Récemment, plusieurs Premières Nations[1] visées par le Traité n° 9 ont annoncé leur intention d’intenter des poursuites contre les gouvernements de l’Ontario et du Canada pour contester la compétence exclusive de la Couronne sur les terres visées par le Traité no 9. Elles affirment notamment que le Traité n° 9 prévoit que les Premières Nations signataires conservent leur « mode de vie[2]», y compris la compétence conjointe avec la Couronne et le partage des responsabilités en matière de prise de décision avec cette dernière.
Par cette action, les Premières Nations visées par le Traité n° 9 visent également à interdire aux gouvernements d’accorder des permis, des licences ou d’autres autorisations concernant l’exploitation des terres et des ressources naturelles sur les terres visées par le Traité no 9 sans leur consentement jusqu’à ce qu’un cadre de compétence conjointe soit établi.
Cette revendication présente un intérêt pour quiconque exerce des activités ou prévoit réaliser des projets de mise en valeur de ressources naturelles sur les terres visées par le Traité n° 9. Le Traité n° 9 couvre environ les deux tiers de la superficie continentale de l’Ontario, y compris les bassins hydrographiques de la baie James et de la baie d’Hudson. Les projets de mise en valeur de ressources naturelles de cette région devraient constituer un moteur économique important pour l’Ontario. Par exemple, le « Cercle de feu » se trouve sur les terres du Traité n° 9 et est considéré comme une région extrêmement prometteuse pour l’exploitation du nickel, du cuivre, du chrome et d’autres minéraux essentiels à la transition vers une énergie propre à l’échelle mondiale.
Redressement demandé par les demandeurs
D’après le projet de déclaration, les Premières Nations signataires du Traité n° 9 demandent des mesures de redressement générales qui, si elles étaient accordées, modifieraient fondamentalement la mise en valeur de ressources naturelles en Ontario.
Le plus intéressant, et le plus important sur le plan pratique, pour le secteur des ressources naturelles, sont les demandes des demandeurs qui souhaitent que le tribunal :
a) déclare que le Traité n° 9 ne prévoyait pas la cession de compétences aux gouvernements provinciaux et fédéral, mais plutôt le partage de compétence entraînant une « compétence conjointe »;
b) déclare que les Premières Nations signataires du Traité n° 9 détiennent des droits issus de traités de gouvernance et de prise de décision sur les terres du Traité n° 9 (y compris les terres submergées) et les ressources naturelles qui se trouvent sur ces terres et dans ces terres et qui proviennent de ces terres;
c) déclare que tous les permis, approbations ou autorisations des gouvernements provinciaux et fédéral concernant les terres visées par le Traité n° 9 accordés à compter du dépôt de la déclaration de revendication sans le consentement des Premières Nations signataires du Traité n° 9 porteraient atteinte de manière injustifiée à leurs droits de compétence et seraient sans effet;
d) déclare que les lois relatives à la mise en valeur, y compris la Loi sur les mines, la Loi de 1994 sur la durabilité des forêts de la Couronne, la Loi sur les ressources en eau de l’Ontario, la Loi sur les évaluations environnementales, la Loi sur l’évaluation d’impact, la Loi sur les pêches (et autres) sont inconstitutionnelles et nulles et sans effet en ce qui concerne les terres du Traité n° 9;
e) accorde une injonction interdisant aux gouvernements provinciaux et fédéral de réglementer les terres visées par le Traité no 9 sans le consentement des demandeurs si cette réglementation menace leur mode de vie.
Les demandeurs acceptent que les déclarations énoncées aux points c) et d) ci-dessus soient reportées pour une durée maximale de cinq ans, le temps que les parties négocient un régime de compétence conjointe.
Les demandeurs ont l’intention de présenter une demande afin d’obtenir d’autres déclarations et mesures de redressement de la part de la Cour, notamment des dommages-intérêts de 95 milliards de dollars devant être calculés en fonction d’un pourcentage du revenu brut tiré par l’Ontario au cours des 120 années des terres visées par le Traité n° 9.
Contexte
Le litige projeté fait suite aux récentes annonces et mesures des gouvernements fédéral et provinciaux visant à accélérer les processus de réglementation et d’obtention de permis pour la mise en valeur des ressources en Ontario. Les gouvernements entendent faciliter l’extraction des minéraux essentiels à la transition vers une énergie propre[3].
Le gouvernement provincial a récemment approuvé le cadre de référence de l’évaluation environnementale de la route de raccordement du Nord, qui relie le Cercle de feu et deux Premières Nations au réseau routier provincial[4]. Cette évaluation environnementale est menée par deux Premières Nations signataires du Traité n° 9, soit la Première Nation de Webequie et la Première Nation de Marten Falls, qui ne sont ni l’une ni l’autre partie à l’action envisagée.
En février 2023, le ministre fédéral de l’Environnement et du Changement climatique a accepté a) de reprendre l’élaboration conjointe du cadre de référence d’une évaluation régionale dans la région du Cercle de feu avec les communautés autochtones et b) de conclure une entente de relations afin de préciser comment les communautés autochtones, l’Agence d’évaluation d’impact du Canada et, éventuellement, l’Ontario, peuvent collaborer à l’évaluation régionale.
Lors de sa récente visite à New York pour le Council on Foreign Relations, le premier ministre Trudeau a fait valoir les avantages des investissements étrangers à long terme au Canada en raison, notamment, de la richesse de ses minéraux critiques et stratégiques.
Autres actions connexes
Des annonces et des actions similaires ou connexes ont été introduites par ces Premières Nations et d’autres Premières Nations signataires du Traité n° 9. En avril 2021, la Première Nation d’Attawapiskat, la Première Nation de Fort Albany et la Première Nation de Neskantaga ont elles-mêmes décrété un « moratoire » sur tout projet de mise en valeur de ressources naturelles dans la région du Cercle de feu ou visant à faciliter l’accès à cette région[5].
Trois autres Premières Nations visées par le Traité n° 9, soit la Première Nation crie de Missanabie, la Première Nation crie de Chapleau et la Première Nation de Brunswick House, ont intenté une poursuite en septembre 2022 contre la province, affirmant que l’Ontario a contrevenu de façon injustifiée à leurs droits issus de traités en autorisant des activités industrielles qui ont causé des effets cumulatifs et, ce faisant, ont considérablement porté atteinte à leurs droits issus de traités. Ces Premières Nations réclament, entre autres, des mesures visant à interdire à l’Ontario de continuer à autoriser de telles activités industrielles.
Répercussions
De toute évidence, ce litige projeté revêt un caractère politique important. Entre autres, il vise à « relancer » les discussions avec les gouvernements. En fait, les demandeurs déclarent dans le projet de demande qu’ils souhaitent « [traduction] obtenir des directives de la Cour afin de contraindre le Canada et l’Ontario à la table de négociation avec les demandeurs ». Les demandeurs espèrent peut-être aussi « galvaniser » le secteur des ressources naturelles pour qu’il soutienne le modèle de compétence conjointe[6].
Bien qu’il soit « facile » de proposer la compétence conjointe, les répercussions juridiques et pratiques sont importantes et complexes, et mettent en jeu les droits et les intérêts de nombreuses personnes au-delà des parties nommées à l’action, y compris d’autres Premières Nations signataires du Traité n° 9, des communautés métisses, des communautés non autochtones du Nord et des acteurs du secteur.
Il sera intéressant de voir comment évolueront les aspects politiques et juridiques de cette affaire[2]. Compte tenu de la nature et de la portée de l’affaire, ainsi que de la preuve à l’appui requise, il est peu probable qu’un tribunal entende une requête en vue d’obtenir des mesures provisoires pendant des mois, voire beaucoup plus longtemps.
Il est impossible de savoir comment, voire si cette mesure annoncée sera prise en compte dans l’évaluation par la Couronne de son obligation de consulter et du contenu de cette obligation, ni comment un tribunal jugera le caractère adéquat de la consultation de la Couronne en matière de contrôle judiciaire.
[1] Première Nation d’Attawapiskat, Première Nation d’Apitipi Anicinapek, Première Nation d’Aroland, Première Nation de Constance Lake, Première Nation d’Eabametoong, Première Nation de Fort Albany, Première Nation de Ginoogaming, Première Nation de Kashechewan, Première Nation de Kitchenuhmaykoosib Inninuwug et Première Nation de Neskantaga.
[2] L’expression « mode de vie » comprend la récolte et la compétence (dans le sens de la gestion et de l’administration de la terre et de ses utilisations).
[3] Voir le projet de loi 71, Loi de 2023 visant l’aménagement de davantage de mines, et l’annonce par la vice-première ministre que le Canada « [traduction] doit faire preuve et fera preuve d’une générosité semblable en accélérant, par exemple, le traitement des projets énergétiques et miniers dont nos alliés ont besoin pour chauffer leurs maisons et fabriquer des véhicules électriques »,voir
[4] Voir L’Ontario approuve le plan de route vers le Cercle de feu dirigé par les Premières Nations, 6 mars 2023, en ligne : https://news.ontario.ca/fr/release/1002784/lontario-approuve-le-plan-de-route-vers-le-cercle-de-feu-dirige-par-les-premieres-nations.
[5] Un tel « moratoire » n’a pas force de loi.
[6] Lors de la conférence de presse annonçant le litige, l’avocat a exhorté les entreprises à faire pression sur les gouvernements en faveur de la compétence conjointe avec les Premières Nations du Traité no 9.