Introduction
Quelle est l’étendue de la perte de contrôle du promoteur en vertu de l’article 1104 C.c.Q.? Dans quelle mesure le pouvoir du syndicat est-il absolu suite à ce transfert de contrôle?
Le 27 octobre 2022, le tribunal traite de ces questions dans l’affaire Syndicat des copropriétaires de Gillette Lofts c. 9165-2115 Québec inc., 2022 QCCS 4000, puis rend jugement en faveur du client de Fasken via l’application des nouveaux articles 1103 et 1103.1 C.c.Q. Ces articles prévoient qu’un copropriétaire (y compris le promoteur qui possède toujours une unité) peut demander au tribunal d’annuler ou de modifier une décision des copropriétaires si cette décision est partiale, prise dans l’intention de nuire aux copropriétaires ou au mépris de leurs droits ou si une erreur s’est produite dans le calcul des voix. De même, un copropriétaire peut saisir le tribunal si l’opposition systématique d’un groupe de copropriétaires empêche la tenue d’un vote.
En l’espèce, le tribunal estime qu’il n’y a pas lieu d’intervenir dans la décision des copropriétaires et rejette la demande du promoteur.
Dans son jugement, le tribunal : 1) nous rappelle que l’article 1103 C.c.Q. consacre la doctrine de l’abus de droit en matière de copropriété divise; 2) conclut qu’il n’y a pas eu de conduite abusive de la part du syndicat de copropriétaires en l’espèce; et 3) ajoute que non seulement la méfiance de certains copropriétaires à l’égard du promoteur n’était pas « abusive », elle était même justifiée vu le manque de transparence du promoteur dans la conduite de son projet. Quant à la question de l’opposition systématique, celle-ci n’est pas pertinente en l’espèce, puisqu’aucun empêchement n’a été constaté à l’occasion du vote.
De plus, le tribunal a statué que le délai de 90 jours prévu au C.c.Q. en vertu de l’article 1103 est un délai de déchéance.
Ce qu’il faut retenir
Lorsqu’il perd son pouvoir en vertu de l’article 1104 C.c.Q., le promoteur devient un copropriétaire comme les autres. Dans ces circonstances, son expertise peut être davantage un inconvénient qu’un atout si des travaux additionnels sont nécessaires. En effet, comme tout propriétaire, le promoteur devra se soumettre 1) à la déclaration de copropriété qui constitue un contrat entre tous les copropriétaires; et 2) à la volonté de l’assemblée des copropriétaires qui fait autorité dans cette démocratie à petite échelle.
Si des travaux importants sont requis, par exemple des travaux qui nécessiteront l’approbation d’une double majorité en vertu de l’article 1097 C.c.Q. ou d’une majorité de 90 % en vertu de l’article 1098 C.c.Q., il est bien entendu souhaitable qu’ils aient lieu avant que le promoteur perde le contrôle du syndicat.
Si ces travaux nécessitent une subdivision des fractions, il peut être judicieux pour les promoteurs de prévoir ces fractions à même la déclaration de copropriété, même si ces fractions seront destinées à des fins provisoires particulières ou si elles seront physiquement jointes. En effet, bien que l’ajout (ou la suppression) de fractions requiert le vote de la double majorité des copropriétaires pour modifier la déclaration de copropriété, les travaux visant à joindre physiquement des fractions adjacentes (sans les combiner en une seule fraction) ou à modifier les limites contiguës de deux fractions ne requièrent pas un tel vote (voir l’article 1100 C.c.Q.). Dans ce cas, le promoteur devrait s’assurer que la vocation de ces fractions particulières permet tant l’utilisation provisoire que permanente et ce, pour éviter de devoir modifier la déclaration afin d’autoriser une utilisation permanente ultérieure, ce qui déclencherait l’obligation de procéder à un vote des copropriétaires.
Si aucune de ces solutions n’est possible, la transparence et la collaboration avec le conseil d’administration sont essentielles. En outre, il n’est pas toujours facile d’obtenir une double majorité. La préparation et la bonne exécution d’un plan visant à joindre tous les copropriétaires et à leur expliquer le projet peuvent donc se révéler une solution plus judicieuse que de menacer les copropriétaires d’une poursuite et de les placer devant le fait accompli.
Résumé des faits
9165-2115 Québec inc. (« 9165 ») est le promoteur du projet résidentiel Gillette Lofts, qui consistait en la conversion d’un immeuble commercial existant en un immeuble de condominiums résidentiels. À la suite de la conversion de l’immeuble en 2006-2007, 9165 demeure propriétaire de l’unité 108. Cette unité devait initialement être divisée en trois unités résidentielles, mais elle est finalement demeurée une seule unité commerciale au rez-de-chaussée. 9165 en a fait son bureau.
En 2015, 9165 indique au conseil d’administration de Gillette Lofts (le « Conseil ») qu’elle a l’intention de subdiviser l’unité 108 et de la vendre comme trois unités résidentielles distinctes (le « Projet »), comme cela était prévu initialement. Le Conseil ne voit aucun inconvénient dans le Projet proposé, mais demande les plans des travaux à réaliser, puis souligne que l’approbation des copropriétaires sera requise selon le pourcentage prévu à l’article 1097 C.c.Q. Ce pourcentage correspond à une « double majorité », soit 75 % des voix, car les travaux nécessaires entraîneront une modification de la déclaration de copropriété et de nouvelles fractions seront ajoutées.
Le Conseil indique à 9165 que la double majorité est un seuil élevé. Toutefois, 9165 semble confiante de pouvoir faire pencher la balance en sa faveur auprès des copropriétaires, si bien que les travaux requis sont très avancés au moment où le vote est demandé pour la première fois.
Le 17 novembre 2015, ainsi que le 26 janvier et le 12 avril 2016, l’assemblée des copropriétaires est appelée à se prononcer sur le Projet, mais l’issue du vote est défavorable pour 9165. En effet, à la première de ces dates, le quorum n’est pas atteint, alors qu’aux deux dates suivantes, la double majorité n’est pas atteinte.
Insatisfait du résultat, 9165 réalise néanmoins son Projet, obligeant ainsi le syndicat des copropriétaires à déposer un recours pour demander l’annulation de la subdivision des lots. Il est intéressant de noter qu’étant donné que 9165 est propriétaire de sa partie privative, elle pouvait procéder à la subdivision sans l’autorisation de l’assemblée, tout en sachant pertinemment que le vote de l’assemblée en vertu de l’article 1097 C.c.Q. serait ultimement requis, du moins a posteriori, pour ajouter les lots nouvellement créés à la déclaration de copropriété. Il s’agissait d’un risque que 9165 a volontairement assumé.
Le 4 novembre 2020, le Projet achevé est à nouveau présenté aux copropriétaires par 9165 et, à nouveau, 9165 échoue, la majorité requise n’étant pas atteinte.
9165 conteste donc le résultat de ce vote par une demande reconventionnelle en vertu des articles 1103 et 1103.1 C.c.Q. alléguant que la décision du 4 novembre 2020 est partiale, qu’elle a été prise dans l’intention de nuire à 9165 et au mépris de ses droits. L’argument de 9165 repose sur le fait que son Projet ne cause aucun préjudice aux copropriétaires.
Nouvelle version des articles applicables
Depuis janvier 2020, l’article 1103 C.c.Q. a fait l’objet d’une refonte importante. À présent, il permet non seulement à un tribunal d’« annuler » une décision de l’assemblée des copropriétaires, mais également de la « modifier », s’il est prouvé que cette modification est nécessaire :
1103. Tout copropriétaire peut demander au tribunal d’annuler ou, exceptionnellement, de modifier une décision de l’assemblée si elle est partiale, si elle a été prise dans l’intention de nuire aux copropriétaires ou au mépris de leurs droits, ou encore si une erreur s’est produite dans le calcul des voix.
L’action doit, sous peine de déchéance, être intentée dans les 90 jours de l’assemblée.
Le tribunal peut, si l’action est futile ou vexatoire, condamner le demandeur à des dommages-intérêts.
Par ailleurs, l’article 1103.1 C.c.Q. est une nouvelle disposition législative qui prévoit comme suit :
1103.1 Si les copropriétaires ne peuvent, en cas d’empêchement ou par suite de l’opposition systématique de certains d’entre eux, agir à la majorité ou selon la proportion prévue, le tribunal peut, à la demande d’un copropriétaire, rendre toute ordonnance qu’il estime appropriée dans les circonstances.
Analyse
Dans son évaluation, la Cour supérieure conclut qu’est mal fondée l’affirmation de 9165 voulant que la décision des copropriétaires est partiale ou prise dans l’intention de nuire.
En effet, 9165 plaidait que le Conseil a fait un rapprochement injustifié entre son manque de transparence dans le cadre de son Projet et l’approbation requise par l’assemblée des copropriétaires. Selon 9165, son manque de transparence, s’il en est, au cours du projet ne concernait que certains plans ou autorisations devant être fournis par le Conseil, alors que l’approbation de l’assemblée des copropriétaires en vertu de l’article 1097 C.c.Q. relève de questions qui n’auraient rien à voir avec le Projet.
La Cour fait part de son désaccord et déclare :
[183] En décidant de débuter et de poursuivre les travaux de subdivision en faisant fi des demandes légitimes du Conseil et en mettant ce dernier, de même que l’ensemble des copropriétaires devant des faits accomplis, 9165 a forcément créé un lien entre cette approbation et les travaux qui font désormais partie de l’immeuble.
La Cour revient également sur les moyens mis en œuvre par 9165 pour obtenir la majorité requise. Ces efforts ont été mal réfléchis, comme l’affirme la Cour :
[184] Qui plus est, en refusant de fournir des plans détaillés permettant au Conseil de rassurer les autres copropriétaires quant à l’impact concret de cette subdivision sur la copropriété dans son ensemble, 9165 a pu créer un sentiment de méfiance qui a motivé les copropriétaires à obtenir davantage de réponses avant d’accepter la modification proposée.
[185] Le Tribunal n’y voit rien d’abusif. Il n’y voit pas non plus une décision qui aurait été prise à l’encontre de l’intérêt collectif des copropriétaires, au contraire.
[186] 9165 ira même jusqu’à menacer les copropriétaires d’une poursuite en dommage advenant le cas où le vote ne serait pas en sa faveur, lors de l’assemblée du 12 avril 2016. À cette occasion, il tiendra également le Conseil à une obligation de résultat quant à l’issue du vote. Une telle conduite va clairement à l’encontre de l’exercice démocratique qu’est le vote de l’assemblée des copropriétaires.
[187] Si abus il y a eu, il ne venait ni du Conseil ni de l’assemblée des copropriétaires.
En ce qui concerne l’article 1103.1 C.c.Q., la Cour fait une distinction entre son application et celle de l’article 1103 C.c.Q., consacrant ainsi deux régimes juridiques distincts avec deux objectifs distincts.
En effet, la question visée par l’article 1103.1 C.c.Q. est l’impossibilité de tenir un vote, plutôt que le résultat du vote lui-même :
[194] Quant aux pouvoirs conférés par l’article 1103.1 C.c.Q., la question est de savoir si nous sommes en présence d’un empêchement des copropriétaires d’agir selon la proportion prévue.
[195] Le recours prévu à l’article 1103.1 C.c.Q. ne vise pas l’attaque du résultat obtenu, mais bien l’empêchement à tenir un vote suivant la proportion prévue.
Enfin, en ce qui concerne le délai de 90 jours pour déposer une demande visant à contester une décision prise par l’assemblée des copropriétaires, le tribunal rappelle ce qui est déjà clairement énoncé à l’article 1103 C.c.Q., à savoir qu’il s’agit là d’un délai de déchéance, et qu’aucune requête ne sera recevable après l’expiration de ce délai de 90 jours. Afin d’éviter toute ambiguïté, quiconque souhaite contester une telle décision doit garder à l’esprit qu’un délai de 90 jours n’équivaut pas à un délai de trois mois.
Bien que ce délai soit nuancé dans d’autres jugements (voir Gaudette c. Syndicat de la copropriété Lauzon, 2022 QCCS 3848), nous ne croyons pas que ces raisonnements soient irréconciliables.