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Est-ce que le gouvernement fédéral a eu raison de désigner comme toxiques les « articles manufacturés en plastique? »

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Bulletin Énergie

L’affaire Responsible Plastic Use Coalition et autres c. Le ministre de l’Environnement [1] a été entendue au début du mois de mars devant la Cour fédérale, à Toronto.

Quatre demandeurs, soit la Responsible Plastic Use Coalition, Dow Chemical Canada ULC, Imperial Oil et Nova Chemicals Corporation tentent d’obtenir l’annulation du décret daté du 12 mai 2021, visant l’ajout des articles manufacturés en plastique à l’annexe 1 de la Loi canadienne sur la protection de l’environnement (1999) à titre de substance toxique (le « Décret »). De son côté, le Procureur général du Canada (le « PGC ») s’est efforcé d’en démontrer la validité.

Certaines entités ont acquis le statut d’intervenants : le American Chemistry Council, American Fuel & Petrochemical Manufacturers, Plastic Industry Association, le Gouvernement de l’Alberta, le Gouvernement de la Saskatchewan, l’Association Environmental Defence Canada inc., Ocean Canada et Animal Justice.

Ce que les demandeurs ont argumenté

Pour soutenir leurs prétentions, les demandeurs s’appuient principalement sur deux arguments, l’un administratif et l’autre constitutionnel. 

Premièrement, le Décret serait invalide en raison d'une violation de sa loi habilitante, la Loi canadienne sur la protection de l’environnement (1999) (la « LCPE ») et de son caractère déraisonnable.

Selon les demandeurs, les articles manufacturés en plastique ne répondent pas aux définitions de « substance » ou de « catégorie de substance » prévues à l’article 3 de la LCPE. Les articles manufacturés en plastique sont, selon eux, un groupe beaucoup trop large de matières pour entrer sous ces définitions. De plus, le gouvernement fédéral n’aurait pas démontré le caractère toxique des articles manufacturés en plastique, s’étant basé uniquement sur une revue littéraire et une étude d’une firme comptable. Les demandeurs considèrent que les renseignements contenus dans ces documents ne satisfont pas à la notion de toxicité de la LCPE ni au niveau de démonstration technique requise. La preuve de toxicité du fédéral relèverait donc davantage de la conjoncture.

Les demandeurs argumentent également que le Décret serait déraisonnable, car irrationnel et illogique. Notamment, le Décret assimile tous les articles manufacturés en plastique à des substances toxiques, ce qui assujettit des centaines, voire des milliers de produits du quotidien dans la liste des substances toxiques, incluant de nombreux produits inoffensifs. Aussi, les demandeurs considèrent qu’il est illogique d’assujettir le produit fini, que sont les articles manufacturés en plastique, mais pas les matières premières ayant servi à produire ces articles.

Deuxièmement, le Décret outrepasserait la compétence pénale du gouvernement fédéral. D’abord, les demandeurs affirment que les principes de la décision R c. Hydro-Québec [2] n’auraient pas été respectés, en raison d’une classification générale des articles manufacturés de plastique, d’un langage trop large, d’un manque de certitude scientifique et de l’absence de preuve démontrant un danger significatif. Ensuite, les demandeurs argumentent que le caractère véritable du Décret, identifié comme étant la gestion des déchets et le recyclage, ne porterait pas sur un objectif de droit pénal, mais appartiendrait plutôt aux compétences provinciales.

À titre d’intervenantes, les provinces de la Saskatchewan et de l’Alberta reprennent l’argument énoncé ci-dessus et elles ajoutent que, selon elles, le Décret ne pourrait être assimilé à la compétence fédérale de Paix, ordre et bon gouvernement, puisque les articles manufacturés en plastique n’ont pas le caractère d’unicité nécessaire pour être un enjeu d’intérêt national et que les provinces agissent adéquatement pour la gestion des déchets.

Finalement, pour les intervenants américains, le Décret présenterait un enjeu eu égards aux obligations internationales du Canada, notamment concernant l’Accord Canada-États-Unis-Mexique et l’Accord sur les obstacles techniques au commerce de l’Organisation Mondiale du Commerce. Aux dires des intervenants, les accords susmentionnés engageraient le Canada à analyser la toxicité d’un produit par le biais d’une approche basée sur les risques, scientifiquement rigoureuse, ce qui ne serait pas le cas dans le cadre du Décret. De plus, les intervenants argumentent que le Décret causerait un impact « plus que minimal » sur le commerce international et instaurerait un environnement réglementaire imprévisible, en violation des obligations du Canada.

Ce que le PGC a argumenté

De son côté, le PGC répond que, dans la LCPE, la définition de substance est très large, incluant des « matières susceptibles soit de se disperser dans l’environnement, soit de s’y transformer en matières dispersables, ainsi que les matières susceptibles de provoquer de telles transformations dans l’environnement » et que les articles manufacturés en plastique seraient conformes à cette définition. De plus, selon le PGC, la LCPE énoncerait des objectifs généraux de protection de l’environnement, qui seraient conformes avec la désignation des articles manufacturés en plastique à titre de substance toxique. Lors de l’audience, le PGC a indiqué qu’en l’absence de consensus scientifique sur l’évaluation de l’impact des microsplastiques, l’utilisation des revues de littérature est une preuve scientifique légitime.

Ensuite, le PGC considère que ce n’est pas à un tribunal de statuer sur la méthodologie derrière le Décret ni à savoir si la description de la substance est adéquate, trop large ou nécessaire, mais simplement de qualifier la décision, à savoir si elle est raisonnable, intelligible et justifiable. Il souligne également que l’analyse du juge doit se faire à la lumière du principe de précaution, intégré à la LCPE, selon lequel il n'est pas nécessaire d’attendre d’avoir suffisamment de preuve ni d’atteindre un niveau de certitude scientifique, avant d’intervenir relativement à une situation problématique.

En ce qui concerne le partage des compétences, le PGC affirme que le Décret bénéficie d'une présomption de validité constitutionnelle et qu'il s'agit d'un exercice valide du pouvoir du Parlement en matière de droit criminel. Le PGC soutient que le Décret vise un objectif public légitime, soit la protection de l'environnement, et qu'il est assorti, lorsque considéré avec le régime prohibitif de la LCPE, d'une interdiction et d'une peine, répondant ainsi aux critères énoncés dans R c. Hydro-Québec.

Finalement, le PGC indique que le droit domestique n’est pas subordonné au droit international et donc que les traités internationaux ne pourraient justifier d’outrepasser une intention législative claire.

Conclusion

La décision à être rendue par la Cour fédérale aura des impacts significatifs sur l’industrie du plastique au Canada et le commerce du plastique. Ce sera certainement à surveiller.

En cas de questionnement quant à l’impact de ce Décret pour votre entreprise, nous vous invitons à nous contacter.

 


 

[1] File T-824-21

[2] R. c. Hydro-Québec, 1997 CanLII 318 (CSC), [1997] 3 RCS 213

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  • Marie-Pierre Boudreau, Avocate, Montréal, QC, +1 514 397 5120, mboudreau@fasken.com
  • Gabrielle Gagnon, Étudiante, Montréal, QC, +1 514 657 5346 , gabgagnon@fasken.com

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