Le vendredi 13 octobre 2023, la Cour suprême du Canada a déclaré inconstitutionnel le régime des « projets désignés » de la Loi sur l’évaluation d’impact (la « Loi ») [1].
Au Canada, les gouvernements fédéral et provinciaux ont des rôles à jouer, mais ils doivent limiter leurs efforts en fonction de leurs champs de compétence respectifs établis dans la Constitution du Canada. Cette décision porte sur le partage de la responsabilité législative en matière d’environnement.
En 2022, la Cour d’appel de l’Alberta, en réponse à une question soulevée par le gouvernement de l’Alberta dans le cadre d’un renvoi, a conclu que la Loi ne relevait pas de la compétence du gouvernement fédéral et qu’elle était donc inconstitutionnelle [2]. Le Canada a interjeté appel de cette décision devant la Cour suprême du Canada.
Conclusions de la Cour suprême du Canada
Le juge en chef du Canada, s’exprimant au nom de la majorité, a conclu que le régime des « projets désignés » de la Loi est inconstitutionnel. La Cour estime que la Loi empiète sur le pouvoir exclusif des provinces de légiférer dans certains domaines (y compris la propriété et les droits civils et les ressources naturelles) pour les motifs suivants :
- La prise de décisions découlant de la Loi n’est pas dictée par la prise en compte des effets relevant d’un domaine de compétence fédérale :
- Étape de l’examen préalable : La Loi accorde un vaste pouvoir discrétionnaire permettant d’exiger une évaluation d’impact sur la base de motifs qui ne sont pas liés avec de possibles effets fédéraux négatifs. La Cour suprême estime plutôt que « la décision d’exiger une évaluation d’impact doit être fondée sur la possibilité qu’un projet entraîne des effets négatifs liés aux compétences fédérales [3] ».
- Étape de la prise de décisions : La portée de la décision « dans l’intérêt public » à la fin d’une évaluation est trop large. La détermination de l’intérêt public prévue par la Loi permet au décideur d’évaluer si le projet dans son ensemble est dans l’intérêt public, au lieu de se limiter à la question de savoir si les effets relevant d’un domaine de compétence fédérale qui sont négatifs sont dans l’intérêt public [4].
La Cour a émis une mise en garde : si l’on ne limite pas la prise en compte d’éléments généraux, tels que la durabilité ou les engagements du Canada en matière de lutte contre les changements climatiques, la Loi risque de donner lieu à une décision défavorable relative à l’intérêt public fondée sur des effets ne relevant pas de la compétence fédérale [5].
- La définition d’« effets relevant d’un domaine de compétence fédérale » dans la Loi outrepasse les limites de la compétence législative fédérale. La portée excessive de cette définition touche le régime dans son ensemble, y compris la désignation d’activités concrètes en tant que projets désignés, la prise de décisions dans l’intérêt public et les interdictions fondées sur les effets énoncées à l’article 7 de la Loi [6].
La définition englobe un éventail illimité de changements environnementaux interprovinciaux. Des pouvoirs de réglementation aussi étendus sont inadmissibles selon la Cour [7]. Ils permettraient, par exemple, de désigner des projets (et de prendre des décisions dans l’intérêt public) sur la base des émissions interprovinciales de gaz à effet de serre [8].
La Cour suprême a indiqué qu’un régime de « projets désignés » n’est pas en soi problématique. C’est dans l’application de ce régime que le bât blesse. Même que l’étape de l’évaluation ne doit pas se limiter aux effets relevant de la compétence fédérale. Il est nécessaire et approprié qu’un large éventail de renseignements, y compris des renseignements allant au-delà des effets relevant d’un domaine de compétence fédérale, soient recueillis dans le cadre d’une évaluation [9]. Toutefois, la désignation et les décisions relatives à l’intérêt public doivent être axées sur ces effets.
La Cour suprême a déclaré constitutionnelle la partie du régime d’évaluation portant sur les projets non désignés, aux articles 81 à 91 de la Loi. Cette partie du régime concerne les activités concrètes réalisées ou financées par les autorités fédérales sur un territoire domanial ou à l’étranger. La Cour suprême a considéré que cette procédure relevait clairement de la compétence législative fédérale.
Répercussions
Comme il s’agit d’une décision d’appel portant sur la réponse à une question posée dans le cadre d’un renvoi, la décision de la Cour est de nature consultative et n’invalide pas la Loi. Toutefois, elle obligera sans aucun doute le Canada à modifier ou à réformer la Loi conformément aux directives de la Cour suprême.
Le ministre de l’Environnement et du Changement climatique, Steven Guilbeault, a déclaré que le gouvernement respecte la décision et qu’il travaillera à l’amélioration de la législation au Parlement, en suivant les directives de la Cour. Toutefois, il a souligné que, d’ici là, les évaluations des projets actuellement en cours se poursuivraient. Le ministre des Ressources naturelles, Jonathan Wilkinson, a déclaré qu’il s’attendait à ce que le gouvernement soit en mesure d’apporter les modifications nécessaires d’une manière relativement chirurgicale.
Néanmoins, la décision retardera vraisemblablement les projets en cours qui sont à l’étape d’évaluation d’impact ou d’examen préalable. Les décisions relatives à l’examen préalable et à l’intérêt public ne seront probablement pas rendues tant que le Parlement n’aura pas modifié ou réformé la Loi.
Les promoteurs de projets doivent tenir compte des implications spécifiques de la décision pour leurs propres projets si ceux-ci ont fait, font ou feront l’objet d’une évaluation d’impact fédérale. Les répercussions de la décision dépendront donc des circonstances particulières de chaque projet.
Si vous avez des questions concernant les répercussions de la décision pour votre propre projet, veuillez communiquer avec les auteurs de ce bulletin ou un membre de nos équipes de droit de l’environnement ou de la réglementation.
[1] Renvoi relatif à la Loi sur l’évaluation d’impact, 2023 CSC 23; le juge en chef Wagner a rédigé la décision majoritaire (pour cinq juges). Deux juges ont exprimé leur dissidence.
[2] Reference re Impact Assessment Act, 2022 ABCA 165.
[3] Par. 150.
[4] Par. 166 et 169.
[5] Par. 177.
[6] Par. 181, 182 et 190.
[7] Par. 186.
[8] Par. 184.
[9] Par. 157 et 159.
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