Dans une récente décision, le Tribunal administratif du travail (ci-après le « Tribunal ») ordonne à l’employeur de verser au salarié 5 000 $ en dommages moraux et 15 000 $ en dommages punitifs. Le Tribunal conclut que l’imposition par l’employeur d’une sanction en apparence disproportionnée au salarié, peut avoir comme conséquence d’exercer une pression indue ou une forme de chantage afin de le contraindre à accepter un règlement pour qu’il ne dépose pas de grief et constitue donc une contravention en vertu de l’article 14 du Code du travail (ci-après le « Code »).
Les faits
Le salarié occupe le poste de chef monteur de lignes pour l’employeur depuis 2009. Le 15 août 2021, alors qu’il est de garde pour la fin de la semaine, il se rend chez un ami avec un camion de travail, laissé à disposition par l’employeur pendant les gardes afin d’intervenir rapidement en cas d’urgence. Lors de ces gardes, l’employeur tolère que les salariés utilisent le camion pour leurs déplacements personnels.
Le 20 septembre, le salarié est convoqué à une rencontre en présence de deux enquêteurs ainsi que son contremaitre. On l’informe qu’il a fait l’objet d’une plainte citoyenne dans laquelle il se fait reprocher d’avoir utilisé le camion de l’employeur, en date du 15 août, pour des fins personnelles et avec des capacités affaiblies. Suivant cette rencontre, le salarié est suspendu sans salaire pour fins d’enquête.
Quelques jours plus tard, l’employeur apprend que le citoyen ayant déposé la plainte entretient une mauvaise relation avec l’ami du salarié. Considérant l’absence de véritable preuve, selon le représentant syndical, celui-ci demande de réintégrer le salarié pendant l’enquête. Suivant le refus de l’employeur, le salarié dépose un grief contestant cette suspension.
Vers le 25 octobre, l’employeur informe le syndicat que la suspension sera d’un (1) an, avec une possibilité de la réduire à 4 mois s’il renonce à déposer un grief. Après vérification, l’employeur admet qu’il ne possède aucune preuve tangible de la consommation de substance interdite ou d’alcool, ni de la conduite en facultés affaiblies et que « les motifs de reproches portent uniquement sur la mauvaise utilisation du véhicule de l’employeur, l’atteinte à l’image de l’organisation et le peu de collaboration à l’enquête ». Le salarié refuse l’offre et dépose un grief contestant de cette suspension.
Le 18 janvier, l’employeur révise la suspension à 4 mois, alléguant de nouveaux éléments, mais sans les préciser. Le salarié reprend finalement ses fonctions, mais dépose une plainte en vertu de l’article 14 du Code.
La décision du Tribunal
En l’espèce, ce sont les gestes posés par les représentants de l’employeur afin de convaincre le salarié de renoncer à son droit de déposer un grief, qui sont reprochés. Évidemment, dans la mesure où les parties sont dans un processus de négociation pour régler un litige ou un litige potentiel, la demande d’une renonciation au droit de grief ne constitue pas une contrainte prohibée par le Code.
Ceci étant dit, le Tribunal estime que dans la mesure où cette exigence de renonciation au dépôt d’un grief constitue du chantage ou une pression indue, cela pourrait constituer comme étant une entrave à la liberté du salarié d’exercer ses droits syndicaux et donc une violation de l’article 14 du Code.
Par conséquent, comme la sanction initiale d’un an (1) imposée au salarié apparait excessive et que l’employeur n’est pas en mesure d’offrir d’explication plausible entre la peine et la faute, le Tribunal conclut qu’une telle disproportion constitue une pression indue, une forme d’intimidation ou de manœuvre pour contraindre le salarié à accepter un règlement pour une sanction moindre non contestable.
De l’avis du Tribunal, la proposition d’entente de l’employeur n’entrait donc pas dans le cadre d’une simple négociation en vue de régler le litige et éviter l’arbitrage. Elle avait pour but de faire pression sur le salarié, sous forme de chantage et/ou d’intimidation, et ce, pour l’empêcher d’exercer un droit prévu au Code, contrevenant ainsi à l’article 14.
Au final, le Tribunal ordonne à l’employeur de verser un montant de 5 000$ pour l’atteinte à la réputation du salarié et à son droit d’association, ainsi qu’une somme de 15 000$ à titre de dommages punitifs.
Ce qu'il faut retenir
Cette décision rappelle, dans la mesure où elle s’insère dans un processus de négociation sincère en vue de régler un grief ou d’éviter un litige, qu'un employeur peut exiger une renonciation au droit de droit déposer un grief. En principe, cela ne constitue évidemment pas une contrainte prohibée par le Code. Toutefois, la sévérité excessive d’une sanction ne doit pas être utilisée afin de contraindre l’acceptation d’un règlement par le salarié pour une sanction moindre puisque cela pourrait être considéré comme une forme d’intimidation ou de chantage.
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