L’affaire Van Hee v. Glenmore Inn Holdings Ltd., 2023 ABCJ 244 (« Van Hee ») représente une décision importante pour les employeurs canadiens. Il s’agit seulement de la deuxième décision d’un tribunal civil à évaluer si l’imposition unilatérale d’un congé sans solde à un employé en raison de son refus de respecter la politique de vaccination obligatoire équivaut à un congédiement déguisé.
Dans une analyse détaillée, la juge Burt de la Cour de justice de l’Alberta a conclu que la politique de vaccination obligatoire de l’employeur était raisonnable et justifiée, et que sa décision unilatérale de placer l’employée en congé sans solde ne constituait pas un congédiement déguisé.
En outre, cette décision est d’importance pour les raisons suivantes :
- La juge Burt a conclu que l’employée avait démissionné de son emploi lorsque, alors qu’elle était en congé sans solde, son conseiller juridique a remis un projet de poursuite civile à l’employeur. Selon la juge Burt : « Ce comportement était incompatible avec le maintien d’une relation d’emploi entre les parties » [traduction].
- L’affaire a été plaidée le 7 novembre 2023 et une décision écrite a été rendue le 17 novembre 2023, seulement 10 jours après. Une telle rapidité suggère que le traitement de l’affaire Van Hee a été accéléré en réponse à des demandes similaires portées devant les tribunaux de l’Alberta.
La décision
Les faits
La demanderesse (l’« employée ») a été à l’emploi du défendeur (l’« employeur ») comme serveuse dans un restaurant pendant plus de 13 ans.
À la mi-septembre 2021, dans le contexte de la quatrième vague de la pandémie de COVID-19, l’employeur a mis en place une politique de vaccination obligatoire (la « politique») qui exigeait que les employés soient entièrement vaccinés contre la COVID-19 au plus tard le 15 novembre 2021.
L’employée s’inquiétait de l’innocuité des vaccins et a choisi de ne pas se faire vacciner. Elle n’a pas cherché à obtenir des mesures d’accommodement lui permettant de déroger à la politique, mais elle a laissé entendre que des raisons de santé l’empêchaient de se faire vacciner.
Peu de temps après l’annonce de la nouvelle politique, l’employée a informé l’employeur qu’elle avait lu la politique et qu’elle s’y opposait. Elle a également précisé qu’elle ne s’était pas fait vacciner et qu’elle n’avait pas l’intention de le faire. Le tribunal a conclu que l’employée savait que son refus de se faire vacciner l’obligerait à prendre un congé sans solde.
Le 4 octobre 2021, l’employée a été placée en congé sans solde. Lors du procès, l’employée a soutenu avoir fait l’objet d’un congédiement déguisé à compter de cette date. Le 15 novembre 2021, l’avocat de l’employée a envoyé une lettre à l’employeur avec un projet de poursuite civile alléguant que l’employée avait fait l’objet d’un congédiement déguisé. Comme indiqué précédemment, la juge Burt a conclu que la poursuite civile équivalait à la démission de l’employée.
Analyse
La juge Burt a d’abord examiné le critère applicable aux allégations de congédiement déguisé définit par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Potter c. Commission des services d’aide juridique du Nouveau‑Brunswick, 2015 CSC 10. En vertu de ce critère, la juge Burt a fait remarquer que, dans le contexte de suspensions administratives, la « principale question consiste à déterminer si la suspension était raisonnable et justifiée » [traduction].
Pour ce faire, la juge Burt a examiné en détail la décision de la Cour suprême de la Colombie-Britannique dans l’affaire Parmar v. Tribe Management Inc., 2022 BCSC 1675 (« Parmar ») et la décision de la Cour du Banc du Roi de l’Alberta dans l’affaire Benke v. Loblaw Companies Limited, 2022 ABQB 461 (« Benke »).
La décision Parmar, rendue le 26 septembre 2022, a été la première décision relative à des employés non syndiqués au Canada à examiner des questions semblables à celles soumises à la juge Burt. Il convient de souligner que dans l’affaire Parmar, le tribunal a évalué le caractère raisonnable de la politique de vaccination obligatoire en fonction des connaissances dont disposait l’employeur au sujet du virus au moment de la mise en œuvre de la politique et dans le contexte de l’obligation de l’employeur d’assurer la santé et la sécurité de ses employés, de ses clients et des membres du public.
La juge Burt, qui s’est appuyée sur les décisions Parmar et Benke, a conclu que la politique constituait une réponse raisonnable et légitime face à l’incertitude créée par la pandémie de COVID-19. Pour parvenir à cette conclusion, elle a établi un juste milieu entre :
- les intérêts commerciaux évidents de l’employeur à maintenir ses activités et à éviter de devoir fermer ses portes;
- les obligations de l’employeur d’assurer la santé et la sécurité de ses employés au travail en vertu de la législation applicable;
- la possibilité pour la demanderesse de respecter ses convictions personnelles en ne se faisant pas vacciner sans toutefois perdre son emploi.
Dans les circonstances, la décision unilatérale d’imposer un congé sans solde à l’employée ne constituait ni un manquement à son contrat de travail ni un congédiement déguisé.
Ce que nous réserve l’avenir
L’affaire Van Hee est un complément bienvenu au raisonnement appliqué dans les affaires Parmar et Benke. Bien que les plaintes pour congédiement déguisé dépendent toujours des faits, ces décisions laissent entendre que bon nombre de ces plaintes seront rejetées si la politique de vaccination en cause est raisonnable et justifiée, et si on a demandé à l’employé de prendre un congé sans solde plutôt que de mettre fin à son emploi.
Le groupe Travail, emploi et droits de la personne de Fasken est disponible pour aider les employeurs à gérer les plaintes relatives au congédiement déguisé et à assurer leur défense.