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La Cour fédérale rejette la demande fondée sur l’utilisation abusive du droit d’auteur dans l’affaire Millennium c. Bell

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Bulletin de la propriété intellectuelle

Dans l’une des premières plaintes visant à obtenir des dommages-intérêts contre un fournisseur d’accès Internet pour non-respect des obligations d’« avis et avis » prévues par la Loi sur le droit d’auteur, la Cour fédérale a statué que ces plaintes ne constituaient pas un abus de droit d’auteur.

Millennium Producers allègue avoir envoyé à Bell Canada et Bell Aliant (collectivement, Bell) plus de 81 000 avis entre le 9 février 2019 et le 15 juin 2021 et que Bell n’a pas transmis près de 40 000 avis de manière appropriée en vertu de la Loi sur le droit d’auteur. Millennium demande environ 400 millions de dollars de dommages-intérêts, soit 10 000 dollars pour chaque manquement à l’obligation d’avis.

Bell reconnaît qu’elle n’a pas remis certains avis pour des raisons légitimes, notamment :

  • les avis n’ont pas été envoyés à Bell ou reçus par Bell;
  • les avis contenaient des informations inexactes;
  • les avis étaient en double;
  • les avis n’étaient pas conformes;
  • l’adresse électronique du client auquel Bell devait transmettre des avis n’était pas valide; ou
  • Bell n’a pas été en mesure de transmettre les avis malgré des efforts diligents.

Essentiellement, Bell a plaidé en défense que les demandeurs et leurs avocats avaient abusé du régime d’avis et avis en utilisant le programme d’application du droit d’auteur comme un [traduction] « outil de harcèlement et d’intimidation »[1], ce qui constituait un abus du droit d’auteur. Le programme d’application du droit d’auteur utilise des logiciels et des services pour envoyer des avis d’actes présumés illicites aux fournisseurs d’accès Internet afin que ces derniers les transmettent à leurs clients.

Millennium a déposé une requête en radiation de la demande reconventionnelle visant toutes les allégations de Bell. Le juge responsable de la gestion de l’instance a accueilli cette requête, et a radié toutes les allégations de Bell.

Bell a interjeté appel de la décision du juge responsable de la gestion d’instance devant la Cour fédérale.

Questions en litiges en appel

Les questions soulevées lors de l’appel étaient les suivantes :

  1. Le juge responsable a-t-il commis une erreur en radiant les allégations relatives à l’utilisation abusive du droit d’auteur?
  2. Le juge responsable a-t-il commis une erreur en rejetant les allégations à l’encontre des avocats de Millenium?
  3. Le juge responsable a-t-il commis une erreur en supprimant les allégations de champartie et de soutien délictueux?
  4. Le juge responsable a-t-il commis une erreur en rejetant les allégations d’abus de procédure et de complot en vue d’utiliser des moyens illégaux?
  5. Le juge responsable a-t-il commis une erreur en radiant l’allégation relative à la Charte?
  6. Bell aurait-elle dû être autorisée à modifier son acte de procédure?

La radiation d’allégations d’une défense n’est pas prise à la légère, afin de ne pas priver les personnes de la possibilité de défendre leur cause devant un tribunal, en particulier à l’égard des demandes nouvelles. Néanmoins, le juge siégeant en révision a estimé que le juge responsable avait bien déterminé les principes selon lesquels ce n’est que dans les cas les plus clairs où un acte de procédure est incapable de constituer une preuve ou constitue une simple spéculation qu’il doit être radié.

La norme de contrôle applicable est celle de la décision correcte, tant pour les questions de droit que les questions mixtes de fait et de droit.

Premières allégations à l’encontre d’un fournisseur d’accès à Internet

Millennium fait valoir les droits d’auteur de cinq films en alléguant que les clients de Bell Internet ont violé les droits d’auteur de leurs films en distribuant illégalement les films au moyen du réseau pair-à-pair BitTorrent. En résumé, les clients de Bell auraient reproduit et partagé les films dont Millennium détient les droits d’auteur sans autorisation et Millennium a intenté une action contre Bell, le fournisseur d’accès Internet de ces utilisateurs.

Qu’est-ce que le régime d’avis et avis?

Le régime d’avis et d’avis vise à dissuader les personnes d’enfreindre les droits d’auteur sur Internet. Il ne s’agit pas d’un cadre destiné à éliminer totalement les violations des droits d’auteur. Parallèlement au régime d’avis, une ordonnance de type Norwich peut être obtenue pour obliger le fournisseur d’accès Internet à divulguer l’identité d’une personne afin de faciliter la possibilité de poursuivre cette personne qui reçoit des avis dans le cadre du régime.

Voici ce que prévoit l’article 41.25 de la Loi :

  • quand et à qui un avis peut être envoyé dans le cadre du régime d’avis et avis;
  • le contenu et la forme de l’avis;
  • quel contenu est considéré interdit.

En outre, l’article 41.26 énonce les obligations liées à l’avis, notamment :

  • Si un avis répond aux exigences de l’article 41.25, le fournisseur d’accès Internet est tenu de transmettre l’avis par voie électronique à l’endroit indiqué dans l’avis et d’informer le demandeur de cette transmission dans les plus brefs délais.
    • Si la transmission n’est pas possible, le fournisseur d’accès Internet doit en donner les raisons.
  • En cas de non-transmission d’un avis, les dommages-intérêts prévus par la Loi peuvent se situer entre 5 000 $ et 10 000 $.

La défense relative à l’utilisation abusive du droit d’auteur

La défense relative à l’utilisation abusive du droit d’auteur, bien que mentionnée dans la jurisprudence canadienne, n’a pas encore été jugée en droit canadien. L’utilisation abusive du droit d’auteur, en tant que doctrine en développement peut être interprétée comme une sorte de défense équitable dans des contextes où un titulaire de droit d’auteur agit au-delà de la portée des droits exclusifs qui lui sont conférés, en violation de l’ordre public ou des lois antitrust reflétées dans la loi. 

La défense de l’utilisation abusive du droit d’auteur est souvent appliquée si :

  • il y a violation des lois antitrust;
  • le titulaire du droit d’auteur a prolongé son monopole illégalement; ou
  • le titulaire du droit d’auteur a violé les politiques publiques qui sous-tendent les lois sur le droit d’auteur.

Le juge siégeant en révision s’est positionné contre l’approche restreinte de la défense de l’utilisation abusive du droit d’auteur, adoptée par le juge responsable de la gestion de l’instance. Le juge siégeant en révision a constaté une erreur dans la manière dont le juge responsable a restreint l’approche de la défense en estimant que les arguments soulevés qui impliquaient des questions de politique ne pouvaient pas être invoqués à l’appui de la défense d’utilisation abusive du droit d’auteur. Toutefois, le juge siégeant en révision a estimé qu’il n’y avait pas d’erreur dans la conclusion selon laquelle Bell n’avait mis en preuve aucun fait important étayant son allégation d’utilisation abusive du droit d’auteur.

Les subtilités de l’utilisation abusive du droit d’auteur

Le juge siégeant en révision était également en désaccord avec les conclusions selon lesquelles la doctrine de l’utilisation abusive du droit d’auteur ne peut jamais s’appliquer à une action en vertu de l’article 41.26. Les allégations d’utilisation abusive du droit d’auteur sont fondées sur la doctrine américaine qui reconnaît la violation des politiques publiques sous-jacentes à la loi sur le droit d’auteur par un titulaire de droit d’auteur. Le juge soutient qu’en raison de [traduction] « l’ensemble du bien-fondé et des subtilités de la doctrine »[2], une requête en radiation comme celle-ci dépasse la portée.

En l’espèce, Bell est visée par l’application du droit d’auteur aux termes du programme d’application du droit d’auteur, même si l’action sous-jacente n’est pas une action en contrefaçon. Ainsi, Bell peut toujours faire l’objet de dommages-intérêts résultant de l’application de l’article 41.26 de la Loi. Le juge siégeant en révision ne tire aucune conclusion solide quant à la question de savoir si la doctrine peut s’appliquer à une action fondée sur l’article 41.26 de la Loi parce qu’elle n’est pas, à l’heure actuelle, [traduction] « claire et évidente »[3].

Les faits ne permettent pas de conclure à une utilisation abusive du droit d’auteur

Le juge siégeant en révision estime que les faits allégués ne soutiennent pas suffisamment la prétention de Bell selon laquelle le programme d’application du droit d’auteur sert à intimider et à harceler les contrevenants présumés, ce qui permet de réclamer des sommes importantes aux fournisseurs d’accès Internet. L’acte de procédure explique sommairement comment le programme d’application du droit d’auteur envoie un grand nombre d’avis générés aux fournisseurs d’accès Internet.

Le juge a conclu que l’acte de procédure n’explique pas :

  • comment le programme d’application du droit d’auteur envoie des avis à ceux qui ne commettent pas d’infraction ou qui sont accusés à tort d’une activité illicite;
  • en quoi les avis ne sont pas fiables et sont illégaux;
  • quelle proportion des avis est concernée par l’allégation.

Il a donc été estimé que les actes de procédure ne contenaient pas de motifs satisfaisants pour alléguer un comportement inapproprié de la part de Millennium.

Conclusions et enseignements à tirer

Le juge siégeant en révision n’a pas trouvé d’erreurs fondamentales dans la décision du juge responsable et n’a pas accordé à Bell l’autorisation de modifier son acte de procédure.

Cette décision offre un contexte utile à la défense relative à l’utilisation abusive du droit d’auteur, y compris le fait que les arguments peuvent contenir des questions de politique. La question de savoir si la doctrine de l’utilisation abusive du droit d’auteur peut s’étendre à une action au titre de l’article 41.26 n’est toutefois pas encore tranchée.


[1] Millennium Funding, Inc. v. Bell Canada, [2023] FCJ No 776, 2023 FC 764, au paragraphe 11 (en anglais seulement). [Millennium c. Bell]

[2] Ibid, au paragraphe 45. 

[3] Ibid, au paragraphe 20.

Contactez les auteurs

Si vous avez des questions concernant la violation des droits d’auteur ou les avis de droits d’auteur, veuillez communiquer avec Jay Kerr-Wilson.

Contactez les auteurs

Auteurs

  • Gerald (Jay) Kerr-Wilson, Associé | Agent de marques de commerce, Ottawa, ON, +1 613 696 6884, jkerrwilson@fasken.com
  • Riley Mintz, Stagiaire en droit, Ottawa, ON, +1 613 696 3150, rmintz@fasken.com

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