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Points clés à retenir de l'arrêt prononcé par la Cour suprême des États-Unis dans l'affaire West Virginia v. EPA

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Bulletin environnement

L’article original a été publié par le cabinet d’avocats américain Beveridge & Diamond, un cabinet boutique spécialisé en droit de l’environnement; les auteurs sont Eric Christensen, Brook Detterman, David Friedland, Jenny Leech et Zach Pilchen; nous avons ajouté des encadrés de notre cru pour expliquer ou mettre en contexte certaines particularités du système américain qui pourraient ne pas être familières à un public canadien.

Le 30 juin 2022, la Cour suprême des États-Unis a rendu jugement dans l'affaire West Virginia v. EPA, 597 U.S. __, 2022 WL 2347278 (30 juin 2022), une affaire portant sur l’interprétation et l’application de la règle promulguée pendant l'administration du président Obama et portant le titre Clean Power Plan (CPP), de même que la règle promulguée par la suite pendant l'administration du président Trump et portant le titre Affordable Clean Energy (ACE) Rule.

Le plus haut tribunal américain a appliqué ce que l'on appelle la théorie des questions importantes (Major Question Doctrine) et il a décidé que l'EPA avait outrepassé la compétence qui lui a été confiée par la loi, en l’espèce le Clean Air Act, quand elle a promulgué le CPP.

Cette décision aura des répercussions sur les projets de l'Administration Biden notamment en ce qui a trait à son intention de retravailler et de remettre le CPP de l’avant et également vis-à-vis des autres options qui s’offrent à elle pour réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES) du secteur de la production d'énergie électrique ainsi que sur d’autres secteurs. Cette décision aura également des répercussions au-delà du domaine du droit de l'environnement proprement dit en ce qu'elle met à la disposition des justiciables un nouveau et puissant précédent pour remettre en question des règles des agences administratives fédérales.

Agence de protection de l'environnement des États-Unis (EPA)

Il n’y a pas de ministère fédéral de l’Environnement aux États-Unis; il y a, à la place, une agence fédérale, l’EPA, établie en 1970 par un décret exécutif du président Nixon. Elle a pour mandat d’adopter des règlements sous l’autorité de diverses lois dont notamment le Clean Air Act.

 

Clean Power Plan (CPP)

Le CPP était une initiative proposée par l'EPA pendant la présidence Obama en 2015. Elle avait notamment pour objet de réduire les émissions de carbone des centrales électriques, en particulier des centrales au charbon. 
Le CPP n'est jamais entré en vigueur, ayant été suspendu par les tribunaux. Il a été mis à l’écart en 2019 pendant la présidence Trump qui l’a remplacé par une autre initiative de l’EPA, l’Affordable Clean Energy Rule.  

 

Affordable Clean Energy (ACE)

L’ACE était une initiative proposée par l’EPA pendant la présidence Trump en 2019. Elle avait pareillement pour objet de réduire les émissions de GES des centrales électriques, en particulier des centrales au charbon, mais elle était considérée plus « amicale » envers l’industrie. 
Cette initiative a également fait l’objet de contestations devant les tribunaux et un tribunal l’a cassée le dernier jour de la présidence Trump, ce qui avait eu pour effet de faire revivre le CPP. 
La nouvelle administration Biden a cependant indiqué aux tribunaux qu’elle voulait retourner à la case départ sur le sujet. 


Points clés à retenir et question à surveiller

1. La théorie des questions importantes. Le point clé le plus significatif à retenir des motifs de la Cour suprême consiste en l'élaboration et l'application de la théorie dite des questions importantes pour servir de frein à la compétence des agences fédérales de régulation. L’opinion de la majorité, écrite par le juge en chef Roberts, déclare que dans « certains cas extraordinaires », quand l'agence proclame jouir d’une autorité étendue et dans les cas où l’initiative en cause de l’agence a une vaste portée économique et politique, les tribunaux devront être aux aguets et vérifier s'il existe une déclaration claire d'autorisation de la part du Congrès avant d’avaliser l'action de l'agence. Se fondant sur la théorie des questions importantes, le tribunal a rejeté l’utilisation faite par le CPP au changement de source énergétique de la part des centrales électriques au charbon aux centrales au gaz naturel ou aux centrales utilisant des sources d'énergie renouvelables en tant que composante d’un « meilleur système de réduction des émissions » (best system of emission reduction) afin de réduire les émissions d'oxyde de carbone des centrales électriques au charbon.

La notion de «  best system of emission reduction »

L’expression « best system of emission reduction  » est abordée à l’article 111(a)(1) du Clean Air Act, qui définit la notion de « standard of performance » pour les nouvelles sources fixes. La définition du standard de performance, laquelle contient l’expression « best system of emission reduction », se lit comme suit :

(1)The term “standard of performance” means a standard for emissions of air pollutants which reflects the degree of emission limitation achievable through the application of the best system of emission reduction which (taking into account the cost of achieving such reduction and any nonair quality health and environmental impact and energy requirements) the Administrator determines has been adequately demonstrated.


Or, le tribunal a jugé que l’alinéa 111(d) du Clean Air Act 42 U.S.C. § 7411(d), une disposition rarement utilisée, n’était pas une assise juridique suffisante justifiant une réglementation qui « restructurerait le bouquet de production énergétique du pays » (restructure[ed] the Nation’s overall mix of electricity generation). Puis, la Cour ayant déterminé qu'un tel résultat entraînerait des conséquences significatives sur le plan économique et politique, elle a conclu qu’était déclenchée la théorie des questions importantes. La Cour a réitéré que même si l’alinéa 111(d) du Clean Air Act autorisait l’EPA à établir des normes d'émission pour les sources majeures existantes de pollution de l'air sur la base du meilleur système de réduction des émissions, l'EPA ne pouvait pas se fonder sur cette disposition pour mettre en place des mesures transformatrices d'une telle ampleur.

Cette décision représente la première fois où la Cour suprême a établi formellement l’existence de la théorie des questions importantes. Cette théorie s'appliquera quand une agence prétend jouir d'une vaste compétence sur la base d'une nouvelle interprétation d’une loi ou de lois anciennes ou dans lesquelles une telle attribution d'autorité n'est pas exprimée explicitement. Même si ce n'est pas la première fois qu’un arrêt de la Cour suprême emploie cette logique, cette affaire est la première dans laquelle le tribunal a utilisé l'expression nommément de la « théorie des questions importantes » (« major questions » doctrine). D'autres arrêts auxquels la Cour a fait référence incluent un jugement rendu en 2000 qui rejetait l’initiative de la Food and Drug Administration (FDA) de réglementer les produits du tabac, comme la cigarette, à titre de « dispositifs d'administration de médicaments », et les arrêts prononcés plus tôt au cours de la même session de la Cour concernant l'autorité de l’Occupation and Safety and Heath Administration et du Center for Disease Control and Prevention (CDC) d’avoir recours à des dispositions législatives habilitantes de longue date dans le contexte de la COVID-19.

2. La théorie de déférence judiciaire basée sur l’arrêt Chevron. Le tribunal ne rejette pas le principe basé sur l’arrêt Chevron, comme certains l’auraient prédit ou même désiré. Cette théorie – laquelle requiert des tribunaux qu'ils fassent preuve de déférence à l'égard d'une interprétation raisonnable d’une agence d’une disposition ambiguë d’une loi qu'elle est chargée d'administrer – survit donc pour le moment. Effectivement, les motifs de la majorité ne citent même pas le principe de déférence de l'arrêt Chevron.

L’arrêt Chevron

L’arrêt Chevron, U.S.A. v. Natural Resources Defense Council, 467 U.S. 837 (1984), est un arrêt de la Cour suprême des États-Unis qui a posé le principe voulant que les tribunaux de droit commun doivent faire preuve de réserve ou de déférence quand ils sont appelés à réviser l'interprétation d’une loi par une agence quand celle-ci a précisément reçu le mandat d'administrer la loi en question.


3. L’EPA du Président Biden
. Cette décision affecte immédiatement la portée des efforts de l'Administration Biden pour réglementer les émissions de gaz à effet de serre du secteur de l'énergie. L'Administration Biden se dit vouloir reprendre les règles à partir d'une table rase. 

(a) Les mesures in situ. Comme le mentionne l'arrêt, l'Administration pourra vraisemblablement considérer que des mesures in situ constitueraient des meilleures méthodes de réduction des émissions. De telles options pourraient inclure des mesures de capture et de stockage du carbone comme par exemple la cogénération au gaz naturel. L’EPA, à l'époque du président Obama, avait refusé d’utiliser des options de cette nature pour les sources existantes parce qu'elle était d'avis que le changement des sources d’énergie était une solution moins couteuse pour l’industrie. Mais l’EPA a utilisé des mesures de capture du carbone afin de fixer des limites pour les sources nouvelles et elle pourrait donc revenir sur la question maintenant. Depuis la promulgation du CPP, le crédit fiscal créé sous l’autorité de l’article 45Q du Code fiscal administré par l’Internal Revenue Service pour la capture et le stockage du carbone et la commercialisation des technologies de capture et de stockage du carbone, lequel article n’existait pas quand le CPP a été promulgué, pourra également impacter l’approche de l’EPA maintenant.

(b) Les changements de sources d’énergie, une option dorénavant exclue. À tout le moins en ce qui a trait aux exigences liées au « meilleur système de réduction des émissions », l’EPA ne pourra plus avoir recours à la méthode du changement des sources d’énergie. Les avancées dans le domaine des technologies de capture et de stockage du carbone et du crédit fiscal de l’article 45Q du Code fiscal pourront également affecter comment l’EPA pourra déterminer quelles sont les meilleures méthodes de réduction des émissions pour les centrales électriques au charbon.

(c) Faire d’une pierre deux coups : obtenir des réductions de gaz à effet de serre comme conséquence supplémentaire ou parallèle à d’autres règles concernant le secteur de l’énergie. L’EPA sous l’Administration du président Biden pourra considérer d’autres règles concernant les émissions des centrales électriques sous l’autorité d’autres programmes du Clean Air Act en vue de réaliser des réductions des émissions à titre de « co-bénéfices ». Des programmes concernant par exemple la brume régionale, la pollution atmosphérique interétatique et les polluants atmosphériques dangereux visent à contrôler les émissions d’autres contaminants atmosphériques, mais ils peuvent en même temps avoir pour effet de réduire les émissions de gaz à effet de serre.

(d) Les autres attributions de compétence vont recevoir une attention accrue. La décision de la Cour suprême va fort probablement faire en sorte que l’EPA du président Biden va considérer d’autres attributions de compétence dans le Clean Air Act en vue de fixer d’autres cibles de réduction des émissions, les sources mobiles ou les HFC par exemple.

4. L’action du Congrès demeure la clé. La décision de la Cour suprême met en évidence que certains types de réglementation doivent être basés sur une autorisation législative explicite pour survivre à une contestation judiciaire. Notamment, la décision de la Cour n’enlève pas au Congrès le pouvoir de confier des « questions importantes » de cette nature à des agences fédérales; tout ce qu’exige cette décision c’est qu’une telle délégation d’autorité soit exprimée clairement. Le Congrès conserve l’autorité d’agir de nombreuses façons en matière de changement climatique – incluant avec des programmes concernant les émissions visant l’ensemble de l’économie (comme cela a été considéré pendant le premier mandat du président Obama) ou en rédigeant des lois claires sur l’autorité de l’EPA – mais avec une Chambre des représentants et un Sénat divisé, ces actions semblent improbables.

5. Les effets pratiques sur le secteur de l’énergie. Les conséquences pratiques de cette décision pour le secteur de l’énergie demeurent limitées. À plusieurs égards, ce secteur a déjà été largement décarboné à un rythme plus rapide d’ailleurs que celui envisagé dans le CPP, essentiellement pour des raisons économiques.

6. Les États. Cette décision va vraisemblablement encourager certains États à utiliser leur compétence pour régir les émissions de GES vu la portée plus étroite de l’autorité de l’EPA en la matière.

7. Prochaines contestations. Il faut s’attendre à ce que les justiciables aient largement recours à l’affaire West Virginia pour contester d’autres réglementations dans l’avenir lorsque des agences fédérales agiront sous l’autorité des dispositions légales existantes d’une manière qui, pour reprendre les mots du juge en chef, « fera lever les sourcils ». Cela peut comprendre non seulement les initiatives de l’EPA pour légiférer sur les problématiques environnementales actuelles, mais également par rapport aux initiatives d’autres agences fédérales telles que la Federal Communication Commission pour réglementer les fournisseurs de services Internet pour imposer la neutralité du réseau ou les initiatives de la Securities and Exchange Commission pour établir des normes de divulgation sur les facteurs environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG). Les justiciables disposeront d’un outil puissant pour contester de telles réglementations s’ils réussissent à qualifier l’enjeu en cause en des termes qui font appel de manière convaincante à la théorie des « questions importantes ».

Proposition visant à améliorer les divulgations ESG

Le 25 mai 2022, la Securities and Exchange Commission a proposé des amendements visant à renforcer les obligations d'information concernant les facteurs environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG). La proposition est ouverte aux commentaires pour une période de 60 jours.

 


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Auteure

  • Marie-Pierre Boudreau, Avocate, Montréal, QC, +1 514 397 5120, mboudreau@fasken.com

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