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La Cour d’appel rend une importante decision en matière d’insolvabilité au Canada dans l’affaire Attorney General of Canada c. Richter Advisory Group Inc.

Fasken
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Bulletin insolvabilité et restructuration

Le 18 octobre 2023, la Cour d’appel du Québec (la « Cour d’appel ») a rendu un jugement dans l’affaire Attorney General of Canada v. Richter Advisory Group Inc., 2023 QCCA 1295  [1] confirmant la compétence des tribunaux, siégeant en matière de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité (« LFI »), de mettre en place des charges super-prioritaires ayant préséance sur les fiducies présumées créées en faveur de la Couronne par l’article 227(4.1) de la Loi de l’impôt sur le revenu[2] et son équivalent québécois[3] (les « Fiducies présumées »).

Contexte

Le 26 octobre 2021, confrontées à des problèmes de liquidités, Chronometriq Inc. et Health Myself Innovations Inc. (les « Débitrices ») ont déposé un avis d'intention de faire une proposition en vertu de l'article 50.4 de la LFI. Le même jour, les Débitrices ont également déposé une demande visant, entre autres, à faire approuver un financement intérimaire garanti par une charge super-prioritaire, ainsi qu’un processus de sollicitation d’offres de vente et d’investissements (la « Demande »). Le 27 octobre 2021, le juge de première instance a accueilli la Demande et a rendu une ordonnance approuvant, notamment le financement intérimaire et la charge super-prioritaire en faveur du prêteur, laquelle avait priorité sur les Fiducies présumées (l’ « Ordonnance »).

La décision de la Cour d’appel

La Cour d’appel, sous la plume de l’Honorable Mark Schrager,, J.C.A., confirme le jugement de première instance et conclut qu’en vertu de la LFI, la Cour supérieure a le pouvoir d’ordonner la mise en place de charges super-prioritaires prenant rang avant les Fiducies présumées.

Dans l’arrêt Canada North, rendu par la Cour Suprême du Canada (la « CSC ») en 2021, cette dernière avait confirmé le pouvoir des tribunaux, siégeant en matière de Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies, de mettre en place des charges super-prioritaires ayant préséance sur les Fiducies présumées. Or, les tribunaux canadiens n’avaient pas encore eu l’opportunité de se prononcer sur le pouvoir d’un tribunal siégeant en matière de LFI, de rendre de pareilles ordonnances.

Dans le cadre de ce pourvoi, les autorités fiscales soutenaient que ni la LFI, ni la compétence inhérente de la Cour supérieure n’autorisaient cette dernière à mettre en place une charge super-prioritaire ayant préséance sur la Fiducie présumée. Les autorités fiscales plaidaient également des manquements d’ordre procéduraux à la règle audi alteram partem.

Comme plus amplement expliqué ci-dessous, la Cour d’appel a rejeté ces trois arguments, concluant que (i) la LFI conférait au juge le pouvoir de rendre l’Ordonnance (ii) dans l’alternative, le juge pouvait également se fonder sur sa compétence inhérente et (iii) aucun manquement procédural n’a eu lieu dans les circonstances particulières de l’espèce.

La Cour supérieure a le pouvoir d’ordonner des charges super-prioritaires en vertu de la LFI

La Cour d’appel a d’abord confirmé que le juge siégeant en matière de LFI a les mêmes pouvoirs que celui siégeant en matière de LACC pour accorder des charges super-prioritaires. En effet, ces pouvoirs équivalents se justifient par le fait que :

  • les dispositions de la LFI relatives aux propositions servent le même objectif de redressement que celles de la LACC, soit le redressement financier d’une société débitrice insolvable;
  • que les dispositions de ces deux lois traitant du financement intérimaire sont pratiquement identiques (voir les articles 11.2(2) de la LACC et 50.6(3) de la LFI); et
  • du fait que ces lois doivent être interprétées de façon harmonieuse[4].

La Cour d’appel rappelle le rôle important des financements intérimaires dans les processus de restructuration, et que ces financements risquent fort bien de ne plus être mis à la disposition des compagnies débitrices sans la protection offerte par la charge super-prioritaire. Ultimement, elle rejette l’idée que l’intention du législateur aurait pu être de permettre au tribunal d’accorder une super-priorité en vertu de la LACC, mais pas en vertu de la LFI :

[52] It is self-evident, and has been recognized by the Supreme Court, that without the ability to establish a super priority, financiers would not offer interim or debtor-in-possession (“DIP”) loans. Interim lending charges are an essential ingredient of the restructuring process. The Alberta Court of Appeal noted that 75% of restructurings include interim lending. Thus, the outcome suggested by the Appellants’ reading of the BIA would make interim financing under s. 50.6 BIA unavailable to companies that seek to file a proposal under the BIA. As such, companies with total indebtedness of less than $5 million (i.e., the threshold for the CCAA to be available pursuant to s. 3 CCAA) could not obtain interim financing. This is far from the harmonization to be favoured in applying the two statutes. Moreover, such a state of affairs negates any practical effect or application of s. 50.6 BIA. Parliament does not speak for naught. I do not accept that the Appellants’ interpretation of the BIA is the policy outcome Parliament intended.

[53] I therefore find, on the basis of statutory interpretation, that the judge had the power to issue the Order Under Appeal with respect to the interim financing charge.

Une compétence qui s’appuie également sur la compétence inhérente de la Cour supérieure

La Cour d’appel a également conclu que la compétence inhérente des juges de la Cour supérieure aurait permis au tribunal d’accorder ces charges super-prioritaires en vertu de la LFI [5], si son interprétation des dispositions législatives résumée dans la section précédente était erronée.

Elle rappelle que dans l’arrêt Canada North, la CSC avait basé son raisonnement en grande partie sur l’article 11 de la LACC, qui confère au juge-surveillant un large pouvoir discrétionnaire. [6] Or, elle souligne que la compétence inhérente des tribunaux d’octroyer des charges super-prioritaires était reconnue tant en LACC qu’en LFI, par les acteurs du monde de l’insolvabilité bien avant les amendements de 2005 à la LACC qui ont introduit l’article 11 tel qu’on le connaît aujourd’hui. Ainsi, l’absence de disposition similaire à l’article 11 de la LACC ne pouvait à elle seule priver la Cour supérieure de la compétence inhérente pour rendre les ordonnances recherchées. Au contraire, elle conclut que la compétence inhérente de la Cour supérieure siégeant en matière de LFI découle de l’article 183 de la LFI, l’article 49 du Code de procédure civile du Québec et d’une jurisprudence constante de la Cour d’appel. [7]

La Cour d’appel confirme que c’est la compétence inhérente de la Cour supérieure qui permet aux tribunaux de trouver des solutions pragmatiques, justes et pratiques aux problèmes soulevés par l’insolvabilité, et ce que ce soit en LFI ou en LACC :

[58] In matters of insolvency, courts have held that, as pragmatic problem solvers, they could exercise their inherent jurisdiction to effect a remedy or fill statutory gaps. The jurisprudence has evolved to include substantive law within the purview of the inherent jurisdiction, despite criticism. At the same time, the inherent jurisdiction must be used sparingly and with caution because of its broad and loosely defined nature. Inherent jurisdiction cannot be used in contravention of statutory provisions. It is also limited by the nature of the BIA: [citation omise]

[59] In Stephen Francis Podgurski (Re), Chief Justice Morawetz, of the Ontario Superior Court of Justice, delineated a broad definition of inherent jurisdiction in the context of insolvency. Here, too, in the search for a “just and practical response”– and because he found that the inherent jurisdiction of the court is broad and diverse, unlimited in substantive law and exercisable in any situation[55] – he granted a sweeping motion by the Superintendent of Bankruptcy, which had the effect of extending time limits and tolerating more extensive payment defaults in all cases in the context of COVID‑19.

[60] I would point out that inherent jurisdiction attaches to the Superior Court, such that the same inherent jurisdiction exists whether the CCAA or the BIA is applied. Historically, inherent jurisdiction has been exercised more often upon application of the CCAA, presumably because its skeletal nature makes for more gaps than is the case for the BIA, which offers a detailed rules-based regime. That being said, when a gap is identified upon applying the BIA, the inherent jurisdiction allows the gap to be filled when and as appropriate.

Aucune violation de la règle audi alteram partem

Les autorités fiscales soulevaient également un manquement à la règle audi alteram partem een raison du fait que la requête avait été notifiée la veille de sa présentation, et que le juge avait refusé leur demande de remise de l’audition. Or, la Cour d’appel confirme qu’en matière d’insolvabilité, les procédures de la sorte sont souvent notifiées et présentées dans des contextes urgents et avec de courts délais, et que la décision du juge de refuser la demande de remise dans le contexte de l’instance n’était pas déraisonnable.

Conclusion

En confirmant qu’en vertu de la LFI, la Cour supérieure a le pouvoir d’ordonner des charges super-prioritaires ayant priorité sur les Fiducies présumées, la Cour d’appel confirme et favorise l’accessibilité au financement intérimaire pour les sociétés débitrices se restructurant sous la LFI. Cette décision réaffirme les enseignements de la CSC selon lesquels, la LFI et la LACC doivent être interprétées de manière harmonieuse. De plus, la Cour d'appel a également réitéré que la compétence inhérente des juges de la Cour supérieure, qui est depuis longtemps reconnue par la jurisprudence, s’applique tout autant en matière de LACC que sous la LFI. Celle-ci peut ainsi être invoquée pour combler les lacunes de chacune des lois, dans le but de faciliter une restructuration efficace des entreprises en difficulté.



*Fasken a représenté l’intervenante, l’Institut d’insolvabilité du Canada, dans le cadre de cet appel.

[1] 2023 QCCA 1295.

[2] R.S.C. 1985, c. 1 [« LIR »].

[3] Loi sur l'administration fiscale, RLRQ c A-6.002.

[4] Supra, à la note 8, au par 46.

[5] Supra, à la note 8, au par 55.

[6] Supra, à la note 3.

[7] RLRQ c C-25.01.

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Auteurs

  • Alain Riendeau, Associé, Montréal, QC, +1 514 397 7678, ariendeau@fasken.com
  • Brandon Farber, Associé, Montréal, QC, +1 514 397 5179, bfarber@fasken.com
  • Éliane Dupéré-Tremblay, Avocate, Montréal, QC, +1 514 397 7412, edtremblay@fasken.com

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