Un ralentissement économique contraint parfois un employeur à prendre des décisions difficiles dans le but de réduire sa masse salariale, ce qui peut toucher aussi les travailleurs étrangers temporaires à son emploi. Les mesures choisies par l’employeur sont susceptibles d’engendrer des obligations légales pour l’employeur à l'égard des autorités fédérales et/ou provinciales.
Dans ce bulletin, nous traiterons des obligations devant être mises en œuvre par un employeur embauchant des travailleurs étrangers afin d’assurer sa conformité aux lois et aux programmes sur l’immigration lors d’une réduction d’effectifs[1]. Évidemment, d’autres obligations sont susceptibles de s’appliquer, en vertu des différentes lois applicables.
Mise à pied
Une mise à pied est, de par sa nature, temporaire. Par exemple, au Québec, lorsqu’un employé est mis à pied pour une durée de moins de six (6) mois, l’employeur n’est pas dans l’obligation de lui transmettre un avis de cessation d’emploi[2]. En Ontario, une mise à pied temporaire correspond à une mise à pied d’au plus 13 semaines au cours d’une période de 20 semaines consécutives ou à une mise à pied de moins de 35 semaines au cours d’une période de 52 semaines consécutives si on se trouve en présence d’une des situations particulières prévues à la loi ontarienne[3].
La meilleure pratique dans le cas d’un employeur qui utilise le Programme des travailleurs étrangers temporaires (« PTET ») serait d’informer Service Canada/Emploi et Développement social Canada (« Service Canada/EDSC ») de chaque travailleur étranger mis à pied temporairement[4]. Pour les employeurs québécois, la Commission des normes, de l’équité et de la santé et sécurité au travail (« CNESST ») n’a pas à être informée d’une telle situation, contrairement aux cas de licenciements collectifs ou de licenciements individuels[5].
Un employeur qui utilise le Programme de mobilité internationale (« PMI ») pour recruter des travailleurs étrangers, pour sa part, n’a pas à aviser Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (« IRCC ») dans le cas d’une mise à pied temporaire. S’il souhaite le faire, il pourrait utiliser le formulaire de déclaration volontaire disponible sur le site web d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada[6].
Licenciement individuel et licenciement collectif
Le licenciement individuel est un acte par lequel un employeur met fin au contrat de travail d’un employé pour des motifs d’ordre économique, organisationnelle ou administrative. Il peut s’agir d’un licenciement définitif ou d’une mise à pied de longue durée qui ne répond pas aux critères de mise à pied temporaire prévues par la loi applicable. Le licenciement individuel implique généralement la transmission d’un avis de cessation d’emploi à l’employé touché.
Le licenciement individuel de plusieurs employés dans une période donnée peut également constituer un licenciement collectif au sens de la législation sur les normes du travail applicable à l’employeur[7].
La meilleure pratique dans le cas d’un employeur qui a recours au PTET serait de faire parvenir à Service Canada/EDSC la liste des travailleurs étrangers touchés par un licenciement individuel ou un licenciement collectif[8]. Les employeurs québécois assujettis à la Loi sur les normes du travail[9] ont, en outre, l’obligation d’aviser la CNESST des licenciements via MonEspace – Employeurs ou en faisant parvenir par la poste le formulaire de déclaration d’embauches de travailleurs étrangers temporaires prescrit par la CNESST[10].
Même si l’employeur envisage un rappel au travail des travailleurs étrangers, nous sommes d’avis qu’il est prudent, à l’égard des travailleurs étrangers temporaires, de considérer que la date de départ indiquée à l’avis individuel de cessation d’emploi et à l’avis de licenciement collectif, le cas échéant, est assimilable à une date de fin d’emploi. Par conséquent, les obligations prévues par le contrat de travail ou par le PTET en cas de fin d’emploi devraient être mises en œuvre par l’employeur. Par exemple, le Volet des bas salaires du PTET exige que l’employeur paie un billet d’avion de retour aux travailleurs étrangers à la fin du contrat de travail, la seule exception étant si le travailleur trouve un autre poste chez un employeur qui a reçu une étude d’impact sur le marché du travail (EIMT) positive.
En revanche, un employeur qui utilise le PMI pour recruter des travailleurs étrangers n’est pas obligé de signaler un licenciement individuel ni un licenciement collectif à IRCC. Toutefois, dans certains contextes particuliers, il serait prudent d’utiliser le formulaire de déclaration volontaire disponible sur le site web d’IRCC pour aviser le programme de la situation[11]. L’employeur devrait également accomplir les démarches prévues par le contrat d’emploi en cas de fin d’emploi, le cas échéant.
Réduction de salaire
De façon alternative aux licenciements ou aux mises à pied temporaires, un employeur peut demander à ses employés d’accepter volontairement une réduction de leur salaire, de leurs avantages ou de leurs heures de travail. Un employeur embauchant des travailleurs étrangers devrait alors aviser Service Canada/EDSC ou IRCC, selon le programme d’immigration applicable, des modifications envisagées à l’offre d’emploi et des justifications économiques appuyant sa décision.
Soulignons qu’une telle proposition de réduction de salaire peut être refusée par un employé. Si l’employeur décide malgré tout de procéder à une telle réduction, de manière unilatérale, il s’expose alors à une plainte pour congédiement déguisé. Dans le cadre d'une telle plainte, un employé pourrait réclamer des dommages-intérêts similaires à ceux découlant d'un congédiement injustifié devant le tribunal compétent. Il pourrait aussi, dans certaines circonstances et selon la législation applicable, demander sa réintégration en emploi.
Inspections de conformité
Il est possible que l’employeur doive justifier les mesures prises lors d’une inspection de la conformité entreprise par Service Canada/EDSC ou IRCC, selon le programme d’immigration concerné. L’inspection pourrait s’avérer plus longue et complexe si l’employeur n’est pas en mesure de fournir des informations claires et concises ainsi que les documents justificatifs demandés. Il est donc très important de conserver au dossier de chaque travailleur étranger une copie des documents habituels remis aux employés visés par un licenciement collectif, une mise à pied temporaire ou une réduction de salaire[12].
Un employeur peut justifier le non-respect de la période d’emploi et/ou des autres conditions de travail indiquée à l’offre d’emploi en démontrant avoir mis en œuvre des mesures permettant de faire face à des changements économiques importants touchant directement son entreprise, et ce, sans que cela ne vise de façon disproportionnée un travailleur étranger à son service[13].
Le licenciement collectif, la mise à pied temporaire et la réduction de salaire peuvent faire partie de ces mesures qui permettent à un employeur de faire face à un ralentissement économique. L’employeur doit également prouver que la mesure choisie a été appliquée de façon uniforme à tous ses employés, sans considérer le statut migratoire des employés.
Il faut toutefois se rappeler qu’en plus des règles applicables en matière d’immigration, l’employeur peut être tenu au respect d’autres obligations légales et contractuelles.
Admissibilité aux prestations d’assurance-emploi
Un travailleur étranger détenant un permis de travail fermé n’est normalement pas admissible à des prestations d’assurance-emploi, et ce même s’il a cumulé le nombre d’heures assurables requis. Une directive administrative permet toutefois aux agents de l’assurance-emploi d’accepter une demande de prestations d’assurance-emploi à certaines conditions, notamment si le travailleur étranger déclare être disponible pour accepter l’offre d’emploi d’un nouvel employeur[14].
Nous recommandons à un employeur qui procède à un licenciement individuel, un licenciement collectif ou à une mise à pied temporaire d’accompagner les travailleurs étrangers dans les démarches de demande de prestations d’assurance-emploi. L’employeur devrait toutefois leur préciser que la décision finale sur leur admissibilité aux prestations revient à l’agent de l’assurance-emploi.
À retenir
La pénurie de main d’œuvre qui sévit actuellement au Canada continuera d’être un défi pour les employeurs. De plus en plus d’employeurs optent pour le recrutement à l’étranger. Une situation économique défavorable nécessitant une réduction des effectifs est souvent passagère. Les inspections de conformité des employeurs étant à la hausse depuis la mise en œuvre des exigences accrues en septembre 2022, et étant donné que le non-respect des règles d’immigration pourrait empêcher un employeur d’embaucher des travailleurs étrangers, un employeur a tout intérêt à maintenir sa conformité aux programmes d’immigration afin d’être admissible au recrutement international lorsque le contexte s’y prêtera.
Pour plus d'informations ou pour discuter d’un sujet, l’équipe de droit du travail et d’immigration de Fasken demeure disponible pour vous accompagner et nous vous invitons à communiquer avec l’un des auteurs.
[1] Programme des travailleurs étrangers temporaires (PTET) et Programme de mobilité internationale (PMI)
[2] Loi sur les normes du travail, RLRQ, c. N-1.1., article 82 LNT.
[3] Loi de 2000 sur les normes d'emploi, L.O. 2000, chap. 41, article 56, al. 2. En Ontario, il est recommandé aux employeurs d’inclure explicitement dans un contrat d’emploi la possibilité d’imposer une mise à pied temporaire en vertu de la législation applicable afin de se prévaloir des dispositions de la loi.
[4] Centre de services aux employeurs de Service Canada/EDSC
[5] Loi sur les normes du travail, RLRQ, c. N-1.1., article 82.
[6] Embaucher un travailleur sans EIMT : Divulgation volontaire des employeurs
[7] La définition de licenciement collectif est prévue aux lois de l’emploi dans les provinces ou territoires, ou au Code canadien du travail, LRC (1985), ch. L-2 pour les employeurs de compétence fédérale. Lors d’un licenciement collectif, l’employeur doit normalement remplir des obligations particulières en vertu des lois applicables, tel un avis au ministre du Travail et/ou un avis au syndicat.
[8] Centre de services aux employeurs de Service Canada/EDSC
[9] Loi sur les normes du travail, RLRQ, c. N-1.1.
[10] Déclaration d’embauche de travailleurs étrangers temporaires
[11] Embaucher un travailleur sans EIMT : Divulgation volontaire des employeurs
[12] Par exemple, avis de mise à pied temporaire ou avis de licenciement collectif ou avis de réduction de salaire, preuve de transmission de l’avis de licenciement collectif à l’autorité gouvernementale compétence, avis de cessation d’emploi individuel, preuve de la remise des sommes dues aux employés comme le salaire, les montants liés aux heures supplémentaires et l’indemnité de vacances, indemnité compensatrice s’il y a lieu.
[13] Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés, articles 209.2(3)(c) et 209.3(3)(c), selon le programme applicable.
[14] Guide de la détermination de l'admissibilité, Chapitre 10, Section 2,10.2.4.3