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Modifications à la Loi sur la concurrence du Canada et litiges entre parties privées en matière de droit de la concurrence : conseils sur la conformité à l’intention des entreprises exerçant leurs activités au Canada

Fasken
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Bulletin litiges et résolution de conflits

Des modifications importantes à la Loi sur la concurrence (la « Loi ») du Canada viennent d’entrer en vigueur. Elles peuvent être divisées en cinq catégories : (i) abus de position dominante, (ii) complot criminel et collaboration entre concurrents, (iii) commercialisation et protection des consommateurs, (iv) examen des fusions et (v) collecte d’éléments de preuves. Toutes les modifications sont actuellement en vigueur, hormis l’introduction d’une nouvelle infraction relative aux accords de fixation des salaires et de non-débauchage et l’augmentation des peines encourues au titre des dispositions de la Loi relativement aux complots criminels, qui entreront en vigueur le 23 juin 2023.

Trois catégories de modifications devraient élargir la portée et la nature potentielles des litiges entre parties privées en matière de droit de la concurrence (y compris les actions collectives) au Canada : 

i. Fixation des salaires/Non-débauchage : introduction d’une nouvelle infraction relative aux accords dits de fixation des salaires et de non-débauchage des employés;

ii. Indication de prix partiel : disposition selon laquelle « l’indication de prix partiel » est réputée être une pratique commerciale trompeuse; et

iii. Abus de position dominante : introduction d’un droit d’action privé pour abus de position dominante, élargissement du champ des agissements tombant sous le coup des dispositions sur l’abus de position dominante et augmentation des peines pécuniaires encourues pour violation de ces dispositions.

Ce billet de blogue expose les grandes lignes de ces trois catégories de modifications et fournit des conseils sur la conformité aux entreprises qui exercent leurs activités au Canada afin de les aider à atténuer (et à prévenir) les risques de litige.  

Introduction d’une nouvelle infraction relative aux accords dits de fixation des salaires et de non-débauchage des employés

a. Aperçu de la nouvelle infraction 

Le 23 juin 2023, les infractions relatives aux complots criminels prévues par la Loi comprendront une interdiction des accords dits (i) de « fixation des salaires », lesquels « fixent, maintiennent, réduisent ou contrôlent les salaires, les traitements ou les autres conditions d’emploi » et (ii) des accords de « non-débauchage » par lesquels des employeurs non affiliés s’engagent à « ne pas solliciter ou embaucher des employés de l’autre ». 

Comme pour les dispositions existantes en matière de complot, cette nouvelle disposition permettrait de déduire l’existence d’accords de fixation des salaires et d’accords de non-débauchage à partir de preuves circonstancielles, et inclurait à la fois une défense fondée sur les restrictions accessoires et une défense fondée sur une activité réglementée. Ce changement vise à ce que l’approche du Canada à l’égard de ces différents types d’accords s’harmonise à celle, très controversée, adoptée par le département de la Justice des États-Unis (division antitrust).  

Ces modifications ne semblent pas exiger que les employeurs soient des concurrents réels ou potentiels, ce qui diffère du cadre qui s’applique aux dispositions générales sur les complots de la Loi.

b. Droit d’action privé

Le risque lié au contrôle de l’application de la loi par les autorités publiques est grand puisque ces modifications feront passer les amendes prévues en vertu des dispositions pénales relatives aux complots criminels d’un maximum de 25 millions de dollars à un montant déterminé « à la discrétion du tribunal ». De plus, les employeurs sont désormais exposés à un risque de contrôle de l’application de la loi par des personnes privées, principalement sous la forme d’actions collectives.

En particulier, le paragraphe 36(1) de la Loi confère un droit d’action en dommages-intérêts à quiconque a subi des pertes ou des dommages par suite d’un comportement allant à l’encontre des dispositions de la partie VI de la Loi (c’est-à-dire les infractions criminelles à la Loi, dont la nouvelle infraction relative aux accords de fixation des salaires et de non-débauchage). Le tribunal peut accorder une réparation en vertu du paragraphe 36(1) de la Loi si l’intéressé démontre, selon la prépondérance des probabilités, qu’il a subi une perte ou des dommages par suite d’un comportement allant à l’encontre d’une disposition de la partie VI de la Loi. La perte ou les dommages indemnisables en vertu de la Loi se limitent à la simple réparation, soit une somme égale au montant de la perte ou des dommages que la personne est reconnue avoir subis, ainsi que toute somme supplémentaire que le tribunal peut fixer et qui n’excède pas le coût total, pour cette personne, de toute enquête relativement à l’affaire et des procédures engagées en vertu du paragraphe 36(1).

Par le passé, les actions collectives alléguant un comportement allant à l’encontre d’une disposition de la partie VI de la Loi portaient habituellement sur des cas de collusion (par exemple, fixation des prix, truquage des offres) et, dans une moindre mesure, sur des pratiques commerciales trompeuses à caractère criminel. Depuis la trilogie des arrêts de 2013 de la Cour suprême du Canada dans les affaires Pro-Sys, Sun-Rype et Infineon, et son arrêt de 2019 dans l’affaire Godfrey, le nombre d’actions collectives intentées au Canada a augmenté. On peut s’attendre à ce que la nouvelle infraction relative aux accords de fixation des salaires et de non-débauchage, qui figure à la partie VI de la Loi, soit invoquée dans de nouvelles actions collectives en matière de concurrence intentées après le 23 juin 2023.

c. Conformité et atténuation des risques 

Voici quelques conseils sur la conformité et l’atténuation des risques que les entreprises exerçant leurs activités au Canada peuvent mettre en œuvre avant juin 2023 :  

  • Revoir les pratiques en RH et élargir les mesures de conformité – Les pratiques en matière de ressources humaines (« RH ») doivent être examinées afin de s’assurer que les employeurs ne sont pas impliqués dans des pratiques pouvant être considérées comme (i) des accords ou arrangements de fixation des salaires ou de non-débauchage, ou (ii) un partage inapproprié d’informations pouvant être perçu comme facilitant ce genre d’accord ou d’arrangement. Nous pensons que de nombreuses entreprises exerçant leurs activités au Canada ont déjà mis en place de solides mesures de conformité en matière de concurrence et d’antitrust vis-à-vis des infractions générales de complot prévues par la Loi. Ces mesures de conformité devraient désormais être étendues aux pratiques et aux professionnels des RH. Étant donné que cette modification n’entrera pas en vigueur avant le 23 juin 2023, il est possible de prendre le temps nécessaire pour engager des mesures d’audit appropriées et développer des pratiques exemplaires.
  • Faire preuve de prudence avec les clauses de non-sollicitation – Les clauses de non-sollicitation ou autres dispositions relatives aux employés dans les accords transactionnels doivent tenir compte de la nouvelle interdiction de fixation des salaires et de non-débauchage. En particulier, les dispositions qui vont au-delà de ce qui peut être typique en termes de durée et de portée doivent être examinées de près, de manière à s’assurer qu’elles sont raisonnablement nécessaires pour atteindre l’objectif de l’accord de transaction plus large et se rattachent directement à cet objectif.

Disposition selon laquelle « l’indication de prix partiel » est réputée être une pratique commerciale trompeuse

a. Aperçu 

La Loi comprend maintenant une disposition prévoyant explicitement que l’indication de prix partiel est réputée constituer une indication fausse ou trompeuse aux fins des dispositions civiles de la Loi relativement aux pratiques commerciales trompeuses et des dispositions criminelles de la Loi relativement aux indications fausses ou trompeuses. Plus précisément, le fait d’offrir un produit ou un service à un prix inatteignable en raison de frais ou de droits obligatoires fixes qui s’y ajoutent sera réputé constituer une indication fausse ou trompeuse, sauf si les frais ou droits obligatoires ne représentent que le montant imposé en vertu d’une loi fédérale ou provinciale. Par le passé, en cas d’accusations d’indication de prix partiel portées sous le régime des dispositions générales de la Loi relativement aux indications fausses ou trompeuses, notamment dans des affaires concernant la location de voitures et l’achat de billets en ligne, le commissaire de la concurrence avait le fardeau de prouver que de telles déclarations étaient fausses et trompeuses; la modification apportée vise à supprimer ce fardeau.

Dans de précédentes actions collectives, des demandeurs ont également invoqué d’autres dispositions de la Loi à l’appui de théories du préjudice reposant sur l’indication de prix partiel et d’autres indications sur les frais supposément trompeuses dans des publicités sur le prix. Par exemple, dans des actions collectives portant sur les frais de bagages (décision en anglais seulement) et les réservations d’hébergement en ligne, les demandeurs se sont fondés sur une disposition plus obscure de la Loi, dite du double étiquetage (article 54). Le contexte législatif de l’article 54 permet de croire qu’au moment de son adoption, cette disposition visait à empêcher l’affichage de deux étiquettes de prix sur un seul produit plutôt que l’indication de prix partiel, surtout dans le contexte du commerce en ligne.

Les actions collectives pour indication de prix partiel et autres indications sur les frais supposément trompeurs dans les publicités sur le prix qui seront intentées à l’avenir pourraient être fondées sur la disposition explicite de la Partie IV de la Loi selon laquelle l’indication de prix partiel est réputée être une pratique commerciale préjudiciable. Comme mentionné plus haut, le paragraphe 36(1) de la Loi confère un droit d’action en dommages-intérêts à quiconque a subi des pertes ou des dommages par suite d’un comportement allant à l’encontre des dispositions de la partie VI de la Loi, notamment l’article 52 relatif aux pratiques commerciales trompeuses criminelles.

b. Conformité et atténuation des risques

Voici des conseils à l’intention des entreprises sur la conformité et l’atténuation des risques après l’entrée en vigueur des modifications :

  • Prix principaux représentant les frais obligatoires – Les entreprises qui font de la publicité sur les prix, que ce soit directement ou indirectement, par l’intermédiaire de tiers, doivent veiller à ce que les prix principaux représentent les frais obligatoires et à ce que la publicité comporte toutes les informations importantes de manière claire et exhaustive. À cet égard, les entreprises devraient tenir compte à la fois du sens littéral et de l’impression générale véhiculés par une publicité.
  • Élargissement des mesures de conformité – Les entreprises devraient veiller à ce que les employés qui participent à la publicité et au marketing (en particulier ceux qui font de la publicité sur les prix) reçoivent une formation adéquate en matière de conformité.

Abus de position dominante : nouveau droit d’action privé pour abus de position dominante, élargissement du champ des agissements visés et augmentation des peines pécuniaires

Les parties privées sont désormais autorisées à demander la permission d’intenter une action en réparation devant le Tribunal de la concurrence du Canada (le « Tribunal ») pour abus de position dominante allégué. Avant que cette modification s’applique, seul le commissaire de la concurrence pouvait réclamer une réparation devant le Tribunal de la concurrence pour abus de position dominante. Plus précisément, les parties privées qui sont « gravement gênées » par la conduite anticoncurrentielle alléguée d’une entreprise en position dominante peuvent désormais, si elles obtiennent la permission du Tribunal, présenter au Tribunal une demande privée d’ordonnance en vertu des dispositions relatives à l’abus de position dominante.

Ce nouveau droit d’action privé devrait être analysé en conjonction avec deux autres modifications importantes touchant les dispositions de la Loi en ce qui concerne l’abus de position dominante, à savoir l’élargissement du champ des agissements tombant sous le coup de ces dispositions, ainsi que l’élévation considérable des peines pécuniaires encourues par une défenderesse jugée y avoir contrevenu.

a. Élargissement du champ des agissements visés 

La jurisprudence qui découle des dispositions relatives à l’abus de position dominante a historiquement établi qu’un « agissement anticoncurrentiel » est une action destinée à évincer, exclure ou mettre au pas un concurrent, ou à nuire à la concurrence sur un marché pertinent que l’entreprise dominante contrôle substantiellement ou complètement, et ce, que le concurrent et l’entreprise dominante partagent ou non le même marché. Les modifications apportées à la Loi élargissent cette définition de l’agissement anticoncurrentiel pour y inclure les agissements qui sont destinés à « avoir un effet négatif sur la concurrence », par exemple « une réponse sélective ou discriminatoire à un concurrent actuel ou potentiel », y compris les concurrents émergents. Les agissements qui ont un effet négatif sur des considérations autres que le prix sont aussi explicitement pris en compte, comme l’effet des entraves à l’accès au marché (y compris les effets de réseau), la qualité, le choix et la vie privée des consommateurs, ainsi que la nature et la portée des changements et des innovations dans le marché.  

b. Augmentation des sanctions pécuniaires 

Les sanctions administratives pécuniaires disponibles ont considérablement augmenté : elles peuvent aller de 10 millions de dollars (pour une première violation commise par une personne morale) à trois fois la valeur du bénéfice tiré du comportement ou, si ce montant ne peut être déterminé raisonnablement, jusqu’à 3 % du revenu global brut annuel de cette partie. Curieusement, il semble que ces modifications ne permettraient pas au Tribunal d’ordonner le versement d’une sanction administrative pécuniaire à la demanderesse privée lorsqu’il conclut que la défenderesse a abusé de sa position dominante. Le statu quo est maintenu : le Tribunal ne peut condamner la défenderesse au paiement d’une sanction administrative pécuniaire qu’au gouvernement du Canada.

Si le Tribunal n’a pas le pouvoir d’octroyer une indemnité financière à la demanderesse, rien n’empêche toutefois cette dernière et la défenderesse de conclure un règlement privé. Un tel règlement privé pourrait par exemple prévoir que la demanderesse abandonnera son action privée (ou n’en intentera pas) en contrepartie notamment d’une somme d’argent. Autrement dit, rien ne s’oppose à ce que les parties parviennent à un règlement favorable, directement ou indirectement.

c. Conformité et atténuation des risques

Voici des conseils à l’intention des entreprises sur la conformité et l’atténuation des risques après l’entrée en vigueur des modifications :

  • Examiner de près l’effet concurrentiel des stratégies commerciales – Les entreprises considérées comme ayant une part de marché élevée dans un ou plusieurs marchés pertinents (pouvant généralement, mais pas nécessairement atteindre 50 %) devraient examiner de près l’effet concurrentiel de leurs agissements commerciaux (un portrait plus large de l’effet concurrentiel). L’examen n’est plus limité à la question de savoir si le comportement est une action destinée à évincer, exclure ou mettre au pas un concurrent, mais s’étend désormais à un ensemble plus large de questions, notamment celles de savoir : (i) si le comportement peut avoir un effet négatif sur la concurrence (y compris sur les marchés en amont et en aval); (ii) si le comportement peut être considéré comme une réponse sélective ou discriminatoire à un concurrent actuel ou potentiel, y compris les nouveaux concurrents émergents; (iii) si le comportement a un effet sur les entraves à l’accès au marché, y compris les effets de réseau; et (iv) si le comportement affecte les dimensions non tarifaires de la concurrence, telles que la qualité, le choix et la vie privée des consommateurs.
  • Tenir compte de la vie privée des consommateurs – La manière dont la protection de la vie privée des consommateurs doit être prise en compte dans le cadre de l’examen de l’effet concurrentiel en contexte de position dominante reste encore à établir. On ne sait pas non plus ce que la Loi peut apporter sur le plan de la protection de la vie privée qui ne puisse pas être prévu par la réglementation en droit de la protection des renseignements personnels. Il est possible que la protection de la vie privée soit considérée comme un aspect de la qualité que les entreprises peuvent mettre de l’avant pour se faire concurrence, auquel cas les entreprises devraient inclure cet élément d’analyse dans l’évaluation de leurs politiques de protection de la vie privée des consommateurs.

Autres commentaires

Le 24 juin 2022, le Bureau a publié un communiqué de presse annonçant l’adoption de ces modifications. Il a également publié un court Guide des modifications et commencé à offrir des séances d’information publiques en ligne sur celles-ci. En outre, il devrait publier sous peu des directives à jour destinées aux entreprises, pour permettre aux intervenants d’être informés au sujet des modifications. Notamment, le Bureau a indiqué que ces modifications ne constituaient qu’une « phase préliminaire de la modernisation de la législation canadienne sur la concurrence ». On peut s’attendre à ce que d’autres modifications fondamentales soient apportées à la Loi dans le cadre des efforts déployés par le gouvernement pour moderniser et renforcer le droit sur la concurrence au Canada.

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Auteur

  • Antonio Di Domenico, Associé, Toronto, ON, +1 416 868 3410, adidomenico@fasken.com

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