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Obligations fiduciaires en matière de capital-investissement privé: ce que les promoteurs et les commanditaires devraient savoir

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Bulletin droit des sociétés et droit commercial

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Quelles sont les obligations fiduciaires applicables dans les structures de capital-investissement privé et, plus précisément, entre les commandités et les commanditaires d’un fonds de capital-investissement privé?

Une récente décision de la Cour d’appel de l’Ontario, Extreme Venture Partners Fund I LP v. Varma, apporte des précisions sur cette question importante. En bref, la Cour d’appel a déclaré que la société par actions agissant à titre de commandité de la société en commandite ainsi que ses administrateurs étaient des fiduciaires de la société en commandite.

Nous examinons l’arrêt Varma et discutons des conclusions pratiques qui en découlent pour les fonds de capital-investissement privé et les administrateurs de leurs commandités.

Le différend

La société en commandite concernée, Extreme Venture Partners Fund I LP (« EVP LP »), était un fonds de capital de risque dont le commandité avait formé un conseil d’administration composé de cinq administrateurs.

Deux des administrateurs ont été reconnus coupables d’une série d’actes répréhensibles, incluant : 1) la création d’un fonds concurrent sans en informer les autres administrateurs du commandité; 2) la divulgation de renseignements confidentiels au fonds concurrent concernant la stratégie d’investissement d’EVP LP; et 3) l’orchestration secrète d’une vente de certains actifs d’EVP LP à prix réduit aux fins d'un gain personnel éventuel.

De plus, un ami de ces deux administrateurs du commandité – un éminent investisseur de capital de risque de la Silicon Valley – a été tenu solidairement responsable avec eux pour les avoir sciemment aidés à vendre certains actifs d’EVP LP à un prix réduit.

La décision

Les administrateurs ont fait valoir qu’ils n’avaient d’obligations fiduciaires qu’à l’égard de la société dont ils étaient administrateurs, soit le commandité d’EVP LP, et que leurs obligations fiduciaires n’allaient pas plus loin. Le tribunal de première instance a rejeté cet argument, affirmant qu’en plus des obligations fiduciaires des administrateurs envers le commandité d’EVP LP, ils étaient également des fiduciaires ad hoc d’EVP LP.

La Cour d’appel a souscrit à cette décision et a concentré son raisonnement sur la nature des sociétés en commandite. Elle a d’abord expliqué qu’une société en commandite [traduction] « est une organisation hybride qui réunit des éléments du droit des sociétés de personnes et du droit des sociétés par actions »[1]. Elle a poursuivi son raisonnement comme suit :

[traduction] Il serait inéquitable que le voile corporatif puisse être utilisé pour protéger les administrateurs qui manquent à leurs obligations envers le commandité et qui ont causé des dommages à la société en commandite. Étant donné la structure unique des sociétés en commandite, la common law devrait imposer une obligation fiduciaire aux administrateurs du commandité corporatif à l’égard de la société en commandite[2].

La Cour d’appel a également fait remarquer que [traduction] « le commandité a une obligation fiduciaire envers les commanditaires »[3].

Points à retenir

La conclusion pratique à tirer de l’arrêt Varma est qu’il est prudent d’assumer que les administrateurs du commandité corporatif d’un fonds de capital-investissement privé seront considérés comme des fiduciaires ad hoc de la société en commandite, en plus d’être des fiduciaires du commandité. Le commandité corporatif devrait également être considéré comme un fiduciaire de la société en commandite. Enfin, les tiers impliqués dans un manquement à une telle obligation fiduciaire par le commandité ou ses administrateurs risquent d’être tenus responsables d’avoir sciemment contribué à ce manquement. Par exemple, dans le contexte du capital-investissement privé, il pourrait s’agir de dirigeants qui ne sont pas administrateurs du commandité et/ou de dirigeants ou d’administrateurs d’autres sociétés du portefeuille du fonds de capital-investissement privé.

Cela dit, certaines réserves s’imposent et la décision soulève plusieurs questions.

La Cour d’appel a décrit la conduite des administrateurs dans l’affaire Varma d’« effrontément illégale »[4]. Elle a également expliqué que les administrateurs avaient « agi uniquement dans leur propre intérêt et contrairement aux intérêts du commandité et de la société en commandite », de sorte qu’il ne s’agissait « pas d’une situation où ils cherchaient à équilibrer les intérêts du commandité et ceux de la société en commandite »[5]. Ces commentaires suggèrent que, lorsque la conduite des administrateurs peut raisonnablement être considérée comme étant dans l’intérêt du commandité, même si elle est contraire aux intérêts des commanditaires, le résultat pourrait être différent.

La décision n’indique pas clairement si (ni dans quelle mesure) les obligations fiduciaires du commandité corporatif et/ou des administrateurs du commandité à l’égard de la société en commandite peuvent être modifiées, par exemple par le biais des modalités de la convention de société en commandite. Au Canada, les lois fédérales et provinciales sur les sociétés par actions prévoient généralement que les fonctions des administrateurs ne peuvent être limitées par contrat, règlement ou résolution[6]. Toutefois, au-delà de ce principe général, les choses sont un peu moins claires. D’une part, le comportement en cause est déterminant. D’autre part, il existe un équilibre délicat entre 1) l’étendue des obligations fiduciaires et 2) les pouvoirs du commandité en vertu de la convention de société en commandite par rapport auxquels ces obligations fiduciaires sont imposées.

Pour commencer à répondre à ces questions, deux bulletins compléteront celui-ci. Dans le prochain bulletin, nous nous pencherons sur deux cas récents traitant de la possibilité pour les commanditaires d’intenter une action oblique au nom de la société en commandite contre le commandité corporatif et/ou ses administrateurs pour un manquement à une obligation fiduciaire. Dans le troisième bulletin, nous examinerons de plus près la manière dont les tribunaux ont considéré les modalités d’une convention de société en commandite pour décider 1) de la portée de l’obligation fiduciaire et 2) si cette obligation fiduciaire a été contrevenue.

Remarque concernant le Québec

Nous soulignons que l’article 322 du Code civil du Québec impose aux administrateurs d’une personne morale l’obligation d’agir avec prudence et diligence, et avec honnêteté et loyauté dans l’intérêt de cette personne morale. Si ces obligations présentent des similitudes avec les obligations fiduciaires en common law, la jurisprudence a néanmoins établi des distinctions entre les deux concepts. Par conséquent, même si l’arrêt Varma peut donner une idée globale quant à la façon dont un juge québécois pourrait appliquer l’article 322 du Code civil dans un contexte de fonds de capital-investissement privé, il reste à voir dans quelle mesure cet arrêt sera pris en compte dans cette province.


[1] Extreme Venture Partners Fund I LP v. Varma, 2021 ONCA 853 (CanLII) [Varma], par. 98 (nous soulignons).

[2] Varma, par. 101 (nous soulignons). 

[3] Varma, par. 98. 

[4] Varma, par. 12. 

[5] Varma, par. 99 (nos italiques). Voir aussi le par. 100.

[6] Voir : Loi canadienne sur les sociétés par actions, L.R.C (1985), ch. C-44, par. 122(3); Loi sur les sociétés par actions, L.R.O. 1990, ch. B.16, par. 134(3); Business Corporations Act, SBC 2002, ch. 57, par. 142(3); Business Corporations Act, RSA 2000, ch. B-9, par. 122(3). 

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  • Caitlin Rose, Associée | Cochef, Capitaux privés, Montréal, QC, +1 514 397 5277, crose@fasken.com
  • Anabel Quessy, Associée, Montréal, QC, +1 514 397 5156, aquessy@fasken.com
  • Enoch H. Chang, Associé, Vancouver, BC, +1 604 631 4803, echang@fasken.com
  • Paul Blyschak, Avocat-conseil, Calgary, AB, +1 403 261 9465, pblyschak@fasken.com

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