ETH a éliminé le minage dans le cadre de ses efforts pour amener Ethereum vers un avenir de plus en plus évolutif. Les détenteurs d’ETH peuvent gagner des récompenses en validant activement les transactions au moyen d’un mécanisme appelé « mise en jeu ». Dans cet article, nous examinons les répercussions possibles de ce changement sur le plan du droit des valeurs mobilières. En dépit des arguments solides à l’appui de la position selon laquelle l’ETH n’est pas une valeur mobilière, la SEC a déjà indiqué que dans la mesure où les détenteurs d’ETH s’attendent à générer un revenu passif par mise en jeu et à obtenir un rendement du travail de tiers, l’ETH se rapproche d’une qualification de valeur mobilière.
La fusion
Ethereum, émetteur d’ETH, qui occupe la deuxième place au classement mondial des cryptomonnaies les plus importantes par capitalisation de marché, a récemment procédé à une « fusion » dans le cadre de laquelle son réseau principal (Mainnet) passe d’une validation du réseau par « preuve du travail » à une validation par « preuve d’enjeu ». Ethereum s’attend à ce que cette transition réduise à elle seule sa consommation d’énergie d’environ 99,95 % [1]; en outre, des calculs distincts ont permis d’établir que la fusion entraînerait une diminution de consommation totale d’énergie dans le monde de 0,2 à 0,5 %. Au-delà des économies d’énergie, Ethereum prévoit que la fusion améliorera la sécurité du réseau et qu’elle constituera une première étape cruciale vers un avenir de plus en plus évolutif pour Ethereum [2].
La fusion a été largement anticipée et soutenue par les principaux acteurs du secteur de la chaîne de blocs et du secteur technologique. Patrick Collision, le PDG de Stripe, par exemple, a décrit, dans un gazouillis, la fusion comme étant une initiative de « développement de code source ouvert soutenue, ambitieuse [et] techniquement difficile ».
Adieu minage, bonjour « staking »
L’une des plus grandes avancées de la fusion est de rendre le minage dans le réseau principal d’Ethereum obsolète. Le minage fait place au mécanisme appelé « staking » ou « mise en jeu », un processus de participation active à la validation des transactions. Toute personne qui détient des ETH peut participer à la mise en jeu en plaçant des ETH dans un « nœud » faisant partie de la chaîne de blocs d’Ethereum. Lorsqu’une personne utilise un « nœud » pour valider une transaction, son ETH sert de garantie pendant le processus de validation. Elle obtient ensuite une récompense après la validation.
Chaque nœud est constitué de 32 ETH – ce qui signifie que toute personne ou organisation détenant cette quantité d’ETH peut créer un nœud qui ferait partie du réseau de preuve d’enjeu de l’Ethereum. Les personnes détenant moins de 32 ETH peuvent quand même participer à un nœud en mettant leurs ETH en commun avec d’autres afin de créer des nœuds de validation par l’intermédiaire de services de mise en jeu tiers. Les récompenses qu’offre la mise en jeu d’ETH varient – au moment de la rédaction du présent article, la récompense pour la mise en jeu d’un ETH se situe à un taux annuel de pourcentage (« TAP ») variant entre 3,86 % et 4,8 %, ce qui signifie qu’à l’issue d’une période de 12 mois, la personne serait récompensée par un rendement d’environ 1,5 ETH par nœud de validation, ce qui correspondait à environ 7 200 $ US au pic de la valeur monétaire des ETH et correspond à environ 1 950 $ US en ce moment.
Qu’est-ce que le droit des valeurs mobilières a à voir avec la mise en jeu?
Gery Gensler, président de la Securities and Exchange Commission (la « SEC »), a déclaré, le 15 septembre 2022, que tout réseau de devises numériques ou intermédiaires qui permet aux utilisateurs de mettre en jeu leurs jetons pouvait être considéré comme une valeur mobilière selon le critère établi dans la décision Howey [3]. Le critère de la décision Howey est le principal critère utilisé par les tribunaux américains pour déterminer si une transaction donnée est un « contrat de placement » et, par conséquent, est assujettie à la législation sur les valeurs mobilières, en examinant, parmi d’autres facteurs, si les investisseurs s’attendent à obtenir un rendement du travail de tiers. Le test de la décision Howey est presque identique à celui utilisé par les tribunaux canadiens aux mêmes fins, soit celui tiré de l’arrêt Pacific Coast Coin Exchange.
Bien qu’il y ait de bonnes raisons de penser que les ETH ne sont pas des valeurs mobilières, les organismes de réglementation pourraient tout de même tenter de déterminer que les intermédiaires qui permettent aux détenteurs de mettre en jeu leurs ETH offrent des valeurs mobilières selon les tests des arrêts Howey ou Pacific Coast Coin Exchange. Du point de vue d’un organisme de réglementation, dans le cadre de l’ancien protocole par preuve de travail, les mineurs d’ETH employaient leur temps et leur pouvoir de calcul au traitement des opérations et à la production de blocs. Désormais, avec le mécanisme de preuve d’enjeu, les validateurs immobilisent leurs ETH et s’attendent à des flux de profits, un processus sans doute plus proche de l’investissement. À tout le moins, comme l’a déclaré M. Gensler, [Traduction] « du point de vue du jeton […] il s’agit d’un autre indice qu’en fonction du test de la décision Howey, le public investisseur s’attend à tirer des bénéfices grâce aux efforts d’autrui » [4].
Arguments à l’encontre de la qualification des ETH comme valeur mobilière
Il existe encore des raisons convaincantes pour lesquelles les ETH, malgré la fusion, ne devraient pas être considérés comme des valeurs mobilières. La plus importante est que l’ETH est émis par un protocole décentralisé, contrairement aux actions ordinaires d’une société d’exploitation gérée par une équipe de direction centralisée. Dans ce contexte, on pourrait soutenir que l’élément « efforts d’autrui » des critères susmentionnés signifie les efforts de tous les détenteurs d’ETH à l’échelle mondiale et qu’il n’est donc pas certain que les ETH puissent satisfaire de manière convaincante aux critères établis par les décisions Howey et Pacific Coast Coin Exchange.
Deuxièmement, les récompenses obtenues par un validateur ne dépendent pas d’une « entreprise commune » – un validateur reçoit des récompenses lorsque le nœud qu’il maintient accomplit ses fonctions. En d’autres termes, les bénéfices qu’obtient une personne engagée dans des activités de validation ne dépendent pas du succès ou de l’échec d’autrui.
Un troisième point est que, pour recevoir des récompenses au moyen de la mise en jeu, les détenteurs d’ETH doivent, à tout le moins, maintenir certaines configurations logicielles et une connexion Internet et veiller au bon fonctionnement de leur nœud de validation, et ce, même lorsqu’ils recourent aux services d’un intermédiaire pour effectuer une mise en jeu. Il s’agit là d’un travail que les détenteurs de la plupart des actions offertes par une équipe de direction centralisée n’ont pas besoin d’effectuer. On pourrait soutenir que les validateurs assurent un service particulier plus qu’ils ne tirent profit des actions d’autrui.
Enfin, les validateurs d’Ethereum courent également le risque que leurs ETH soient confisqués, un processus par lequel le réseau Ethereum reprend automatiquement les ETH d’un validateur – et parfois le nœud complet – en sanction de mauvais agissements pouvant être, par exemple, l’exécution de validations malhonnêtes. C’est un élément de plus à l’appui de l’argument selon lequel les validateurs d’Ethereum gagnent des récompenses grâce à leurs propres efforts, et non grâce aux efforts d’autres investisseurs ou des développeurs d’Ethereum.
Un examen plus approfondi demeure un risque
Tant la SEC que les organismes canadiens de réglementation des valeurs mobilières, y compris la Commission des valeurs mobilières de l’Ontario (la « CVMO »), ont démontré une volonté de réglementer l’espace de la chaîne de blocs et de qualifier certaines cryptomonnaies de valeurs mobilières. La mesure de réglementation la plus connue est peut-être l’action intentée par la SEC contre Ripple Labs. Dans cette affaire toujours en cours, la SEC fait valoir que Ripple Labs a récolté plus de 1,3 milliard de dollars en offrant des valeurs mobilières numériques non inscrites dans le cadre d’un appel public à l’épargne continu. Cette action en justice n’est qu’une des nombreuses démarches entreprises par la SEC afin de tenter de réglementer le monde de la cryptomonnaie. Dans ce même objectif, la SEC a récemment déclaré que neuf jetons numériques sont des valeurs mobilières ou pourraient être qualifiés de valeurs mobilières, à savoir AMP, RLY, DDX, XYO, RGT, LCX, POWR, DFX et KROM. La SEC a fait cette déclaration à l’occasion du premier procès pour délit d’initiés dans le contexte de cryptomonnaies. La SEC ne fait qu’accroître ses capacités à réglementer les sociétés de chaîne de blocs, comme en témoigne l’annonce de son intention de faire passer le personnel de son service cybernétique de 30 à 50 employés et de le rebaptiser « Crypto Assets and Cyber Unit ».
De même, la CVMO réglemente le secteur de la chaîne de blocs en Ontario et établit des précédents pour d’autres provinces canadiennes dans leurs tentatives de réglementer les cryptomonnaies et les sociétés de chaîne de blocs. L’Ontario, par exemple, a interdit à ses résidents d’utiliser Binance, la plus importante bourse de cryptomonnaie au monde. Le 22 juin 2022, la CVMO a également annoncé le résultat de [Traduction] « deux mesures d’application efficaces contre les plateformes de négociation de cryptoactifs non conformes, [Bybit et KuCoin] » [5].
En dépit d’arguments convaincants s’opposant à ce que les ETH soient qualifiés de valeurs mobilières, les organismes de réglementation suivent néanmoins de près les violations potentielles de la réglementation des valeurs mobilières. Il est possible que ce ne soit qu’une question de temps avant que les échanges et autres services de mise en commun ne fassent l’objet d’une surveillance plus approfondie de la part de la SEC ou de la CVMO.
[1] Ethereum, La fusion (15 septembre 2022).
[3] Paul Kiernan et Vicky Ge Huang, « Ether’s New ‘Staking’ Model Could Draw SEC Attention », Wall Street Journal (15 septembre 2022).
[5] CVMO, « OSC holds global crypto asset trading platforms accountable » (22 juin 2022).