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Le privilège relatif aux règlements n’est pas absolu

Fasken
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Bulletin litiges et résolutions de conflits

Introduction

Le 17 décembre 2021, dans l’affaire Association de médiation familiale du Québec c. Bouvier[1], la Cour suprême du Canada s’est penchée sur l’exception au privilège relatif aux règlements, qui permet de divulguer des communications qui seraient autrement privilégiées afin de faire la preuve de l’existence ou des modalités dudit règlement.

Dans cette affaire, au terme d’une médiation familiale, le médiateur a consigné ses conclusions sur les accords entre I et M dans un document appelé « résumé des ententes ». Par la suite, I a déposé une demande en justice et requis une compensation financière plus élevée que celle circonscrite dans le résumé des ententes. À ce moment, M a voulu invoquer le contrat conclu entre les parties durant la médiation. I s’est opposé à l’admission en preuve du résumé des ententes au motif qu’il est protégé par la confidentialité du processus de médiation.

La Cour supérieure du Québec a rejeté l’objection en se fondant sur l’exception au privilège relatif aux règlements qui s’applique lorsqu’une partie souhaite faire la preuve de l’existence et des modalités d’un règlement, se basant notamment sur l’arrêt de la Cour suprême dans Union Carbide Canada Inc. c. Bombardier Inc.[2] (ci-après « Union Carbide »). La Cour d’appel a par la suite rejeté l’appel sur cette question, mais les juges n’étaient pas tous du même avis quant à l’application des principes énoncés dans Union Carbide dans un contexte de médiation familiale.

L’arrêt de la Cour suprême

La Cour suprême se prononce à la majorité qu’il n’est pas souhaitable d’établir une règle absolue de confidentialité dans le cadre d’une médiation familiale. Ainsi, l’exception au privilège relatif aux règlements lorsqu’une partie souhaite faire la preuve de l’existence ou de la portée d’un règlement trouve également application dans le cadre d’une médiation en contexte familial.

Bien que cet arrêt discute du contexte particulier en droit familial, la Cour suprême rappelle l’importance du privilège relatif aux règlements et ses exceptions, lesquelles s’appliquent aux litiges civils et commerciaux.

Le privilège relatif aux règlements

Le privilège relatif aux règlements protège la confidentialité des communications et des renseignements échangés dans la perspective de régler un différend. Ainsi, les discussions dans le cadre d’une médiation sont protégées par le privilège relatif aux règlements.

Comme le mentionne la Cour suprême, le privilège relatif aux règlements est fondamental afin de favoriser des discussions franches et ouvertes entre les parties. En effet, ceci facilite généralement les règlements puisque les parties sont rassurées que le contenu de leurs échanges ne sera pas utilisé ultérieurement. Ce privilège s’applique automatiquement sans que les parties aient besoin de l’invoquer. Le privilège s’applique à toutes les communications qui mènent au règlement, et ce, même si ces communications sont faites après la fin de la séance de médiation.

Les exceptions au privilège relatif aux règlements

Par contre, le privilège relatif aux règlements n’est pas absolu et comporte son lot d’exceptions. Notamment, les parties peuvent moduler contractuellement son étendue. De plus, la confidentialité peut être levée exceptionnellement en cas de fraude ou faute du médiateur, par exemple[3].

L’exception spécifique qui faisait l’objet du pourvoi devant la Cour suprême, et dont l’importance a été réitérée dans l’arrêt Union Carbide, est celle qui peut trouver application lorsqu’une partie souhaite prouver l’existence ou la portée d’un règlement.

La Cour suprême reprend les motifs du juge Wagner dans Union Carbide à l’effet que « dès que les parties arrivent à un règlement, il importe, pour favoriser les règlements en général, que les parties soient en mesure de faire la preuve des modalités convenues »[4].

Par contre, la Cour suprême souligne que cette exception n’affaiblit pas le privilège, car lorsqu’un règlement a été accepté, il n’existe plus aucune raison d’ordre public qui permettrait d’exclure la preuve de ce règlement[5]. De plus, le champ d’application de l’exception est limité à ce qui est nécessaire pour prouver l’existence ou la portée du règlement.

Finalement, comme les parties sont libres d’écarter par contrat l’application de cette exception, la Cour suprême analyse le contrat signé par les parties au début de la médiation. La Cour conclut qu’il s’agissait d’un contrat comportant des clauses standards de confidentialité et qu’aucune de ces clauses n’écarte clairement le privilège relatif aux règlements ou ses exceptions[6].

Une autre objection à l’admissibilité du résumé des ententes était possible

Il est intéressant de constater que la juge Hogue, siégeant à la Cour d’appel dans cette affaire, a soulevé qu’il existait un autre motif potentiel d’opposition à l’admission du résumé des ententes. En effet, celle-ci rappelle que l’écrit produit en vue de faire la preuve d’un acte juridique doit satisfaire certaines conditions pour être recevable. Comme le résumé des ententes était un simple écrit et non un contrat, I aurait pu s’objecter à sa production au motif qu’un résumé non signé ne peut être admis en preuve pour prouver un acte juridique. La Cour suprême confirme que cette option aurait été possible, mais que comme I ne l’avait pas soulevé, le juge de première instance ne pouvait pas soulever cette objection d’office[7]. Le juge de première instance pouvait donc admettre en preuve le résumé des ententes considérant que l’exception de l’arrêt Union Carbide s’appliquait en l’espèce et que les autres objections potentiellement applicables n’avaient pas été soulevées.

Conclusion

La Cour suprême fournit donc un bon rappel que le privilège relatif aux règlements protège la confidentialité des communications et des renseignements échangés dans la perspective de régler un différend, mais que ce privilège n’est pas absolu.

Par conséquent, les parties doivent procéder avec prudence lors de négociations de règlements. 


[1] 2021 CSC 54.
[2] 2014 CSC 35.
[3] Association de médiation familiale du Québec c. Bouvier, préc., note 1, par. 96.
[4] Id., par. 98.
[5] Id., par. 98.
[6] Id., par. 99 et 107.
[7] Bisaillon c. Bouvier, 2020 QCCA 115, par. 91-96; Association de médiation familiale du Québec c. Bouvier, préc., note 1, par. 89-93.

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