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Commentaire sur l’arrêt Succession de Blanchet c. Succession de Fournier – L’exigence du cumul des formalités spéciales applicables au testament notarié - testatrice aveugle qui ne peut physiquement signer

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Bulletin litiges et résolution de conflits

Résumé

Les auteurs commentent cet arrêt de la Cour d’appel du Québec portant sur la validité d’un testament d’une testatrice aveugle incapable de signer à l’égard du non-respect des exigences de l’article 719 du Code civil du Québec (« C.c.Q. ») pour le testateur incapable de signer, mais qui rencontre les exigences de l’article 720 C.c.Q. quant à un testateur aveugle.

Introduction

Le testament reçu devant un notaire est un acte authentique ne nécessitant pas de vérification judiciaire ou notariale pour produire tous ses effets, contrairement au testament devant témoins et au testament olographe. Il s’agit d’un acte solennel qui revêt une importance juridique et sociale dépassant le seul intérêt des parties concernées. En retour, des formalités particulières doivent être respectées afin d’accorder cette reconnaissance.

Dans l’arrêt Succession de Blanchet c. Succession de Fournier[1], la Cour d’appel devait se pencher sur les formalités spéciales qu’un testament notarié doit respecter en présence de multiples circonstances particulières, afin de conserver son caractère authentique. Dans le cas où les formalités spéciales ne seraient pas respectées, la Cour devait ensuite déterminer si le testament pouvait tout de même valoir à titre de testament devant témoins ou de testament olographe et ainsi procéder à sa vérification.

I– Les faits

Feue Cécile Fournier (la « Défunte ») a signé le 8 mars 2013 un testament notarié devant le notaire Me Mario Bilodeau alors qu’elle n’était pas aveugle et toujours en mesure de signer, dans lequel elle prévoit des legs à titre particulier en faveur des enfants de son défunt mari et lègue le résidu de ses biens à sa nièce Nicole Fournier (« Nicole ») (le « Testament de 2013 »). En cas de prédécès de Nicole, le résidu de ses biens est plutôt dévolu à une autre de ses nièces, France Blanchet (« France »).

Étant informée de la maladie dont était atteinte Nicole et son sombre pronostic, la Défunte a décidé en décembre 2016 de faire préparer un nouveau testament notarié devant le notaire Bilodeau à partir du Testament de 2013, dans lequel il est prévu qu’en cas de prédécès de Nicole, le résidu de ses biens est plutôt dévolu à l’époux de cette dernière pour ses services à titre de liquidateur remplaçant (le « Testament de 2016 »). Lors de la signature du Testament de 2016, après avoir affirmé au notaire qu’il contient bien ses dernières volontés en présence des témoins, la Défunte a confirmé qu’elle n’était pas en mesure physiquement de le signer. Pourtant, la formule de clôture du Testament de 2016 se lit comme suit :

La testatrice étant aveugle, le notaire instrumentant soussigné déclare avoir fait lecture du présent testament à la testatrice, en présence des témoins. La présente déclaration a ensuite été lue à la testatrice par le notaire instrumentant en présence des témoins.

LECTURE FAITE du testament et de la déclaration, la testatrice, les témoins et le notaire signent en présence les uns des autres.

(Soulignements de la Cour)

Nicole est décédée le 8 janvier 2017 et la Défunte est à son tour décédée le 21 février 2018. Les recherches testamentaires ont permis de confirmer que le Testament de 2016 est bel et bien le dernier testament de la Défunte.

Par le biais de sa demande, France recherchait l’annulation du Testament de 2016 pour incapacité et captation par Nicole et son époux, ainsi qu’une déclaration de fausseté à titre d’acte authentique compte tenu des vices qui affecteraient sa signature. France a toutefois abandonné ses prétentions concernant l’incapacité de la Défunte et la captation. Ce recours a été repris par la succession de France suite au décès de celle-ci.

II– La décision de première instance 

En première instance, le juge de la Cour supérieure, après avoir cité les articles 719 et 720 C.c.Q., a retenu que le Testament de 2016 fut lu par le notaire en présence de la Défunte et de deux témoins, que celle-ci a confirmé qu’il contenait bien ses dernières volontés et que la présence du mot « testatrice » au dernier paragraphe malgré le fait qu’elle était incapable de signer n’était qu’une erreur d’inattention de la part du notaire.

Le juge de première instance se dit d’avis que des raisons d’équité et de bon sens justifient d’interpréter restrictivement les exigences testamentaires formelles et de conclure à la validité du Testament de 2016 à titre d’acte authentique, comme ce dernier présentait des garanties suffisantes de fiabilité et contenait sans équivoque les dernières volontés de la Défunte. Le juge croit en effet qu’il serait contraire à l’esprit de la loi de priver la Défunte de faire valoir ses dernières volontés en raison du simple défaut de forme du notaire d’avoir indiqué que la Défunte avait signé le testament alors que ce n’était pas le cas.

La succession de France a décidé de porter cette décision en appel, afin de demander à ce que le Testament de 2016 soit déclaré nul à titre de testament notarié, tout comme à titre de testament devant témoins ou de testament olographe, et à ce que le Testament de 2013 soit déclaré comme étant le dernier testament valide de la Défunte.

III– Le jugement de la Cour d'appel 

a. Validité du Testament de 2016 à titre de testament notarié

La Cour d’appel conclut en premier lieu que les conditions prévues à l’article 720 C.c.Q. dans le cas d’un testateur aveugle ont été remplies, compte tenu du fait que le Testament de 2016 a été lu par la Défunte en présence de deux témoins, que le notaire a déclaré avoir fait cette lecture en présence des témoins et que cette déclaration a également été lue.

La Cour constate toutefois que les exigences relatives à un testeur incapable de signer prévues à l’article 719 C.c.Q. n’ont pas été satisfaites, puisque la formule de clôture du Testament de 2016 ne contient pas la déclaration de la Défunte qu’elle n’est pas en mesure de signer ni le fait que cette déclaration a été lue par le notaire en présence des témoins, sans compter le fait qu’il est mentionné que la Défunte a signé le testament alors que ce n’est pas le cas.

Contrairement au juge de première instance, la Cour se dit d’avis que les formalités spéciales concernant le testateur dans l’impossibilité de signer devaient être suivies, indépendamment des exigences relatives à un testateur aveugle. En effet, la Cour précise que chacun des articles 719 à 722.1 C.c.Q. s’applique à une situation précise bien identifiée et édicte des formalités spéciales pour en tenir compte, qui peuvent être cumulatives. Ces formalités spéciales ne peuvent être qualifiées de « purement accessoire » et il doit en être fait mention dans l’acte, sous peine de la nullité de l’acte comme testament notarié en vertu de l’article 713 al. 1 C.c.Q. Il n’était donc pas suffisant de simplement respecter les conditions édictées à l’article 720 C.c.Q., celles de l’article 719 C.c.Q. pour le testateur incapable de signer devaient l’être autant. Une personne aveugle n’est pas nécessairement dans l’impossibilité d’apposer sa signature sur un document.

Le testament notarié étant assujetti au formalisme le plus strict, la Cour d’appel conclut donc qu’il est impossible de passer outre le fait que le Testament de 2016 ne satisfait pas pleinement aux conditions requises par sa forme édictées à l’article 719 C.c.Q. et qu’il y a lieu de lui faire perdre son caractère authentique.

b. Validité du Testament de 2016 à titre de testament devant témoins ou de testament olographe

Dans un second temps, la Cour d’appel se penche sur la question de savoir si le Testament de 2016 pouvait tout de même être validé comme testament devant témoins ou comme testament olographe, malgré son invalidité à titre de testament notarié, comme le permet l’article 713 al. 2 C.c.Q.

La Cour vient à la conclusion que le Testament de 2016 satisfait pour l’essentiel aux conditions requises par le testament devant témoins et le valide à ce titre. En effet, le Testament de 2016 est écrit par un tiers (le notaire) et a été lu à la Défunte en présence de deux témoins majeurs, qui a par la suite déclaré devant ceux-ci que l’écrit lu contenait ses dernières volontés et les témoins ont ensuite signé le document en sa présence. Malgré le fait qu’il n’est pas signé par la Défunte, la Cour retient que le Testament de 2016 peut être validé à titre de testament devant témoins en vertu de l’article 714 C.c.Q., qui confère au tribunal une discrétion lui permettant de donner effet aux volontés du défunt lorsqu’il est convaincu que l’écrit les contient de façon certaine et non équivoque. La Cour précise que ce qui est « essentiel » au sens de l'article 714 C.C.Q. relève d'un examen subjectif et revient à déterminer si compte tenu des circonstances de l’espèce, la condition est essentielle pour assurer que les objectifs visés par celle-ci sont atteints.

La Cour s’en remet à la conclusion du juge de première instance à l’effet que les volontés de la Défunte sont fidèlement reproduites au Testament de 2016 et que celui-ci présente des garanties suffisantes de fiabilité et contient sans équivoque les dernières volontés de la Défunte pour conclure que la signature de cette dernière ne constitue pas une formalité essentielle dans les présentes circonstances et que les trois objectifs visés par la condition de la signature sont autrement remplis.

IV– Le commentaire des auteurs

La Cour d’appel invalide à titre de testament notarié le Testament de 2016 vu le non-respect des conditions édictées à l’article 719 C.c.Q., mais le valide tout de même à titre de testament devant témoins. Nous retenons principalement de cet arrêt les deux enseignements suivants :

  • Les conditions spéciales prévues aux articles 719 à 722.1 C.c.Q. visent chacune des situations particulières et sont indépendantes les unes des autres. Le notaire doit faire en sorte de respecter toutes celles qui seraient applicables dans les circonstances et les cumuler, le cas échéant. Le défaut de ce faire entrainera la perte du caractère authentique de l’acte qui constitue le principal avantage du testament notarié par rapport aux autres formes de testament. Cela rappelle le caractère particulier du testament notarié qui échappe au contrôle des tribunaux, puisque la procédure de vérification de testament n’a pas à être entreprise.
  • Une analyse objective de ce que constitue une condition « essentielle » au sens de l’article 714 C.c.Q. a été rejetée par la Cour. Il n’est donc pas possible d’établir dans l’abstrait une liste de conditions essentielles et une autre de celles qui ne seraient pas essentielles. L’analyse à être effectuée par le tribunal en est une dite subjective, où chaque cas en est un d’espèce. Ainsi, le fait qu’une formalité n’ait pas été accomplie n’invalide pas pour autant l’acte, dans la mesure où le but pour lequel la formalité était exigée est complètement atteint d’une autre façon.

Conclusion 

En conclusion, il aurait été intéressant de connaitre l’opinion de la Cour d’appel quant à l’impact sur la validité du testament notarié de la mention à l’effet que la Défunte aurait signé l’acte alors que ce n’était pas le cas. Étant donné la conclusion à laquelle elle arrive, la Cour d’appel n’a donné aucune indication sur cette question prise de façon isolée.

Il faudra donc attendre qu’un cas se présente devant la Cour où il s’agit du seul vice de forme menaçant la validité d’un testament notarié.



[1] Succession de Blanchet c. Succession de Fournier, 2023 QCCA 987.

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Auteure

  • Marie-Eve Labonté, Avocate, Montréal, QC, +1 514 397 5297, mlabonte@fasken.com

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