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Lorsque la chaine déraille

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Bulletin en litiges et résolutions de conflits

Dans l’affaire Blais c. Laforce[1], la Cour d’appel confirme[2] qu’en présence d’un acte de vente comportant une renonciation claire à toute garantie légale de qualité, l’acquéreur d’un bien ne peut se prévaloir de cette garantie contre un vendeur antérieur.

Contexte factuel

En mai 2013, le défendeur et demandeur en garantie M. Michel Blais (« Blais ») acquiert un immeuble alors propriété de M. Terrence O’Reilly (l’« Immeuble »). L’acte de vente prévoit expressément que cette vente est conclue sans aucune garantie légale aux risques et périls de Blais.

Le 26 octobre 2018, les demandeurs principaux, Mme Chantal Ouellette et M. Michel Mayran (collectivement les « Demandeurs »), acquièrent à leur tour l’Immeuble des mains de Blais.

En octobre 2019, après avoir constaté que l’Immeuble est affecté de vices cachés, les Demandeurs introduisent un recours contre Blais.

En février 2020, Blais demande l’intervention forcée des Défendeurs en garantie, M. Léo Constant (« M. Constant ») et M. Robert Laforce (« M. Laforce »). Essentiellement, il allègue qu’étant poursuivi pour des prétendus vices cachés, il est en droit d’être indemnisé par ceux-ci de toute condamnation pouvant être prononcée contre lui sur la demande principale, puisque M. Constant et M. Laforce avaient antérieurement vendu l’Immeuble, respectivement en 2001 et 1982, avec la garantie légale de qualité[3].

M. Constant et M. Laforce présentent dès lors une demande en irrecevabilité, en soutenant que Blais ne peut se prévaloir contre eux de la garantie légale contre les vices cachés qu’eux-mêmes avaient consentie à leur acquéreur respectif, puisqu’il a acquis l’Immeuble sans aucune garantie légale et à ses risques et périls. Selon eux, la « chaine de transmission » des garanties légales accessoires aux ventes antérieures de l’Immeuble a été rompue en 2013[4].

Analyse

L’article 1442 du Code civil du Québec sert d’assise à la notion de transmissibilité des droits des parties à leurs ayants cause, dont la garantie légale de qualité en matière immobilière, laquelle constitue un accessoire de l’immeuble vendu[5].

En l’espèce, la question était donc de déterminer s’il est possible qu’un acquéreur, tout en renonçant à la garantie légale découlant de la vente immédiate du bien, puisse néanmoins se faire céder ou transmettre la ou les garanties légales qui découleraient des ventes antérieures[6].

Après avoir analysé la jurisprudence pertinente[7], la Cour supérieure conclut que le recours d'un sous-acquéreur contre un vendeur antérieur n’est possible que si son auteur n'a pas expressément renoncé à la garantie légale. Elle reconnait toutefois qu’il est possible qu’un acheteur puisse stipuler qu’il renonce à la garantie légale de son vendeur immédiat seulement. Ainsi, chaque cas est un cas d’espèce pour lequel il importe de cerner la véritable intention des parties[8].

Estimant qu’une clause selon laquelle l’acheteur achète « sans aucune garantie légale à ses risques et périls », telle que convenue par Blais, ne laisse place à aucune interprétation sur l’intention de l’acheteur qui indique alors vouloir acheter le bien sans aucune garantie[9], la Cour supérieure accueille la demande en irrecevabilité de M. Constant et M. Laforce.

La Cour d’appel est, elle aussi, d’avis que la renonciation à laquelle Blais a consenti ne souffre d’aucune ambiguïté[10]. Elle rejette ainsi l’appel de Blais.

Conséquemment, la Cour d’appel confirme qu’un vendeur d’un bien poursuivi pour vices cachés, alors qu’il a acheté ce bien à ses risques et périls, ne peut espérer obtenir le secours des auteurs de son vendeur même si ceux-ci ont vendu avec les garanties légales[11].

Conclusion

Le recours direct de l’acquéreur d’un bien contre un vendeur précédent présuppose la preuve que le droit d’action du premier acquéreur contre son vendeur a été transmis aux acquéreurs subséquents, sans que la « chaine de transmission » ne soit brisée dans l’intervalle, notamment, par une renonciation à la garantie légale. A contrario, une telle renonciation fera obstacle à un recours du sous‑acquéreur contre tout vendeur antérieur.

Sans tomber dans le cliché, chaque cas demeure un cas d’espèce, de sorte qu’en présence d’une clause de renonciation à la garantie légale, une analyse de l’intention des parties pourrait être nécessaire afin de cerner la portée véritable de ladite renonciation.

Soulignons toutefois que la Cour d’appel reconnait que la simple présence d’une telle clause permet d’imputer à l’acheteur une connaissance présumée de l’existence des vices allégués :

[9] L’exclusion de la garantie au moyen d’une clause expresse de type – vente sans aucune garantie légale aux risques et périls – constitue un avertissement sérieux fait à l’acheteur que le bien est vendu sans aucune garantie en dépit des vices qui peuvent l’affecter. Cette clause permet d’imputer à l’acheteur une connaissance présumée de l’existence des vices qui elle-même constitue une cause d’interruption de la garantie au bénéfice des vendeurs profanes antérieurs. [12]

À la lumière des enseignements de la Cour d’appel et considérant que les clauses standards de renonciation à la garantie légale sont souvent rédigées de manière générique, nous ne pouvons qu’insister sur l’importance de la terminologie employée lors de la rédaction d’une telle clause et donc, sur l’importance d’être adéquatement conseillé à cet égard.


[1]      2022 QCCA 858 (l’« Arrêt »).

[2]      Voir antérieurement Compagnie d’assurances ING du Canada c. Gervais, 2018 QCCQ 7152, paras. 17, 19-23, et Légère c. 131666 Canada inc., 2012 QCCS 1850, para. 79.

[3]      Paragraphe 6 du jugement de première instance.

[4]      Paragraphe 7 du jugement de première instance.

[5]      Paragraphe 33 du jugement de première instance; paragraphe 5 de l’Arrêt.

[6]      Paragraphe 34 du jugement de première instance.

[7]      Notamment les arrêts Hay c. Jacques, J.E. 99-1856 et Dupuy c. Leblanc, 2016 QCCA 1141.

[8]      Paragraphes 40 et 41 du jugement de première instance.

[9]      Paragraphe 44 du jugement de première instance.

[10]     Paragraphes 10 et 11 de l’Arrêt.

[11]     Paragraphe 8 de l’Arrêt.

[12]     Paragraphe 9 de l’Arrêt.

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Auteurs

  • Steven Brassard, Avocat | Litiges et résolution de conflits, Québec, QC, +1 418 640 2034, sbrassard@fasken.com
  • Dave Robitaille, Associé | Litige commercial, Québec, QC, +1 418 640 2083, drobitaille@fasken.com
  • Yves Chassé, Associé | Droit immobilier, Québec, QC, +1 418 640 2070, ychasse@fasken.com

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