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C’est fait : le Québec adopte une loi pour lutter contre l’obsolescence programmée et pour le droit à la réparation des biens de consommation

Fasken
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Bulletin litiges et résolution de conflits

I. Introduction

Le 3 octobre 2023, l’Assemblée nationale du Québec a adopté le projet de loi 29, soit la Loi protégeant les consommateurs contre l’obsolescence programmée et favorisant la durabilité, la réparabilité et l’entretien des biens (la « Loi»). La Loi a été sanctionnée le 5 octobre 2023.

Alors que le Québec est déjà reconnu comme étant une juridiction très favorable aux consommateurs et aux acheteurs eu égard aux obligations imposées aux commerçants et fabricants en lien avec la qualité et la durabilité de leurs produits, cette nouvelle Loi vient renforcer davantage la Loi sur la protection du consommateur (la « LPC ») et les obligations qui en découlent concernant la disponibilité des pièces de rechange, des services de réparation et de l’information nécessaire à la réparation et à l’entretien des produits qui, par leur nature, nécessite un entretien. La Loi crée également une nouvelle garantie légale de bon fonctionnement pour certains biens neufs pour des durées spécifiques[1].

La Loi contient plusieurs autres modifications importantes à la LPC dont les fabricants et commerçants faisant affaire au Québec devraient être informés, incluant ce qui suit :

  • Le nouveau pouvoir réglementaire du gouvernent d’établir des normes techniques ou de fabrication pour les biens, y compris des normes permettant l’interopérabilité entre un bien et un chargeur;

  • L’ interdiction de vendre un bien pour lequel l’obsolescence est programmée. Elle interdit aussi toute technique qui rend plus difficile pour le consommateur l’entretien ou la réparation d’un bien;

  • L’ exigence que les fabricants d’automobiles donnent accès aux données d’un véhicule au propriétaire ou au locataire à long terme selon certaines conditions.

  • L’ obligation pour les commerçants, en ce qui concerne les contrats de louage à long terme d’une automobile, de fournir une inspection gratuite de l’automobile avant la fin du bail du consommateur;

  • Le pouvoir du tribunal de déclarer, sur demande du consommateur, une automobile comme étant  une « automobile gravement défectueuse », notamment lorsque les défectuosités dont elle est affectée la rendent impropre à l’usage auquel elle est destinée et qu’elle a fait l’objet de plusieurs tentatives de réparation.

  • L’ augmentation des montants des amendes pénales, la possibilité d’imposer des sanctions administratives pécuniaires et la responsabilité solidaire des administrateurs, dirigeants et bénéficiaires ultimes d’une personne morale pour les infractions aux dispositions de la LPC et ses règlements, à moins qu’ils soient en mesure de prouver qu’ils ont fait preuve de diligence raisonnable en prenant toutes les précautions nécessaires pour en prévenir la perpétration.

La Loi a été adoptée suite à une analyse détaillée par la Commission de l’économie et du travail qui a donné lieu à plusieurs modifications au projet de loi initial, incluant notamment l’exigence que les renseignements nécessaires à l’entretien et la réparation visés par l’article 39 de la LPC soient disponibles en français et, sauf pour les données d’une automobile visées par l’article 39.4 de la LPC, que ces renseignements soient disponibles gratuitement lorsqu’ils sont accessibles sur support technologique. De plus, soulignons que la Loi prévoit que, en cas de violation de certaines dispositions de la LPC, une personne morale peut être tenue de payer une amende jusqu’à un maximum de 5% de son chiffre d’affaires mondial de l’exercice financier précédent[2].

II. La garantie de disponibilité des pièces de rechange, des services de réparation et de l’information nécessaire à l’entretien et la réparation de biens

D’abord, il convient de rappeler que la LPC imposait déjà aux fabricants et commerçants une garantie légale de disponibilité des pièces de rechange et de services de réparation pour une durée raisonnable après la formation du contrat[3]. Il était permis aux fabricants et commerçants d’exclure cette garantie en avertissant par écrit le consommateur, avant la formation du contrat, qu’ils ne fournissaient pas de pièces de rechange ou de services de réparation.

L’article 39 de la LPC prévoit maintenant plusieurs nouvelles exigences concernant la disponibilité des pièces et des services de réparation et ajoute des obligations liées à l’information nécessaire à l’entretien et la réparation de biens. Ces obligations ne s’appliquent pas à tous les biens, mais plutôt seulement aux biens qui nécessitent un travail d’entretien. Les biens dont l’usage peut nécessiter le remplacement, le nettoyage ou la mise à jour de l’une de ses composantes sont réputés être de nature à nécessiter un travail d’entretien[4]. Pour ces biens, les pièces de rechange, les services de réparation et les renseignements nécessaires à l’entretien ou à la réparation de ce bien, y compris, le cas échéant, les logiciels de diagnostic et leurs mises à jour, doivent être disponibles pendant une durée raisonnable après la conclusion du contrat. De plus, ces pièces de rechange doivent pouvoir être installées à l’aide d’outils couramment disponibles et sans causer de dommage irréversible au bien. Un règlement pourra éventuellement déterminer des cas dans lesquels un outil est considéré comme étant « couramment disponible ». Les renseignements nécessaires à l’entretien ou à la réparation doivent également être disponibles en français.

Un commerçant ou un fabricant peut se dégager de ses obligations en vertu de l’article 39 LPC en avertissant le consommateur par écrit, avant la conclusion du contrat, qu’il ne fournit pas de pièces de rechange, de services de réparation ou de renseignements nécessaires à l’entretien ou à la réparation du bien. Il est probable qu’un règlement déterminera éventuellement les pièces de rechange et les renseignements nécessaires à l’entretien ou à la réparation d’un bien à l’égard desquels un commerçant ou un fabricant ne pourra se dégager de ces obligations. Ces règlements éventuels pourraient également déterminer la durée pendant laquelle ces pièces et ces renseignements doivent être disponibles et le délai à l’intérieur duquel le commerçant ou le fabricant doit, sur demande du consommateur, les fournir.

En vertu de l’article 39.1 LPC, le fabricant doit divulguer, de la manière prescrite par règlement, les informations relatives aux pièces de rechange, aux services de réparation et aux renseignements nécessaires à l’entretien ou à la réparation du bien dont il est tenu de garantir la disponibilité. Avant la conclusion du contrat, le commerçant doit également divulguer les informations qui seront déterminées par règlement relatives aux pièces de rechange, aux services de réparation et aux renseignements nécessaires à l’entretien ou à la réparation du bien[5]. Le commerçant ou le fabricant qui est tenu de garantir la disponibilité d’une pièce de rechange, d’un service de réparation ou d’un renseignement nécessaire à l’entretien ou à la réparation d’un bien  doit également les rendre disponibles à un prix raisonnable[6]. Un prix est considéré comme « raisonnable » s’il n’en décourage pas l’accès par le consommateur. Un règlement pourra déterminer des cas dans lesquels un tel prix est présumé décourager l’accès par le consommateur. Toutefois, encore une fois, ces informations, autre que les données d’une automobile visées à l’article 39.4 LPC, doivent être disponibles gratuitement lorsqu’ils sont disponibles sur un support technologique.

En cas de défaut aux obligations prévues par l’article 39 LPC, le consommateur peut demander au commerçant ou au fabricant la réparation du bien. Le commerçant ou le fabricant doit informer le consommateur, dans un délai de 10 jours suivant la demande de ce dernier et par écrit, du délai dans lequel il propose d’effectuer la réparation[7].  Si le consommateur refuse une proposition du commerçant ou du fabricant conforme aux exigences de la Loi, il peut faire effectuer la réparation par un tiers et le commerçant ou le fabricant en assume les frais raisonnables. Si le consommateur accepte la proposition, mais que le commerçant ou le fabricant fait défaut de respecter le délai indiqué pour effectuer la réparation ou encore si le commerçant ou le fabricant fait défaut de lui fournir une proposition conformément aux exigences de la Loi, le commerçant ou le fabricant doit remplacer le bien du consommateur par un bien neuf ou remis à neuf possédant des fonctionnalités équivalentes ou doit rembourser le consommateur. Dans un tel cas, le consommateur doit alors remettre le bien au commerçant ou au fabricant.

III. La garantie de bon fonctionnement de certains appareils domestiques

La Loi crée une nouvelle garantie légale de bon fonctionnement pour des durées spécifiques (qui seront déterminées par règlement) pour certains biens neufs :[8]

  • cuisinière
  • réfrigérateur
  • congélateur
  • lave-vaisselle
  • machine à laver
  • sèche-linge
  • téléviseur
  • ordinateur de bureau
  • ordinateur portable
  • tablette électronique
  • téléphone cellulaire
  • console de jeu vidéo
  • climatiseur
  • thermopompe
  • tout autre bien déterminé par règlement

Cette nouvelle garantie de bon fonctionnement s’ajoute aux autres garanties légales de qualité et de durabilité et d’usage normal déjà prévues par la LPC et à la garantie légale de qualité prévue par le Code civil du Québec[9](le « C.c.Q. »), lesquelles s’appliquent sans distinction quant au type de bien.[10]

La garantie légale de bon fonctionnement couvre les pièces et la main d’œuvre[11], mais exclut tout entretien normal ou le remplacement de pièces en résultant, tout dommage résultant d’un usage abusif par le consommateur ou tout accessoire[12]. Cette garantie prend effet (i) au moment de la livraison des biens[13], (ii) lie le fabricant et le commerçant[14] et (iii) bénéficie autant à l’acquéreur initial qu’aux acquéreurs subséquents.[15]

Dans le cas d’une réparation qui relève de cette nouvelle garantie, le commerçant ou le fabricant assume les frais raisonnables de transport ou d’expédition engagés à l’occasion de l’exécution de la garantie, doit effectuer les réparation nécessaires et doit assumer les frais liés à ces réparations ou permettre au consommateur de faire effectuer la réparation par un tiers, auquel cas il doit assumer les frais de réparation[16].

Le fabricant d’un bien qui comporte une garantie de bon fonctionnement doit divulguer, de la manière prescrite par règlement, les informations relatives à cette garantie[17]. Notamment, le commerçant doit indiquer la durée de la garantie de bon fonctionnement à proximité de son prix annoncé ou, dans le cas du louage à long terme du bien, de sa valeur au détail, de manière évidente[18]. Après la conclusion du contrat, le commerçant doit transmettre au consommateur les informations relatives à la garantie de bon fonctionnement de la manière prescrite par règlement[19]. Le non-respect de ces obligations de divulgation constitue une pratique interdite en vertu de l’article 215 LPC et pourrait mener à l’imposition d’amendes importantes[20].

IV. Amendes et sanctions administratives pécuniaires

Outre les recours civils pouvant être formulés par les consommateurs en cas de manquement aux obligation prévues par la LPC ou ses règlements, des amendes peuvent également être imposées par l’Office de la protection du consommateur qui surveille leur application. Bien que la LPC comprenait déjà des dispositions pénales prévoyant des amendes pouvant varier entre 600 $ et 15 000 $ pour une personne physique et entre 1 000 $ à 100 000 $ pour une personne morale dépendamment de la contravention[21], la LPC prévoit maintenant que les nouvelles contraventions suivantes sont parmi celles considérées comme des pratiques interdites sujettes aux pénalités les plus sévères :

  1. omettre de divulguer les informations visées par les articles 38.7 et 38.8 de la LPC concernant la garantie légale de bon fonctionnement[22];
  2. rendre plus difficile pour le consommateur ou son mandataire d’entretenir ou de réparer un bien, incluant, dans le cas d’un fabricant automobile, toute technique qui rend plus difficile l’accès aux données de l’automobile à des fins de diagnostic, d’entretien ou de réparation[23];
  3. vendre un bien pour lequel l’obsolescence est programmée, c’est-à-dire réduire sa durée normale de fonctionnement[24];
  4. faire une annonce relative à une automobile ayant été déclarée gravement défectueuse sans divulguer ce fait[25];
  5. omettre d’informer le consommateur, avant de conclure un contrat comprenant une garantie supplémentaire, de l’existence et de la durée de la garantie de bon fonctionnement[26].

Pour ces pratiques interdites, la Loi augmente les amendes entre 2 500 $ et 62 500 $ pour une personne physique et à entre 5000 $ et le plus élevé des montants entre 125 000 $ ou 5% du chiffre d’affaires mondial de l’exercice financier précédent pour une personne morale. Évidemment, cette dernière possibilité est une modification importante qui pourrait mener à l’imposition d’amendes très importantes dans le cas de grandes entreprises multinationales. Tous les minimums et maximums indiqués pour ces amendes sont doublés en cas de récidive[27].

Lorsqu’une personne commet une infraction à la LPC ou à un de ses règlements, tous les administrateurs, dirigeants, mandataires, représentants ou bénéficiaires ultimes[28] de cette personne sont présumés avoir commis cette infraction, à moins qu’ils arrivent à démontrer qu’ils ont fait preuve d’une diligence raisonnable en prenant toutes les précautions nécessaires pour en prévenir la perpétration[29].

Finalement, la Loi crée également un nouveau mécanisme de sanction administratives pécuniaires[30]. Le gouvernement pourra déterminer par règlement les manquements objectivement observables à la LPC ou ses règlements pouvant donner lieu à l’imposition d’une sanction administrative pécuniaire par le président de l’Office de la protection du consommateur. Le gouvernement pourra également y déterminer les conditions d’application d’une sanction administrative pécuniaire et déterminer les montants ou le mode de calcul, lesquels peuvent notamment varier selon la gravité du manquement, sans toutefois excéder 1 750 $, dans le cas d’une personne physique, ou de 3 500 $, dans les autres cas. Un manquement qui se poursuit pour plus d’une journée constitue un manquement distinct pour chaque jour, de sorte qu’un manquement qui persiste dans le temps pourrait mener à l’imposition de sanctions administratives pécuniaires importantes.

V. Entrée en vigueur

Bien que certaines modifications prévues par la Loi entreront en vigueur immédiatement, la majorité des nouvelles exigences imposées aux fabricants et commerçants n’entreront en vigueur que plus tard. Notamment, les modifications concernant la garantie de bon fonctionnement de certains biens entreront en vigueur trois ans suivant sa sanction (5 octobre 2023) et celles concernant la garantie de disponibilité des pièces de rechange, des services de réparation et de l’information nécessaire à l’entretien et la réparation entreront en vigueur deux ans suivant sa sanction.[31]

Pour les entreprises visées, le diable sera dans les détails, et ce, notamment dans la mesure où les nouvelles obligations prévues par la Loi utilisent plusieurs termes généraux et renvoient, dans plusieurs cas, à des normes plus précises qui devront être prévues dans des règlements qui n’ont pas encore été proposés. Il est probable que l’élaboration de ces règlements prendra du temps et donnera lieu à des débats, notamment concernant les durées de la nouvelle garantie de bon fonctionnement selon les types d’appareils et l’intensité des nouvelles obligations concernant la disponibilité des pièces de rechange, des services de réparation et de l’information nécessaire à la réparation et à l’entretien des biens. Malgré tout, les fabricants et commerçants faisant affaire au Québec devraient commencer à identifier dès maintenant, parmi leur gamme de produits, ceux qui sont visés ou qui sont susceptibles d’être visés par ces nouvelles exigences et commencer à considérer les changements nécessaires pour se conformer à la Loi, incluant la révision de leurs documents contractuels et de la documentation associée à l’entretien et la réparation de leurs produits.

Nous suivrons les développements liés à cette Loi, particulièrement en lien avec l’adoption des éventuels règlements applicables à la Loi qui établiront les détails des nouvelles exigences, incluant la garantie légale de bon fonctionnement pour certains biens. Nous vous invitons à rester à l’affut!

L’ équipe de Fasken spécialisée en responsabilité du fait des produits est disponible pour répondre à vos questions et pour vous assister en lien avec la mise en œuvre des nouvelles exigences prévues par la Loi.



[1] Les durées seront prévues par un règlement qui sera adopté ultérieurement.

[2] LPC, art. 278.

[3] LPC, art. 39.

[4]LPC, art. 39.

[5] LPC, art. 39.2

[6] LPC, art. 39.3.

[7]LPC, art. 39.5.

[8] LPC, art. 38.1.

[9] C.c.Q., art. 1726.

[10] Pour un sommaire des principes pertinents concernant les garanties légales en matière de responsabilité du fait des produits au Québec, nous vous invitons à consulter notre bulletin intitulé « Ce que les avocats, fabricants et vendeurs doivent savoir sur les lois en matière de responsabilité du fabricant au Québec » disponible sur notre site web (https://www.fasken.com/fr/knowledge/2020/09/15-what-you-need-to-know-about-product-liability-laws-quebec).

[11] LPC, art. 38.2.

[12] LPC, art. 38.3.

[13] LPC, art. 38.4.

[14] LPC, art. 38.6.

[15] Id.

[16] LPC, art. 38.5.

[17] LPC, art. 38.7.

[18] LPC, art. 38.8.

[19] LPC, art. 38.9.

[20] LPC, art. 227.0.1 et 227.0.3.

[21] LPC, art. 277 à 279.

[22] LPC, art. 227.0.2.

[23]LPC, art. 227.0.3.

[24] LPC, art. 227.0.4.

[25]LPC, art. 237.1.

[26] LPC, art. 228.2.

[27] LPC, art. 281.

[28] Au sens de l’article 0.4 de a Loi concernant la publicité légale des entreprises, c. P-44.1

[29] LPC, art. 282.1

[30]. Au sens de l’article 0.4 de a Loi concernant la publicité légale des entreprises, c. P-44.1

[31] Projet de loi 29, art. 37.

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Auteurs

  • Noah Boudreau, Associé, Montréal, QC, +1 514 394 4521, nboudreau@fasken.com
  • Nicolas-Karl Perrault, Associé, Montréal, QC, +1 514 397 5256, nperrault@fasken.com

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