Le 3 mai, le Parlement a adopté le projet de loi S-211, la Loi édictant la Loi sur la lutte contre le travail forcé et le travail des enfants dans les chaînes d’approvisionnement et modifiant le Tarif des douanes (la « Loi»). Il s’agit d’un nouveau texte législatif important qui impose à de nombreuses entreprises canadiennes, y compris celles qui exercent leurs activités à l’extérieur du Canada, l’obligation de produire un rapport annuel sur le travail forcé et le travail des enfants dans leurs chaînes d’approvisionnement. En outre, la Loi crée de nouveaux pouvoirs de contrôle d’application, prévoit des amendes importantes en cas d’infraction et interdit l’importation de marchandises produites, en tout ou en partie, par recours au travail des enfants.
Si la Loi revêt de l’importance en elle-même, il faut y voir la première étape canadienne d’une initiative mondiale plus large de lutte contre le travail forcé et le travail des enfants. Comme il l’a annoncé pour la première fois dans le budget de 2023, le gouvernement a l’intention de déposer un autre projet de loi pour poursuivre ses efforts d’élimination du travail forcé. Ainsi, les entreprises devraient se préparer non seulement à l’exécution de leurs obligations de production d’un rapport annuel prévues dans la Loi, mais également à une intensification des activités de réglementation et de contrôle d’application visant le travail forcé et le travail des enfants dans les chaînes d’approvisionnement.
Nous présenterons le contexte de la Loi, avant d’examiner ses dispositions et d’analyser plus largement ses implications.
Le contexte : Le mouvement mondial de lutte contre le travail forcé et le travail des enfants
Au cours de la dernière décennie, des organisations telles que l’OIT, l’ONU et Vision mondiale ont exhorté les pays à faire davantage sur la question du travail forcé et du travail des enfants. En réponse, des organisations, pays et territoires, dont l’Union européenne, le Royaume-Uni, la France, l’Allemagne, la Norvège, l’Australie et la Californie ont adopté ou sont sur le point d’adopter des lois pour éliminer le travail forcé et le travail des enfants en imposant aux sociétés des obligations liées aux processus de diligence raisonnable et à la production de rapports, ou en interdisant l’importation de biens produits en tout ou en partie par recours au travail forcé ou au travail des enfants.
Le Canada leur a emboîté le pas en prenant des mesures pour lutter contre le travail forcé, notamment dans ses accords commerciaux comme l’ACEUM. Conformément à ses obligations au titre de l’ACEUM, il a modifié son Tarif des douanes pour empêcher l’importation de marchandises produites, en tout ou en partie, par recours au travail forcé. De même, plusieurs projets de loi relatifs au travail forcé ont été déposés au Parlement, mais n’ont pas abouti, jusqu’au projet de loi S-211, qui bénéficie d’un large soutien.
La Loi: Application, obligations et contrôle d’application
Quelles entreprises sont concernées?
La Loi s’applique aux entreprises : 1) soit dont les actions ou titres de participation sont inscrits à une bourse de valeurs canadienne; 2) soit qui ont un établissement au Canada, y exercent des activités ou y possèdent des actifs et qui, selon leurs états financiers consolidés, remplissent au moins deux des conditions ci-après pour au moins un de leurs deux derniers exercices :
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posséder des actifs d’une valeur d’au moins 20 millions de dollars;
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générer des revenus d’au moins 40 millions de dollars;
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employer en moyenne au moins 250 employés.
Ces seuils sont relativement bas et la marraine et le parrain du projet de loi anticipent que des milliers d’entreprises seront assujetties aux exigences de la Loi.
Obligation pour les entreprises de faire rapport annuellement
Tant qu’une entreprise produit, vend ou distribue des marchandises au Canada ou à l’étranger ou qu’elle importe au Canada des marchandises, elle sera tenue de déposer des rapports annuels – le premier devant être présenté en mai 2024 – décrivant les mesures qu’elle aura prises au cours de son dernier exercice pour prévenir et atténuer le risque relatif au recours au travail forcé ou au travail des enfants à l’une ou l’autre étape de la production des marchandises qu’elle produit au Canada ou à l’étranger ou des marchandises qu’elle importe au Canada.
Le rapport annuel de l’entreprise doit également inclure des renseignements sur :
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sa structure, ses activités et ses chaînes d’approvisionnement;
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ses politiques et ses processus de diligence raisonnable relatifs au travail forcé et au travail des enfants;
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l’ensemble des mesures qu’elle a prises pour remédier à tout recours au travail forcé ou au travail des enfants;
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ses processus de conformité (notamment les évaluations des risques, les audits et la formation du personnel).
Le rapport annuel doit être approuvé par le conseil d’administration ou le corps dirigeant de l’entreprise et être rendu public, notamment par un affichage sur le site Web de l’entreprise. Si l’entreprise est une société constituée sous le régime d’une loi fédérale, le rapport doit aussi être distribué aux actionnaires.
Pouvoirs de contrôle d’application et sanctions en cas de non-conformité
La Loi donne au gouvernement le pouvoir d’entrer dans les locaux des entreprises sans mandat et d’y chercher et saisir des objets et documents aux fins de la vérification du respect de la Loi. Tout manquement aux exigences de la Loi par une personne ou une entreprise – y compris le défaut de déposer ou de rendre public le rapport ou la communication de renseignements faux ou trompeurs – rend celle-ci passible d’amendes maximales de 250 000 $. Par ailleurs, les administrateurs et les dirigeants de la société peuvent être considérés coauteurs des infractions commises s’ils ont ordonné ou autorisé la perpétration de ces infractions ou s’ils y ont consenti ou participé.
Principaux points à retenir : Un « premier pas » important et une autre loi à l’horizon
Bien que le parrain et la marraine de la Loi l’aient présentée comme un texte législatif relativement simple sur la transparence de la chaîne d’approvisionnement (plutôt que sur la diligence raisonnable), cette apparente simplicité peut masquer le caractère vague et potentiellement onéreux des obligations imposées. Par exemple, pour pouvoir faire rapport sur un certain nombre de sujets comme l’exige la Loi, il semble que les sociétés doivent adopter des politiques internes en matière de travail forcé et de travail des enfants, évaluer et gérer les risques relatifs au recours au travail forcé et au travail des enfants dans leurs chaînes d’approvisionnement, former leur personnel et se doter d’un site Web.
De même, bien que la seule obligation imposée aux sociétés consiste à déposer un rapport annuel exposant en détail les mesures prises pour prévenir et atténuer le recours au travail forcé ou au travail des enfants dans leurs chaînes d’approvisionnement (plutôt que d’imposer des obligations d’enquêter pour découvrir ces cas ou de prendre des mesures correctives), le fait que ce rapport doit être rendu public signifie que les sociétés ont fortement intérêt à aller au-delà des exigences de la Loi, à faire preuve d’une diligence raisonnable active et à agir pour éliminer le travail forcé et le travail des enfants de leurs chaînes d’approvisionnement.
Enfin, il convient de noter que le gouvernement voulait donner à la nouvelle Loi une portée considérablement plus large, ce qu’il n’a pu faire, faute de consensus avec les autres parties. Par conséquent, il a annoncé que la nouvelle Loi n’était qu’une « première étape » et, comme nous l’avons souligné dans notre bulletin sur le budget de 2023, qu’il avait l’intention de déposer un nouveau projet de loi contre le travail forcé en 2024. On ignore encore le contenu exact des exigences qu’imposera ce projet de loi, mais on peut s’attendre à ce qu’il crée des obligations pour les entreprises de prendre des mesures correctives lorsqu’elles découvrent des cas de travail forcé ou de travail des enfants dans leurs chaînes d’approvisionnement.
Avec l’adoption de la nouvelle Loi, le cadre juridique national en matière d’entreprises et de droits de la personne (ce qui correspond au « S » des facteurs ESG, c.-à-d. les considérations sociales) a atteint un nouveau sommet plus haut que ce qui était anticipé. La transition de la conformité volontaire à des directives vers la conformité à des exigences législatives impératives incombant aux entreprises canadiennes, à la fois au pays et à l’étranger – l’empreinte des entreprises sur les droits de la personne – se poursuit sans relâche.