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La Cour d’appel de l’Ontario se prononce sur les mises à pied temporaires

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Espace RH

Une décision récente de la Cour d’appel de l’Ontario rappelle aux employeurs qu’à moins qu’un contrat de travail ne contienne une clause expresse permettant les mises à pied temporaires, il est possible qu’il n’existe aucun droit implicite de mettre à pied temporairement un employé.

Que s’est-il passé?

Dans l’affaire Pham v. Qualified Metal Fabricators Ltd.[1](« Pham »), l’employeur a subi d’importantes pertes financières en raison de la pandémie de la COVID-19 et, en mars 2020, il a mis à pied 31 de ses employés.

Le demandeur de l’affaire Pham (l’« employé ») était l’un des employés mis à pied. Le 23 mars 2020, le directeur d’usine de l’employeur a rencontré l’employé et lui a remis une lettre de mise à pied l’informant qu’il serait mis à pied temporairement et que ses avantages sociaux seraient maintenus pendant cette période. C’était la première fois que l’employé était mis à pied par l’employeur.

L’employeur a par la suite prolongé la mise à pied de l’employé le 2 juin 2020, puis à nouveau le 23 septembre 2020 et le 9 décembre 2020, jusqu’au 4 septembre 2021.

En décembre 2020, l’employé a consulté un avocat et a écrit à l’employeur pour l’informer qu’il allait déposer une réclamation pour congédiement injustifié.

Le 9 février 2021, l’employeur a envoyé à l’employé une lettre de rappel au travail. L’employé n’a pas répondu à cette lettre. À ce moment-là, la déclaration de l’employé avait déjà été produite et l’employé avait récemment trouvé un autre emploi.

La requête de l’employeur en jugement sommaire

L’employeur a présenté une requête en jugement sommaire pour rejeter la réclamation au motif que l’employé avait accepté ou toléré la mise à pied[2]. L’employé s’est opposé à ce que l’affaire soit tranchée par voie de requête en jugement sommaire.

Le juge saisi de la requête a accueilli la requête en jugement sommaire de l’employeur et rejeté la réclamation pour congédiement injustifié, car il a conclu que l’employé avait toléré la mise à pied (et que, par conséquent, l’employé n’avait pas fait l’objet d’un congédiement déguisé).

L’employé a porté appel de cette décision.

L’appel

La Cour d’appel de l’Ontario a accueilli l’appel au motif que la réclamation n’aurait pas dû être rejetée de façon sommaire en raison de l’objection de l’employé à ce que l’on procède par voie de jugement sommaire. Le juge saisi de la requête croyait à tort que les deux parties avaient convenu de procéder par voie de jugement sommaire. Par conséquent, la Cour d’appel de l’Ontario a renvoyé l’action pour congédiement injustifié à la Cour supérieure pour procès.

Dans sa décision, la Cour d’appel de l’Ontario a également conclu que la décision du juge saisi de la requête était fondée sur une interprétation erronée du droit applicable concernant les mises à pied temporaires et la tolérance à l’égard des changements fondamentaux apportés aux conditions d’emploi.

Modalités implicites permettant les mises à pied

En l’absence d’une clause expresse ou implicite contraire dans un contrat de travail, une mise à pied unilatérale par un employeur constitue un changement important qui peut constituer un congédiement déguisé. Dans l’affaire Pham, le contrat de travail de l’employé ne comportait pas de modalité expresse permettant à l’employeur d’imposer des mises à pied. La Cour d’appel a conclu que le juge saisi de la requête avait commis une erreur en omettant d’examiner si une telle modalité était implicite.

L’employeur estimait qu’il avait un droit implicite de mettre à pied l’employé en raison de sa pratique antérieure en matière de mises à pied. Cependant, la Cour d’appel de l’Ontario a rejeté l’argument de l’employeur selon lequel cette pratique lui donnait un fondement juridique lui permettant de mettre à pied l’employé.

Tolérance de mises à pied et d’autres changements fondamentaux

En outre, la Cour d’appel a estimé que la tolérance de l’employé à l’égard de la mise à pied n’était pas établie dans le dossier présenté au juge saisi de la requête. Bien que l’employé ait signé l’avis de mise à pied qui lui avait été remis par l’employeur, la Cour d’appel a conclu qu’il n’y avait aucune preuve que la signature de l’employé reflétait autre chose qu’un accusé de réception de la lettre de mise à pied.

La Cour d’appel a également rejeté l’argument de l’employeur selon lequel le silence de l’employé à l’égard de la mise à pied, qui a été prolongée à plusieurs reprises, constituait une preuve suffisante de tolérance.

Leçons pour les employeurs

L’affaire Pham rappelle aux employeurs que le droit d’imposer une mise à pied est rarement tacite, et montre la difficulté de prouver la tolérance comme moyen de défense après le fait contre des allégations de congédiement déguisé, particulièrement en ce qui concerne les mises à pied.

Les employeurs qui prévoient avoir recours à des mises à pied ou le font déjà doivent retenir les points importants suivants de l’affaire Pham :

  • une modalité contractuelle implicite permettant des mises à pied est présente seulement dans des circonstances exceptionnelles, lorsque l’existence de cette modalité est notoire, voire évidente, d’après les faits de la situation;
  • même si une mise à pied respecte la Loi de 2000 sur les normes d’emploi, il est possible qu’elle constitue tout de même un congédiement déguisé;
  • la tolérance à l’égard d’une mise à pied s’exprime généralement par une action positive de l’employé, comme un consentement exprès à la mise à pied. Le silence n’est pas suffisant;
  • l’employé dispose d’un délai raisonnable pour évaluer les changements contractuels unilatéraux avant de déposer une réclamation pour congédiement déguisé. Ainsi, le défaut d’un employé de contester immédiatement un avis de mise à pied ou la prolongation de celui-ci ne fera pas nécessairement échec à une réclamation pour congédiement déguisé.

Par conséquent, il est fortement recommandé aux employeurs qui souhaitent se réserver le droit de mettre à pied des employés sans avoir à verser d’indemnités de départ de revoir leurs contrats de travail et de s’assurer que ces derniers comportent une clause contractuelle expresse autorisant les mises à pied.



[1] Pham v. Qualified Metal Fabricators Ltd., 2023 ONCA 255 (CanLII), https://canlii.ca/t/jwn0b (disponible uniquement en anglais).

[2] L’employeur n’a pas invoqué le Règlement 228/20 de la Loi de 2000 sur les normes d’emploi pour justifier la mise à pied de l’employé. Ainsi, l’effet du Règlement 228/20, qui assimile certaines mises à pied pour des raisons liées à la pandémie de la COVID-19 à un congé spécial en raison d’une maladie infectieuse, n’a pas été examiné par le tribunal dans la décision Pham.

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Auteur

  • Alex Ognibene, Avocat, Toronto, ON, +1 416 868 3497, aognibene@fasken.com

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