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La stratégie sur les minéraux critiques de l’Australie vue dans une perspective canadienne (partie 2)

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Bulletin Minier

Dans 27 novembre, nous avons publié la première partie de notre série de deux bulletins sur les stratégies relatives aux minéraux critiques de l’Australie et du Canada. Dans ce deuxième bulletin, nous commençons par examiner l’approche du Canada en matière d’exploration des minéraux critiques. Nous nous penchons ensuite sur les questions des délais d’autorisation et de la réforme, puis sur l’engagement des Premières Nations et sur les ententes sur les répercussions et les avantages avec les peuples autochtones. Nous concluons par un examen des répercussions de l’adoption de l’Inflation Reduction Act par les États-Unis en 2022.

Priorité à l’exploration : l’approche canadienne

Tout comme dans la stratégie australienne, l’exploration est désignée dans la stratégie canadienne comme étant le principal élément qui permettra au Canada de tirer le meilleur parti de sa riche gamme de ressources minérales. Les prévisions budgétaires de 2021 et 2022 couvraient différents aspects de la chaîne de valeur des minéraux critiques et incluaient un montant de 79,2 millions de dollars canadiens pour la géoscience publique et l’exploration, dans le but de mieux identifier et évaluer les gisements minéraux. Un crédit d’impôt pour l’exploration minière de 30 % pour les minéraux critiques ciblés, comme le nickel, le cobalt, le graphite, le cuivre, les éléments des terres rares, le vanadium et l’uranium a également été prévu.

Réforme et délais pour l’émission de permis

En Australie comme au Canada, les délais de délivrance des permis constituent un problème. La stratégie australienne prévoit parmi ses objectifs de « permettre des approbations environnementales rapides, efficaces et durables tout en garantissant de rigoureuses protections en matière d’écologie [1] ».

Dans la stratégie australienne, on reconnaît que « les nouveaux projets d’exploitation, de transformation et de production des minerais peuvent nécessiter plus de 10 ans pour atteindre l’étape de la fabrication, en particulier lorsqu’ils sont établis selon un cadre durable approuvé par la population locale [2] ». Dans cette optique, en guise de promouvoir l’Australie comme un leader mondial en matière de performance environnementale, sociale et de gouvernance (ESG), la stratégie australienne prévoit que le gouvernement devra collaborer avec tous les niveaux de gouvernement pour simplifier les processus d’approbations environnementales.

La stratégie canadienne tient compte de cette question en indiquant qu’il « peut actuellement s’écouler de 5 et 25 ans avant qu’un projet minier ne devienne opérationnel, et il n’y a pas de revenus avant le début de la production [3] ». Elle ajoute « [reconnaître] que, même si la réglementation responsable est essentielle, les processus complexes de réglementation et de délivrance de permis peuvent entraver la compétitivité économique du secteur et accroître le niveau de risque en matière d’investissement pour les promoteurs. Par conséquent, le gouvernement fédéral demeure déterminé à assurer le développement économique durable et la protection de l’environnement, qui vont de pair, en collaboration avec les peuples autochtones, les provinces et les territoires [4] ».

La stratégie canadienne révisée ne prévoit pas qu’une réforme visant la modification de lois et règlements existants en matière d’évaluation environnementale soit mise en œuvre. Les budgets de 2021 et de 2022 comprenaient trois initiatives visant à accélérer le développement de projets :

  • « 1,5 milliard de dollars (1 milliard de dollars en nouveau financement, 500 millions de dollars des fonds existants) sur six ans, à partir de 2024-2025, au Fonds d’innovation stratégique afin de soutenir les projets de minéraux critiques, en donnant la priorité aux applications de fabrication, de traitement et de recyclage;
  • 40 millions de dollars pour appuyer les processus réglementaires dans le Nord relatifs à l’examen des projets de minéraux critiques et la délivrance de permis;
  • 21,5 millions de dollars pour soutenir le Centre d’excellence sur les minéraux critiques (CEMC) dans l’élaboration de politiques et programmes fédéraux sur les minéraux critiques et l’aide aux promoteurs de projets qui doivent naviguer dans les processus de réglementation et les mesures de soutien fédéral [5] ».

Il reste à voir si ces initiatives accéléreront la délivrance des permis d’exploitation pour l’établissement de nouvelles mines. Il sera intéressant de voir quelles mesures le gouvernement fédéral prendra à cet égard, maintenant que la Cour suprême du Canada a conclu que la Loi sur l’évaluation d’impact (communément appelée projet de loi C-69) est en grande partie inconstitutionnelle [6].

Participation des Premières Nations et partage des bénéfices

Des Premières Nations vivent en Australie comme au Canada, et les Canadiens qui lisent la stratégie australienne constateront certaines similitudes dans les formulations, mais aussi des différences.

La stratégie australienne indique que « plus de 60 % des projets australiens relatifs aux ressources, notamment les projets d’exploration et d’extraction, sont opérés sur des terres faisant l’objet d’une revendication ou d’une détermination du statut autochtone […]. Les promoteurs sont tenus de négocier l’exploitation des terres ainsi que l’accès à ces terres. Dans les territoires du Nord, environ 50 % de la masse continentale est constituée de terres aborigènes franches, où les propriétaires traditionnels ont le droit de refuser de donner leur consentement ou leur droit de véto sur toute proposition d’utilisation ou d’accès aux terres  [7] ».

Selon la stratégie australienne, « [l]e fait de collaborer avec les collectivités des Premières Nations risque d’être considéré comme une simple étape d’une liste de contrôle aux fins d’approbation, particulièrement lorsque de multiples processus d’approbation complexes sont nécessaires. Toutefois, une mobilisation et une consultation efficaces des Premières Nations peuvent mener à des négociations fructueuses sur les propositions d’accès aux terres et d’utilisation des terres en vertu de la loi existante sur les droits fonciers, ou en vertu du Native Title Act de 1993, en plus de créer des emplois locaux, de favoriser le développement des compétences et d’encourager l’investissement au sein de la communauté [8] ».

De même, la stratégie canadienne montre explicitement que les efforts déployés par le gouvernement canadien pour la progression du secteur des minéraux critiques seront fondés sur le respect des droits ancestraux et des droits conférés par traités, de même que sur un engagement, un partenariat et une collaboration sincère et durable avec les Premières Nations.

Fait intéressant, le secteur minier est le deuxième employeur du secteur privé en importance pour les Autochtones au Canada. D’ailleurs, la stratégie indique que les dirigeants autochtones de partout au pays ont exprimé un grand intérêt à obtenir des participations à la propriété de projets liés aux minéraux critiques et aux infrastructures connexes.

L’Inflation Reduction Act des États-Unis, la législation sur les matières premières critiques de l’Union européenne et la loi japonaise sur la sécurité économique

La stratégie australienne a été publiée après l’entrée en vigueur de l’Inflation Reduction Act of 2022 (IRA) des États-Unis, soit la loi sur la réduction de l’inflation. Dans son message à titre de ministre des Ressources et ministre du Nord de l’Australie, Madeleine King résume le dilemme des pays comme l’Australie :

« Le contexte international de l’investissement évolue rapidement, les gouvernements du monde entier cherchant à encourager les investisseurs à soutenir la diversification et l’expansion des chaînes d’approvisionnement en minéraux critiques. Les récentes annonces des États-Unis et de l’UE visent à promouvoir des investissements historiques dans les chaînes d’approvisionnement en énergie propre, à dynamiser ses efforts de décarbonisation et à transformer les conditions de travail des entreprises dans le monde entier [9] ».

Dans un même ordre d’idées, en mai 2023, les gouvernements australien et américain ont ratifié un accord sur le climat, les minerais essentiels et la transformation en énergie propre (le « Australia-US Climate, Critical Minerals and Clean Energy Transformation Compact »), soulignant le rôle central des minéraux critiques dans la transition vers les énergies propres.

La stratégie canadienne initiale a été publiée en décembre 2022, quelques mois après que la promulgation de l'IRA par le président Biden; cette dernière n’y était donc pas mentionnée. La situation a changé lors du dépôt du dernier budget fédéral, et la stratégie canadienne modifiée fait état des répercussions de l’entrée en vigueur de l’IRA : elle indique que le gouvernement veut « veiller à ce que le Canada demeure une destination de premier choix pour les entreprises qui souhaitent investir et créer des emplois à la lumière des investissements effectués par d’autres gouvernements, comme les États-Unis dans le cadre du Inflation Reduction Act et de l’Infrastructure Bill (loi sur la réduction de l’inflation et la loi sur l’infrastructure) [10] ».

Soutien financier

La stratégie australienne indique que le gouvernement australien misera sur les projets ayant une importance stratégique et fournira « un soutien ciblé et proportionnel [...] pour atténuer les risques quant aux projets relatifs aux minéraux critiques ayant une certaine importance stratégique, pour attirer du financement privé et pour assurer que les projets de transformation et de fabrication australiens auront accès aux minéraux australiens [11] ».

La stratégie australienne indique par ailleurs que le gouvernement appuie déjà des projets dotés d’une importance stratégique qui en sont à des stades difficiles de leur développement, soit par l’entremise du programme de développement des minéraux critiques, impliquant un financement de 100 millions de dollars australiens, soit par une aide offerte au moyen de prêts, de garanties et d’investissements en capitaux propres par l’entremise d’organismes comme Export Finance Australia, le Northern Australia Infrastructure Facility et la Clean Energy Finance Corporation. Il est également mentionné que le gouvernement consacrera, par l’intermédiaire du Northern Australia Infrastructure Facility, une somme de 500 millions de dollars australiens en appui aux projets qui sont conformes au cadre établi par la stratégie.

De façon similaire, la stratégie canadienne, qui est assortie d’un financement de près de 4 milliards de dollars canadiens dans le budget de 2022, viendra « augmenter le soutien aux innovations et à la réduction des risques grâce à la recherche, aux expérimentations et au déploiement pour faire progresser les technologies et les processus durables vers la commercialisation dans les chaînes de valeur prioritaires ciblées [12] ».

En ce qui concerne le développement de projets, la stratégie indique que le gouvernement fédéral fournira un soutien financier et administratif permettant d’accélérer le lancement de projets stratégiques dans les domaines de l’exploitation minière, de la transformation, de la fabrication et de la réduction des déchets. La Banque de développement du Canada, Exportation et développement Canada et la Corporation commerciale canadienne participeront à l’atteinte de cet objectif.

Un programme existant, le Fonds stratégique pour l’innovation, par lequel des investissements sont déjà réalisés dans l’industrie des batteries de véhicules électriques, sera également mis à profit.

La main d’œuvre

La stratégie australienne comprend un chapitre sur le « développement d’une main-d’œuvre qualifiée ». Il en est de même pour la stratégie canadienne qui met l’accent sur le « développement d’une main-d’œuvre diversifiée et de collectivités prospères ». Les deux stratégies s’appuient sur des programmes pour remédier à la pénurie de main-d’œuvre qualifiée qui se profile à l’horizon de 2030.

Conclusion

Le Canada et l’Australie ont élaboré des stratégies qui sont en grande partie similaires et ces deux pays évoluent actuellement dans un environnement qui est largement influencé par les initiatives majeures du gouvernement américain en matière de politiques industrielles. Ces deux pays bénéficient d’une géologie riche et d’un contexte législatif rigoureux, mais pourront-ils égaler les efforts des États-Unis en termes de soutien financier et de crédits d’impôt?

 

[1] Page 5 de la stratégie australienne.

[2] Page 11 de la stratégie australienne.

[3] Page 21 de la stratégie canadienne.

[4] Page 24 de la stratégie canadienne.

[5] Page 11 de la Stratégie canadienne sur les minéraux critiques : document de travail.

[6] Renvoi relatif à la Loi sur l’évaluation d’impact, 2023 CSC 23

[7] Page 31 de la stratégie australienne.

[8] Ibid.

[9] Page 6 de la stratégie australienne.

[10] Page 35 de la Stratégie canadienne.

[11] Page 5 de la stratégie australienne.

[12] Page 20 de la stratégie canadienne.

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  • Johanna Fipke, Associée, Vancouver, BC, +1 604 631 4704, jfipke@fasken.com

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