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Les clauses de « paiement sur paiement » doivent être claires et non équivoques

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Bulletin de construction

La décision rendue récemment par la Cour du Banc du Roi de l’Alberta dans l’affaire Canadian Pressure Testing Technologies Ltd. v. EllisDon Industrial Inc. [1] (« Canadian Pressure ») fournit une piste de réponse à une question qui demeure controversée en droit canadien : dans quelles circonstances une clause de paiement dans un contrat de construction signifie-t-elle réellement une clause de « paiement sur paiement », de sorte qu’elle encadre l’obligation de payer, et dans quelles circonstances a-t-elle simplement une incidence sur le moment du paiement? La réponse à cette question, qui a évolué au fil du temps, varie d’une province canadienne à une autre et continue d’avoir des répercussions importantes sur les parties contractantes dans l’industrie de la construction.

Même s’il s’agit d’une décision émanant des tribunaux albertains, l’affaire Canadian Pressure énonce deux bonnes pratiques en matière de clauses de « paiement sur paiement », qui trouvent application également en Ontario :

  1. La clause de paiement doit indiquer clairement l’intention des parties contractantes. Si l’intention des parties contractantes est que l’obligation de paiement en aval dépende du paiement d’un payeur en amont, la clause de paiement devrait préciser cette intention explicitement et sans ambiguïté. De même, si la clause de paiement ne vise qu’à établir le moment du paiement sans limiter l’obligation ultime de payer, cet objectif devrait également être énoncé explicitement.
  2. L’entrepreneur qui veut se prévaloir d’une clause de « paiement sur paiement » doit s’assurer que le non-paiement par le propriétaire ne résulte pas d’une faute commise par lui. Dans la jurisprudence ontarienne, il a été établi qu’un entrepreneur ne peut invoquer une clause de « paiement sur paiement » pour éviter d’effectuer ses propres paiements si le non-paiement du propriétaire est attribuable aux actions ou omissions de l’entrepreneur. 

Dans l’affaire Canadian Pressure, la Cour du Banc du Roi de l’Alberta s’est penchée sur l’interprétation d’une clause de paiement dans un contrat en vigueur entre un entrepreneur général et un sous-traitant. La clause contestée prévoyait ce qui suit [traduction] :

[Entrepreneur général] versera à [Sous-traitant] des paiements mensuels au prorata des travaux, déduction faite de toute retenue applicable. Ces paiements viendront à échéance au plus tard cinq (5) jours ouvrables après la réception par [Entrepreneur général] du paiement du propriétaire conformément aux modalités du contrat principal [...].

L’entrepreneur général dans l’affaire en l’espèce avait payé son sous-traitant pour tous les travaux, à l’exception de certaines factures finales. L’entrepreneur général n’avait pas reçu de paiement du propriétaire pour ces factures, car ce montant était compris dans une procédure d’arbitrage entamée pour un autre différend entre l’entrepreneur et le propriétaire. La Cour du Banc du Roi de l’Alberta a énoncé, en se fondant sur la preuve dont elle disposait, que l’entrepreneur n’avait pas obtenu l’approbation préalable du propriétaire à l’égard des travaux visés par la procédure d’arbitrage.

La principale question en litige dans l’affaire Canadian Pressure était de savoir si la clause de paiement entre l’entrepreneur général et le sous-traitant était une clause de « paiement sur paiement » ou une clause de « paiement au plus tard ».

La distinction entre ces types de clauses est importante : avec une clause de « paiement sur paiement », l’entrepreneur n’est pas tenu de payer un sous-traitant tant qu’il n’a pas reçu le paiement du propriétaire. Si l’entrepreneur ne reçoit aucun paiement du propriétaire, l’obligation de payer le sous-traitant ne prend jamais effet. En revanche, la clause de « paiement au plus tard » porte sur le moment du paiement, mais n’a aucune incidence sur le droit du sous-traitant d’être payé. En pratique, dans un contexte de non-paiement par un propriétaire, les tribunaux estiment qu’une clause de « paiement au plus tard » donne à l’entrepreneur le droit de retarder le paiement à un sous-traitant seulement pour une période raisonnable, mais pas indéfiniment.

Dans l’affaire Canadian Pressure, la Cour du Banc du Roi de l’Alberta a conclu que la clause en question n’était pas une véritable clause de « paiement sur paiement » et a ordonné à l’entrepreneur général de payer les factures impayées. La Cour a estimé que la clause contestée [traduction] « n’atteignait pas le niveau de clarté requis par la loi » pour être une véritable clause de « paiement sur paiement »[2]. Elle s’est appuyée sur la jurisprudence afin de rendre sa décision, citant notamment la Cour d’appel de la Nouvelle-Écosse, qui avait déclaré dans l’affaire Arnoldin Construction & Forms Ltd. v. Alta Surety Company[3] que, lorsqu’une clause vise à [traduction] « diminuer ou à supprimer le droit du sous-traitant d’être payé », elle doit être « claire » et « précise » à cet effet[4]. La Cour du Banc du Roi a également suivi la jurisprudence ontarienne selon laquelle, pour qu’un entrepreneur puisse invoquer une clause de « paiement sur paiement », sa conduite ne doit pas avoir été la cause du défaut de paiement du propriétaire[5].

En Ontario, l’arrêt de principe quant aux clauses de « paiement sur paiement » est Timbro Developments Ltd. v. Grimsby Diesel Motors Inc.[6] (« Timbro »), rendu par la Cour d’appel de l’Ontario en 1998. Dans celui-ci, une majorité des juges a confirmé que la clause suivante était bel et bien une clause de « paiement sur paiement » [traduction] : « Les paiements seront effectués au plus tard trente (30) jours après la date de soumission ou dix (10) jours après l’attestation ou après notre réception du paiement du propriétaire, selon la plus tardive de ces éventualités. » 

Cependant, les entrepreneurs sont mis en garde contre le fait de s’appuyer dans une large mesure sur l’arrêt Timbro, puisque celui-ci a été rendu antérieurement à l’arrivée de principes nouveaux et importants en matière d’interprétation des contrats. Par ailleurs, les tribunaux de première instance ne lui ont pas accordé une force probante considérable dans des décisions subséquemment rendues. Notamment, dans l’affaire Canadian Pressure, la Cour du Banc du Roi de l’Alberta a expressément refusé d’appliquer les enseignements de l’arrêt Timbro, affirmant qu’il avait été [traduction] « minimisé, mis à l’écart et ignoré au point qu’il n’avait que peu de valeur en tant que précédent »[7].

De plus, bien que la Loi sur la construction de l’Ontario ne traite pas explicitement des clauses de « paiement sur paiement » ni n’en interdit l’application, aucun tribunal ontarien ne s’est encore prononcé sur ces clauses dans la foulée des nouvelles dispositions en matière de paiements rapides et d’arbitrage de cette loi[8] . Le contrat en cause dans l’affaire Canadian Pressure avait été conclu de façon antérieure à l’entrée en vigueur de la nouvelle loi de l’Alberta intitulée Prompt Payment and Construction Lien Act[9], de sorte qu’il ne fournit aucune indication sur les clauses de « paiement sur paiement » qui relèvent de cette loi. 

Par conséquent, les entités du secteur de la construction qui rédigent des clauses « paiement sur paiement » ou qui pourraient être parties à des contrats prévoyant de telles clauses sont invitées à consulter un(e) conseiller(ère) juridique pour obtenir des conseils sur ce domaine du droit en évolution.


[1] 2022 ABKB 649 [Canadian Pressure]

[2] Canadian Pressure, au par. 22. 

[3] 1995 NSCA 16 [Arnoldin]. 

[4] Arnoldin, au par. 21. 

[5] Canadian Pressure, au par. 22 (citant Applied Insulation Co. v. Megatech Contracting Inc., 22 C.L.R. (2d) 251, 1994 CarswellOnt 1113 (Cour de l’Ontario – Division générale). 

[6] 32 C.L.R. 32, 1988 CarswellOnt 773 (ONCA).

[7] Canadian Pressure, au par. 21. 

[8] L.R.O 1990, c. C. 30.

[9] R.S.A. 2000, c. P -26.

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Auteurs

  • Edward W. Lynde, FCIArb, Q.Arb, Associé, Toronto, ON, +1 416 865 4435, elynde@fasken.com
  • Adam Lewinberg, Associé, Toronto, ON, +1 416 865 4512, alewinberg@fasken.com

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