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Omissions de déclarations à l’embauche : l’importance de l’obligation de bonne foi du candidat

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Bulletin Espace RH

Dans un arrêt récent, la Cour d’appel du Québec s’est prononcée à nouveau sur les obligations qui s’imposent autant aux employeurs qu’aux candidats lors d’un processus d’embauche. Effectivement, dans l’affaire Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (T.J.R.) c. Procureur général du Québec (Sûreté du Québec)[1], la Cour d’appel devait déterminer la légalité d’un questionnaire médical préembauche, ainsi que l’étendue de l’obligation de bonne foi du candidat lors de la complétion d’un tel questionnaire. Résultat : l’obligation de bonne foi d’un candidat semble avoir préséance sur la légalité d’un questionnaire médical préembauche.

Les faits

Le Plaignant avait pour rêve de devenir policier. Il a été à l’emploi des Forces armées canadiennes pendant 10 ans, puis a agi par la suite comme agent correctionnel. Désirant finalement réaliser son rêve, il pose sa candidature à la Sûreté du Québec et entame le long processus de recrutement nécessaire à l’obtention d’une promesse d’embauche. Le plaignant est atteint d’un trouble neurologique qui lui a été diagnostiqué alors qu’il n’avait que 7 ans : le syndrome Gilles de la Tourette. Bien que ce syndrome puisse, pour certains individus, occasionner d’importants symptômes handicapants, c’est tout le contraire pour le plaignant. Ses seuls symptômes sont de rares tics vocaux contrôlés, ainsi que de rares tics moteurs se manifestant sous forme de clignements occasionnels des yeux.

Dans le cadre du processus de recrutement, le Plaignant est d’abord soumis à quatre tests de présélection. Ensuite, celui-ci doit réussir des tests physiques et médicaux, tout comme il doit répondre à un questionnaire médical ainsi qu’à un questionnaire préembauche. Le Plaignant réussit avec brio l’ensemble du processus et reçoit, sous recommandation de la Sûreté du Québec et du ministère de la Sécurité publique, une promesse d’embauche de la part de la Sûreté du Québec. Le Plaignant démissionne donc de son emploi d’agent correctionnel et débute sa formation en techniques policières, puis à l’École nationale de police. Il complète son cursus académique avec la mention « distinction ».

Lors de la cérémonie de remise des diplômes, à laquelle participe le responsable du recrutement de la Sûreté du Québec, ce dernier apprend de façon informelle, en discutant avec certains instructeurs, que le Plaignant est atteint du syndrome Gilles de la Tourette. Les instructeurs rassurent cependant le responsable du recrutement en lui mentionnant que ce syndrome ne nuisait en rien aux performances du Plaignant. Malgré cela, le responsable rapporte la situation à la Sûreté du Québec, laquelle entame des vérifications au dossier de recrutement du Plaignant. Celle-ci constate alors que le Plaignant n’a pas déclaré, notamment lors du questionnaire médical préembauche, être atteint de ce syndrome. La Sûreté du Québec suspend donc le dossier du Plaignant dans l’attente des recommandations de leur médecin à ce sujet, et convoque le Plaignant à une enquête auprès de leurs représentants. Dans le cadre de cette enquête, le Plaignant avoue également ne pas avoir divulgué le fait qu’il ait consulté, de sa propre initiative, un psychologue, qu’il décrit à ce moment comme un coach de vie, en raison de ses relations malsaines avec les femmes. Il s’explique par le fait que sa condition n’a jamais été handicapante et que pour lui, « c’était fini, réglé ». Il ne croyait donc pas devoir divulguer ces informations.

Malgré ces omissions du Plaignant, le médecin de la Sûreté du Québec détermine que le Plaignant est apte à exercer le travail de policier patrouilleur. Or, la Sûreté du Québec ne communique pas cette information au Plaignant et décide tout de même de mettre fin à la promesse d’embauche puisque pour elle, le lien de confiance est rompu et qu’il ne satisfait plus aux exigences d’éthique et de bonnes mœurs requises pour exercer le travail de policier. Le Plaignant ne parviendra jamais à réaliser son rêve et devra réorienter sa carrière en assurance de dommages. Il déposera par la suite une plainte à la Commission des droits de la personne, laquelle défèrera ultimement sa plainte devant le Tribunal des droits de la personne.

Les jugements

La Commission des droits de la personne plaide que le questionnaire médical est beaucoup trop large, que de nombreuses questions ne sont pas justifiées par les exigences du poste et que d’autres questions ne sont pas suffisamment précises, de sorte qu’en raison d’un questionnaire médical trop large, imprécis et discriminatoire, la Sûreté du Québec ne pouvait utiliser les omissions du Plaignant afin de mettre fin à sa promesse d’embauche.

En première instance, le Tribunal des droits de la personne reconnait que certaines questions posées dans le cadre du processus de recrutement sont trop larges, et donc illégales. Cependant, ce Tribunal refuse de conclure au caractère discriminatoire du refus d’embauche, puisque la preuve démontre que la décision de la Sûreté du Québec n’est pas prise en raison du fait que le Plaignant soit atteint du syndrome Gilles de la Tourette, mais bien en raison du manquement à l’obligation de bonne foi du candidat qui a volontairement omis de déclarer sa condition médicale, ce qui contrevient aux qualités essentielles à la fonction de policier de bonnes mœurs et d’intégrité.

La Cour d’appel du Québec confirme cette décision de première instance. Elle est d’avis que malgré une question illicite et discriminatoire, le candidat se doit d’y répondre en toute bonne foi et de divulguer toute condition médicale qui, à sa connaissance, est de nature à préoccuper un futur employeur. Le plus haut tribunal du Québec entérine donc la position à l’effet qu’un candidat ne peut se rabattre sous l’argument d’une question illégale et discriminatoire pour justifier son manquement d’avoir déclaré une condition médicale ou une information potentiellement pertinente lors du processus d’embauche. Ainsi, dans ce dossier, l’annulation de la promesse d’embauche n’est donc pas en lien avec le syndrome Gilles de la Tourette dont est porteur le Plaignant, mais bien en relation avec ses omissions volontaires relativement à son état de santé, lesquelles sont de nature à ébranler le lien de confiance avec la Sûreté du Québec et avec le public, d’autant plus que les bonnes mœurs et l’intégrité sont au cœur de la fonction de policier.

Conclusion

En conclusion, cet arrêt nous rappelle que l’obligation d’agir de bonne foi de tout candidat lors d’un processus d’embauche est d’une importance capitale. Le lien de confiance qui se crée à ce moment est révélateur de la nature de la relation future employeur-employé. Ceci étant, certains constats s’imposent. Malgré cet arrêt, les questionnaires préembauches, notamment de nature médicale, se doivent tout de même d’être limités aux seules questions utiles et pertinentes en lien avec les aptitudes et exigences requises par l’emploi convoité. Dans le présent dossier, la mauvaise foi était au cœur du débat. Cependant, dans un contexte de divulgation complète et de bonne foi par un candidat, les renseignements récoltés devront légalement pouvoir être utilisés par le futur employeur potentiel. Effectivement, c’est une chose de récolter de l’information, mais la légalité de son utilisation ultérieure devra ultimement être démontrée, notamment pour justifier un refus d’embauche sur cette base.



[1]      2022 QCCA 1577.

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Auteur

  • Mikaël Maher, CRIA, Associé, Montréal, QC, +1 514 397 5122, mmaher@fasken.com

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