeurs et employés œuvrant au sein du gouvernement fédéral ou dans une entreprise de compétence fédérale.

Décision de l’arbitre

Les objectifs de santé et sécurité liés à l’exigence vaccinale en milieu de travail ont préséance sur le droit à la vie privée et à l’intégrité physique des employés

Le Syndicat contestait le droit des employeurs de recueillir le statut vaccinal de leurs employés puisqu’une telle collecte brimait leur droit à la vie privée garanti par l’article 5 de la Charte des droits et des libertés de la personne (la « Charte ») ainsi que leur droit à l’intégrité physique protégée par l’article 1. Selon le Syndicat, une telle intrusion n’était pas justifiée puisqu’elle ne visait aucun objectif légitime de santé et sécurité de la part des clients.

Dans le cadre de ce grief déclaratoire, l’arbitre a décidé que les clients d’un employeur sont en droit d’imposer une exigence vaccinale à leurs employés ainsi qu’à leurs sous-traitants en raison de leurs obligations prévues notamment par les articles 51 et 51.1 de la LSST. Cette obligation implique de prendre tous les moyens nécessaires, humainement logiques et raisonnables pour protéger la santé et la sécurité des travailleurs dans leur établissement. L’exigence vaccinale adoptée par les clients et applicable à ses employés et sous-traitants, est justifiée pour réduire les risques de propagation de la COVID-19.

L’arbitre considère également que comme un employé non vacciné représente un risque pour lui-même (puisqu’il est potentiellement exposé à la COVID-19 et aux conséquences les plus graves de la maladie) ainsi que pour les autres employés lorsqu’il se trouve sur les lieux de travail (puisqu’il est un vecteur de transmission plus important qu’un employé vacciné), il contrevient, en principe, à ses obligations prévues par l’article 49 LSST.

Selon l’arbitre, bien qu’une exigence vaccinale puisse porter atteinte à la vie privée et à l’intégrité physique des employés qu’elle vise, cette atteinte est justifiée au sens de la Charte. En effet, la Charte prévoit spécifiquement que les libertés et droits d’une personne peuvent être limités en fonction de l’ordre public et du bien être général des citoyens du Québec, ce qui est le cas en situation de pandémie mondiale.

L’arbitre conclut que le « préjudice » ou les « inconvénients » pouvant émaner, dans un milieu de travail, d’employés non vaccinés pèsent beaucoup plus lourdement sur le « bien-être général » des autres personnes qui fréquentent ce même endroit - et qui, tout en étant vaccinées, peuvent être infectées par le virus et en subir, ainsi que leur entourage, tous les effets en découlant - que du côté des employés qui seront appelés à dévoiler un volet de leur vie privée, soit leur statut vaccinal.

L’arbitre ajoute que la présence ou l’absence d’actions de l’État par rapport à la vaccination ne constitue pas la seule norme permettant d’évaluer la légitimité de l’exigence des clients. Rien ne conditionne la mise en œuvre des obligations des employeurs et des employés prévues à la LSST à des interventions préalables du gouvernement ou du législateur. Autrement dit, ce n’est pas parce qu’un gouvernement n’impose pas une exigence vaccinale à ses propres employés, comme les travailleurs de la santé, qu’un employeur ne pourrait pas justifier d’adopter une telle mesure.

Les employés qui refusent de se faire vacciner ou de dévoiler une telle information doivent être transférés administrativement auprès d’un autre client

L’arbitre considère que le statut vaccinal devient une exigence normale au travail pour les employés assignés à des contrats où une exigence vaccinale est requise.

L’arbitre considère que la convention collective prévoit un mécanisme spécifique de « transfert administratif » qui s’applique, en l’espèce, lorsqu’un employé ne répond plus à une exigence d’un client. Ce mécanisme négocié par les parties permet à un employé non vacciné d’être transféré à un autre contrat qui, en l’espèce, est un contrat d’un client qui n’impose pas d’exigence vaccinale. À défaut de pouvoir faire un tel transfert administratif, l’employé est inscrit sur la liste de rappel et ne reçoit pas son salaire.

Quoi retenir pour les employeurs?

Cette décision ne porte pas directement sur le droit d’un employeur d’imposer lui-même une politique concernant une exigence vaccinale applicable à l’ensemble de ses salariés, mais plutôt comment un employeur doit agir lorsqu’une telle politique est mise en place par l’un de ses clients. Toutefois, puisque l’arbitre précise que l’exigence vaccinale des clients devient celle des employeurs, soit les entreprises ménagers en l’espèce, la conclusion de l’arbitre quant au caractère légitime de telles exigences devrait pouvoir être invoquée avec succès par les employeurs ayant mis en place une telle politique.

Il est également intéressant de constater que l’absence de décret gouvernemental imposant la vaccination obligatoire ou l’absence de décret gouvernemental assujettissant les employés à un passeport vaccinal (alors que d’autres personnes y sont assujetties par le gouvernement) ne veut pas dire qu’un employeur ne peut adopter une politique de vaccination en milieu de travail.

La décision ne confirme pas le droit d’un employeur de placer ses employés en congé sans solde, ou de les congédier, advenant la violation d’une politique de vaccination obligatoire et cette question devra être tranchée par les tribunaux.



[1] Union des employés et employées de service, section locale 800 et Les Services Ménagers Roy Ltée., Signature, Service D’entretien, GDI Services (Québec) sec, GSF Canada Inc., Conciergerie Speico Inc., rendue le 15 novembre 2021 par Me Denis Nadeau.

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Auteurs

  • Jean-François Cloutier, Associé | Travail, emploi et droits de la personne, Montréal, QC, +1 514 397 5201, jcloutier@fasken.com
  • Deborah Furtado, Avocate | Travail, emploi et droits de la personne, Montréal, QC, +1 514 397 7553, dfurtado@fasken.com

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