Dans le cadre de l’affaire Francis v. Ministry of Justice, le Tribunal des droits de la personne a accordé 964 197,24 $ en dommages-intérêts au plaignant. De ce montant, 176 000 $ ont été accordés pour atteinte à la dignité, ce qui représente le montant le plus élevé jamais accordé dans cette catégorie en Colombie-Britannique. Cette décision nous rappelle que la discrimination en milieu de travail représente un risque financier important et croissant pour les employeurs.
La discrimination
Dans une décision antérieure, le tribunal avait conclu que le plaignant, qui était un agent correctionnel, avait été victime de discrimination à neuf reprises. Lorsqu’il s’est plaint, ses superviseurs ont exercé des représailles à son égard en infligeant plus d’actes discriminatoires.
Des propos stéréotypés ont été tenus par des superviseurs et des agents correctionnels qui ont qualifié le plaignant comme « lent » et « paresseux ». Un superviseur l’a qualifié d’« homme noir paresseux ». Un autre superviseur l’a dénigré en attribuant son mauvais rendement à son origine ethnique devant des détenus et des agents. Le plaignant a aussi entendu d’autres agents se faire lancer des insultes racistes. En raison de ces évènements, le plaignant a signalé de nombreux incidents de cette nature au fil des ans, mais ses supérieurs n’y ont pas donné suite. Au contraire, on l’a plutôt accusé de « jouer la carte de la race » pour manipuler ses collègues.
Après que le plaignant a déposé une plainte pour atteinte aux droits de la personne, ses supérieurs ont exercé des représailles à son encontre. Entre autres, un superviseur a ordonné au plaignant d’enfreindre un protocole, puis l’a immédiatement réprimandé pour l’avoir fait. Le plaignant a davantage été pris pour cible par ses collègues et a régulièrement fait l’objet d’insultes racistes dans son milieu de travail.
En somme, il a été déterminé que l’employeur avait adopté un comportement discriminatoire et favorisé la création d’un environnement de travail malsain.
Les répercussions négatives
Les conséquences de la constante discrimination sur la santé mentale du plaignant se sont manifestées le jour où il a vécu une expérience traumatisante à son lieu de travail, laquelle a entraîné la fin de son emploi.
À l’audience, l’épouse du plaignant l’a décrit comme un homme qui était auparavant « heureux et charismatique », « athlétique » et qui avait « beaucoup d’amis »; c’était quelqu’un d’« empathique », d’« audacieux » et de « fonceur ». Après avoir été victime de discrimination et avoir quitté son emploi, le plaignant a perdu tout intérêt pour les sports et la socialisation. Il a commencé à avoir une mauvaise hygiène et a possiblement développé un trouble de consommation d’alcool. Un psychiatre a diagnostiqué un trouble dépressif majeur, un trouble d'anxiété généralisé et une apnée obstructive du sommeil. Le médecin a également mentionné que le plaignant était « gravement malade d’un point de vue psychiatrique ». La preuve médicale a permis de conclure que le plaignant ne serait plus capable de garder un emploi.
Ayant égard à la preuve présentée, le tribunal a conclu que la conduite discriminatoire et l’environnement de travail malsain étaient à l’origine des graves troubles mentaux du plaignant et l’ont rendu incapable de reprendre le travail à quelque titre que ce soit.
Les dommages-intérêts
À titre de réparation, le tribunal a accordé 964 000 $ en dommages-intérêts au plaignant, notamment pour perte de salaire, perte de revenus futurs et atteinte à la dignité.
Les dommages-intérêts accordés pour atteinte à la dignité se sont élevés à 176 000 $, un sommet historique en Colombie-Britannique. Ce montant dépasse de 101 000 $ toute autre indemnité accordée pour atteinte à la dignité dans toute l’histoire du Tribunal des droits de la personne.
Les dommages-intérêts les plus élevés pour atteinte à la dignité en Colombie-Britannique étaient jusqu’alors de 75 000 $, accordés dans une affaire de discrimination complexe et pluriannuelle à l’encontre d’un résident en médecine qui avait entraîné un retard dans l’obtention de son permis d’exercice. Le tribunal a établi une distinction avec cette affaire, car les faits étaient moins flagrants. Le tribunal a pris en considération des indemnités importantes accordées dans d’autres provinces pour atteinte à la dignité, soit de 125 000 $ en Alberta et de 200 000 $ en Ontario. Dans l’affaire entendue en Alberta, la discrimination était grave, mais on s’attendait à ce que l’employé se rétablisse. Dans celle entendue en Ontario, les actes de discrimination étaient encore plus graves, et comprenaient des actes répétés d’agression sexuelle, mais les conséquences à long terme de cette discrimination sur l’employé étaient moins graves.
À la lumière de ces indemnités élevées, le tribunal a accordé 176 000 $ au plaignant à titre de dommages-intérêts pour atteinte à la dignité.
Ce que les employeurs doivent retenir
Le tribunal accorde des dommages-intérêts importants pour atteinte à la dignité dans les cas flagrants de discrimination et lorsque les effets sur un plaignant sont sérieux. Historiquement, la plupart des montants pour dommages-intérêts accordés pour atteinte à la dignité étaient inférieurs à 50 000 $; ces indemnités connaissent une tendance à la hausse depuis quelques années. La décision Francis sera certainement invoquée pour plaider en faveur de dommages-intérêts pour atteinte à la dignité plus élevés à l’avenir. Compte tenu de cette tendance, il est essentiel que les employeurs adoptent des mesures pour prévenir les comportements discriminatoires sur leur lieu de travail et pour s’assurer que les enquêtes concernant les droits de la personne en milieu de travail sont menées avec diligence, efficacité et bonne foi.