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Les retards dans les actions collectives « minent la confiance du public » selon la Cour d’appel de la Saskatchewan

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Bulletin litiges et résolution de conflits

La Cour d’appel de la Saskatchewan a récemment affirmé ce qui suit [1] [traduction] : « Tout retard dans une instance civile est susceptible de causer un préjudice aux parties. Les retards inutiles minent inévitablement la confiance du public dans le processus judiciaire ». Le tribunal a confirmé la décision de la Cour du Banc de la Reine de rejeter une action collective pour cause de retard. En rejetant l’appel, la Cour a commenté l’importance d’éviter les retards dans le contexte des actions collectives (appelées « recours collectifs » dans certaines provinces) [traduction] :

Les retards dans les instances civiles ont souvent des effets délétères pour les parties : des témoins peuvent être décédés ou indisponibles, ou simplement avoir oublié des faits. Cependant, les conséquences d’un retard ne s’arrêtent pas aux parties à une action. […]  [L]es retards inutiles minent inévitablement la confiance du public dans le processus judiciaire comme moyen de règlement des différends. Cela est d’autant plus vrai dans le contexte d’un recours collectif proposé qui, de par sa nature même, vise à servir les intérêts de personnes autres que les demandeurs nommés qui sont à la tête de l’exécution de l’action [2].

L’affaire Huard envoie un message clair aux parties impliquées dans une action collective : les règles de procédure peuvent fournir des outils en cas de retards excessifs et injustifiables. Ce message est particulièrement le bienvenu en Ontario, puisque de récentes modifications législatives visant à réduire les retards ont été affaiblies par l’interprétation judiciaire. La décision Huard rappelle aux défendeurs et à leurs avocats que les retards constituent un problème difficile à éviter dans une action collective, mais aussi que des outils de procédure civile existants et de longue date peuvent constituer un recours.

En 2019, la Commission du droit de l’Ontario a affirmé que les retards constituaient un « problème majeur » dans la pratique des actions collectives et causaient un préjudice potentiel aux membres du groupe et aux défendeurs [3]. Pour cette raison, le rapport recommandait que la Loi de 1992 sur les recours collectifs [4] de l’Ontario soit modifiée afin de prévoir le [traduction] « rejet administratif » lorsqu’un demandeur n’a pas déposé ses documents de certification dans l’année, ou conformément à un autre échéancier [5].

La Loi de 1992 sur les recours collectifs de l’Ontario a ensuite été modifiée afin d’y inclure le nouveau paragraphe 29.1 (1) [6], qui prévoit le « rejet » par le tribunal d’un recours collectif pour cause de retard, sauf si, dans l’année suivant l’introduction de l’instance, l’une des éventualités suivantes s’est produite : a) un dossier pour la motion en certification est déposé; b) les parties ont déposé un calendrier de signification du dossier de la motion en certification ou en vue de la prise d’une autre mesure nécessaire au déroulement de l’instance; c) le tribunal a établi un calendrier de signification du dossier de la motion en certification ou en vue de la prise d’une autre mesure nécessaire au déroulement de l’instance [7].

Il aura fallu attendre deux ans avant qu’une décision ne traite du paragraphe 29.1 (1). Dans Bourque v. Insight Productions, le juge Belobaba a accueilli la requête des défendeurs fondée sur cette disposition et a rejeté l’argument du demandeur selon lequel d’autres articles de la Loi sur les recours collectifs de l’Ontario conféraient au tribunal le pouvoir discrétionnaire d’éviter le rejet [8]. Selon cette décision, le paragraphe 29.1 (1) [traduction] « signifie ce qui est écrit [9] ». Le juge Belobaba a également précisé l’objectif de la disposition, soit [traduction] « d’aider à faire progresser les recours collectifs qui, autrement, ont tendance à avancer très lentement [...] [10] ».

La rigidité avec laquelle le paragraphe 29.1 (1) a été appliqué varie dans les affaires ayant suivi Bourque. Dans la décision LeBlanc et al. v. The Attorney General of Canada et al., la juge Akbarali a conclu qu’elle n’avait pas le pouvoir discrétionnaire de retarder la date de prise d’effet du rejet [11]. En revanche, dans la décision Lubus v. Wayland Group Corp., le juge Morgan a interprété la disposition comme ne créant pas un régime de [traduction] « tolérance zéro [12] ». Selon lui, il disposait d’une certaine souplesse dans l’interprétation des faits qui satisferaient aux exigences de la disposition. Plus récemment, le juge Perell a rendu ce qu’il a appelé une [traduction] « ordonnance du phénix » dans l’affaire D’Haene v. BMW Canada Inc. Il a rejeté l’action collective pour cause de retard [traduction] « sous conditions », de sorte que l’ordonnance serait annulée dans trente jours si les demandeurs déposaient un dossier pour la motion en certification [13]. Dans la mesure où les juges subséquents choisissent de suivre le raisonnement de la décision D’Haene, cette conclusion atténue sans aucun doute le mordant du paragraphe 29.1 (1).

Dans ce contexte, l’analyse de la Cour d’appel de la Saskatchewan dans l’arrêt Huard est un ajout précieux à la jurisprudence. L’arrêt traite du pouvoir du tribunal de rejeter une action collective pour cause de retard dans des circonstances où une disposition administrative restrictive – comme le paragraphe 29.1 (1) – ne peut pas s’appliquer. Les défendeurs ont demandé le rejet de l’action en vertu de la règle 4-44 a) des Règles de la Cour du Banc de la Reine de la Saskatchewan, qui prévoit qu’« en cas de retards dans une action », le tribunal peut rejeter l’action s’il « estime que les retards sont excessifs ou injustifiables et que la poursuite de la demande n’est pas dans l’intérêt de la justice [14] ».

La Cour d’appel a confirmé la conclusion du juge de première instance selon laquelle un délai de 12 ans satisfaisait au critère dans les circonstances de cette affaire. Entre autres, elle a rejeté les divers arguments des demandeurs selon lesquels le critère prépondérant de la règle 4-44 a) ne devrait pas s’appliquer aux actions collectives proposées.

Compte tenu de l’incitatif relativement faible que le paragraphe 29.1 (1) offre aux avocats représentant des groupes en vertu du droit ontarien actuel, la décision Huard rappelle aux défendeurs dans le cadre d’actions collectives partout au Canada qu’un recours peut être trouvé dans les règles de procédure lorsqu’aucun progrès n’est fait dans une action collective. Par exemple, l’article 35 de la Loi de 1992 sur les recours collectifs renvoie aux Règles de procédure civile de l’Ontario, de sorte que les défendeurs peuvent demander, en vertu de la règle 24.01, le rejet d’une action collective pour cause de retard [15]. L’affaire Smith v. Armstrong et al. (2018) comprend un bon exemple de ce type de requête [16]. Dans cette affaire, le tribunal a rejeté une action collective proposée qui avait traîné pendant plus de 16 ans en utilisant un critère qui visait à déterminer si le retard était excessif, injustifiable et préjudiciable. Si la jurisprudence s’appuyant sur le paragraphe 29.1 (1) continue sur cette lancée, il est possible que nous observions une hausse de ce type de requête en Ontario.

 


 

[1] Huard v. The Winning Combination Inc., 2022 SKCA 130, au par. 1 [Huard].

[2] Huard, au par. 86.

[3] Commission du droit de l’Ontario, Le recours collectif : Objectifs, constats, réformes, Rapport final (juillet 2019) à la p. 18 de la version anglaise [rapport final].

[4] Loi de 1992 sur les recours collectifs, L.O. 1992, chap. 6.

[5] Rapport final à la p. 22 de la version anglaise.

[6] Loi de 2020 pour un système judiciaire plus efficace et plus solide, L.O. 2020, chap. 11, annexe 4;  Loi de 2021 sur le soutien à la relance et à compétitivité, L.O. 2021, chap. 25, annexe. 1.

[7] Le paragraphe 29.1 (1)d) fait également référence à l’éventualité où « les autres mesures, événements ou circonstances précisés par les règlements ont eu lieu », mais les règlements ne précisent pas de tels mesures, événements ou circonstances

[8] 2022 ONSC 174 [Bourque].

[9] Bourque, au par. 2.

[10] Bourque, au par. 19.

[11] 2022 ONSC 3257, au par. 15.

[12] 2022 ONSC 4999, au par. 42.

[13] 2022 ONSC 5973, aux par. 78 et 91.

[14] Règles de la Cour du Banc de la Reine de la Saskatchewan, 2013.

[15] R.R.O. 1990, Règl. 194.

[16] 2018 ONSC 2435.

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