Introduction
Le 3 mai 2022, la Cour d’appel du Québec a rendu sa décision dans l’affaire Succession de Plante[1], réitérant le caractère fondamental du secret professionnel du notaire et la protection de celui-ci à l’égard des dispositions testamentaires antérieures au dernier testament d’un testateur. Ce faisant, la Cour a établi les critères devant être remplis pour qu’un tribunal puisse exceptionnellement lever le secret professionnel et ordonner la communication d’un acte testamentaire révoqué.
Historique procédural
Suite au décès de leur père, les appelants ont déposé auprès de la Cour supérieure une demande d’ordonnance de communication ou de délivrance d’un acte notarié en vertu de l’article 485 du Code de procédure civile (« compulsoire ») afin d’obtenir copie de cinq actes testamentaires antérieurs au dernier testament, exécutés par celui-ci entre 1998 et 2017. Ils désiraient prendre connaissance de ces documents et ainsi évaluer la possibilité de contester la validité du dernier testament. Afin de justifier leur demande, les appelants alléguaient posséder l’intérêt nécessaire et avoir des raisons de penser que le défunt n’avait pas la capacité mentale ou physique nécessaire au moment de la signature de son dernier testament et qu’il avait été victime de captation.
L’honorable Louis-Paul Cullen, J.C.S. a initialement rejeté la demande des appelants, concluant qu’il n’y avait pas lieu à cette étape du dossier de mettre de côté le secret professionnel appartenant au testateur[2]. De l’avis du juge de première instance, les motifs invoqués par les appelants n’étaient « pas suffisants à eux seuls pour faire naitre une présomption de faits d’incapacité ou de captation s’appuyant sur des faits graves, précis et concordants[3] ». Les appelants ont subséquemment porté cette décision en appel, alléguant notamment que le juge de première instance avait erré en exigeant la preuve par présomption de fait d’incapacité ou de captation à ce stade-ci du dossier.
L’ appel n’était pas contesté, mais la Chambre des notaires du Québec a déposé un acte d’intervention avec l’objectif de sensibiliser la Cour à certains enjeux liés à la portée du secret professionnel du notaire dépassant les intérêts personnels des parties concernées. Un peu moins d’un mois avant l’audience, la Chambre des notaires a obtenu la permission de la Cour afin d’intervenir au débat et soumettre ses observations.
Arrêt de la Cour d’appel
Tout d’abord, la Cour d’appel réitère que le secret professionnel doit demeurer aussi absolu que possible et qu’il ne doit y être porté atteinte que lorsque cela est absolument nécessaire, reprenant les enseignements de la Cour suprême[4].
La Cour confirme ensuite que le secret professionnel ne meurt pas avec le testateur et continue de bénéficier aux actes testamentaires révoqués antérieurs au dernier testament, prenant appui sur le second alinéa de l’article 484 du Code de procédure civile. Le secret professionnel ne sera levé qu’exceptionnellement s’il est dans l’intérêt de la justice de le faire, détermination qui sera faite au regard de la protection du de cujus et du respect de ses réelles dernières volontés. En raison de sa nature personnelle et extrapatrimoniale, l’héritier ou encore le liquidateur de la succession n’a pas le pouvoir de relever le notaire de son secret professionnel de sa seule volonté, comme l’a déjà affirmé la Cour d’appel dans l’arrêt Tanzer[5].
La Cour établit ensuite qu’afin d’établir l’existence de cet intérêt de la justice à la communication de l’acte révoqué, le demandeur doit d’abord démontrer qu’il a des raisons sérieuses de croire qu’il a un intérêt juridique à contester la validité du dernier testament. Par la suite, il doit être en mesure de soulever un doute sérieux quant à la validité du dernier acte testamentaire, en démontrant l’existence de motifs ou d’indices suffisamment probants, soulevant des doutes raisonnables ou rendant vraisemblable l’invalidité du testament. À un stade aussi préliminaire du dossier, il ne s’agirait d’exiger une preuve de l’invalidité du dernier testament ou encore de faire naitre une présomption de fait de cette invalidité, contrairement à ce que laissait entendre le juge de première instance dans sa décision.
La Cour précise ensuite que dans le cas où le tribunal conclut que la communication d’actes testamentaires révoqués est nécessaire, l’ordonnance doit se limiter aux seuls actes nécessaires à la contestation de la validité du dernier testament, pour le motif d’invalidité invoqué.
Bien qu’étant d’avis que le juge de première instance avait erronément formulé le fardeau de preuve incombant aux appelants, la Cour d’appel a rejeté l’appel et confirmé la décision de la Cour supérieure, l’erreur n’ayant pas été déterminante. En effet, la Cour conclut également que les allégations générales et la preuve mince présentée par les appelants en première instance ne permettaient pas de lever le secret professionnel. De plus, la Cour constate que la demande des appelants participait d’une recherche à tâtons, ces derniers désirant obtenir une copie de tous les actes testamentaires depuis 1998, soit bien avant l’époque visée par les allégations d’invalidité.
Conclusion
Dans le cadre de l’arrêt Succession de Plante, la Cour d’appel s’est prononcée pour la première fois sur un appel d’un jugement portant sur une demande d’ordonnance de communication ou de délivrance d’un acte notarié en vertu de l’article 485 du Code de procédure civile.
Cet arrêt guidera dorénavant les tribunaux dans leur analyse des critères applicables justifiant de lever le secret professionnel et d'ordonner la communication d'un acte testamentaire révoqué dans le cadre de cette procédure dite d’exception.
Ce cadre d’analyse pourrait toutefois être appelé à évoluer, le législateur québécois ayant fait connaitre son intention de modifier les dispositions sur la délivrance d’actes notariés contenues aux articles 484 et 485 du Code de procédure civile, par la présentation le 31 mai 2022 du projet de loi no 40[6]. Ce projet de loi s’inscrit dans un désir de promouvoir l’utilisation des technologies de l’information dans le cadre de l’exercice de la profession notariale.
[1] Succession de Plante, 2022 QCCA 604.
[2] Plante c. Dauphinais, 2021 QCCS 5780.
[3] Id., par. 7.
[4] Canada (Procureur général) c. Chambre des notaires du Québec, 2016 CSC 20, par. 28.
[5] Tanzer c. Spector, 2017 QCCA 1090, par. 33 et 42.
[6] Loi visant principalement à améliorer l’accès à la justice en simplifiant la procédure civile à la Cour du Québec et en réalisant la transformation numérique de la profession notariale, projet de loi no 40 (Présentation – 31 mai 2022), 2e sess., 42e légis. (Qc).