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Prudence avec les 👍 et 👌 : Un tribunal canadien se penche sur le poids des Ă©mojis dans l’acceptation d’un contrat

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Bulletin Litiges et résolution de conflits

Une décision récente de la Saskatchewan est devenue virale en raison de son sujet « émotif ». Dans la décision South West Terminal Ltd. v. Achter Land, 2023 SKKB 116 (disponible uniquement en anglais), le tribunal a établi qu’un contrat avait été conclu parce qu’une partie avait répondu à un message texte avec l’émoji « 👍 ». Bien que cette décision puisse sembler surprenante đŸ˜Č, elle démontre la souplesse du droit des contrats canadien, qui est en mesure de s’adapter aux communications électroniques modernes. Elle sert aussi de mise en garde : la prudence est de mise dans toutes les formes de communication 📱 – que l’on utilise des émojis ou tout autre moyen de communication.

Résumé de l’affaire :

Le demandeur, South West Terminal Ltd. (ci-après « SWT »), cherchait à acheter 395 tonnes métriques de lin đŸŒŸ auprès du défendeur, Achter Land (ci-après « AL »). Les parties entretenaient une relation de longue date et avaient conclu, à quatre reprises auparavant, des contrats similaires par le biais de messages textes đŸ“±. Dans ces cas, les parties discutaient des modalités au téléphone, SWT rédigeait un contrat écrit, le signait à la main et envoyait une photo du contrat signé par message texte à AL lui demandant de [traduction] « bien vouloir confirmer le contrat ». AL répondait [traduction] « c’est beau », « OK » ou « yep », puis livrait le produit. Le même processus a été suivi en l’espèce, sauf qu’AL a répondu à SWT avec l’émoji « 👍 » et qu’AL n’a pas livré le lin parce que le prix courant du lin avait presque doublé 📈 au moment de la livraison par rapport au prix prévu au contrat.

En appliquant le critère relatif à la formation d’un contrat, récemment repris par la Cour suprême du Canada dans l’affaire Ethiopian Orthodox Tewahedo Church of Canada St. Mary Cathedral c. Aga, 2021 CSC 22, le tribunal s’est demandé si une personne raisonnable dans la situation de SWT aurait considéré que la conduite d’AL constituait une acceptation du contrat. Il a donc conclu qu’il y avait eu un accord de volonté entre les parties et qu’une personne raisonnable aurait estimé que le 👍 constituait l’acceptation des modalités du contrat de la part d’AL, compte tenu de la compréhension commune de cet émoji et de la tendance incontestée selon laquelle les parties avaient déjà conclu des contrats avec des réponses textuelles aussi laconiques.

Considérations pratiques et analyse :

Qu’il soit question de courriels, de télécopies ou même de télégraphes, la common law a toujours été forcée de s’adapter aux nouvelles technologies de communication, et cette décision d’interprétation des émojis n’est que la plus récente itération de ces avancées.

Le tribunal a conclu que le 👍 répondait suffisamment aux deux objectifs d’une signature réelle, soit la transmission de l’identité du signataire et l’acceptation du contrat par le demandeur. Il a également jugé que, dans les circonstances, l’émoji 👍 était une [traduction] « action sous forme électronique » visant à exprimer l’acceptation, en vertu de la Electronic Information and Documents Act, 2000 de la Saskatchewan, et qu’il constituait une signature électronique aux fins de la Sales of Goods Act de la province.

Bien entendu, cette décision porte sur une situation assez simple : l’envoi par message texte d’un émoji bien connu entre deux personnes à un numéro de téléphone confirmé. Il reste à voir comment les variations factuelles de cette situation influeront l’analyse des tribunaux. Par exemple, on peut se demander dans quelle mesure l’analyse changerait si les tribunaux se penchaient sur l’utilisation d’émojis ayant plus d’une signification généralement acceptée (selon la culture ou le groupe d’âge), sur l’apparence différente des émojis d’une plateforme de messagerie à l’autre ou sur la communication par des plateformes où l’identité de l’expéditeur est moins évidente. Cette affaire soulève également des questions quant à la façon dont les émojis seront interprétés dans d’autres contextes juridiques, comme dans des cas où la responsabilité civile est engagée pour fausses déclarations ou diffamation.

Quoi qu’il en soit, avant d’envisager de retenir les services de votre adolescent comme expert des litiges sur les émojis et de lui demander d’interpréter l’utilisation de 🙏, 💯 ou 🚹, gardez en tête que cette affaire démontre que l’analyse dépendra du contexte dans lequel les émojis sont utilisés et des principes juridiques existants.

Bien que l’affaire soit inédite dans son examen des émojis en droit contractuel canadien, l’utilisation et l’analyse des émojis comme forme de communication ne sont pas chose nouvelle pour les tribunaux. Comme indiqué dans un article de Laurence Bich-Carrière (disponible uniquement en anglais), il a déjà été question d’émojis dans plus de 115 décisions au Canada. En outre, l’interprétation des émojis a déjà été examinée à la loupe par d’autres territoires de common law. En Israël, dans une décision rendue en 2017, il a été conclu que l’émoji đŸŸ démontrait l’intérêt d’une partie à louer une propriété et a entraîné l’octroi de dommages-intérêts au propriétaire. Aux États-Unis, plus de 586 décisions ont fait référence aux émojis, dont 45 décisions qui portaient spécifiquement sur l’émoji 👍 et son interprétation.

Les tribunaux canadiens leur emboîtent le pas 🏃 pour s’adapter à l’ère numérique et semblent bien outillés pour s’attaquer à ce que la Cour du Banc du Roi de la Saskatchewan a décrit en l’espèce comme la [traduction] « nouvelle réalité de la société canadienne ». Cette affaire est un bon exemple de la capacité d’adaptation des tribunaux dans l’application de la doctrine juridique établie aux nouvelles formes de communication. L’application par le tribunal du critère de consensus ad idem quant à l’utilisation du 👍 était louablement contextuel et souple. Bref, les parties devraient utiliser les émojis de façon réfléchie dans leurs communications, qu’il s’agisse de 👍, 👊, đŸ€, 👀 ou 👌!

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Auteur

  • Christopher Casher, Avocat, Toronto, ON, +1 416 865 4481, ccasher@fasken.com

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