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Privilège levé : Un tribunal ontarien confirme que le privilège du secret professionnel de l’avocat peut être levé par un séquestre

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Bulletin insolvabilité et restructuration

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Dans la récente décision Ontario Securities Commission v. Go-To Developments Holdings Inc. et al, 2023 ONSC 5921 (la « décision Go-To Developments »), la Cour supérieure de justice de l’Ontario (la « Cour ») a confirmé qu’un séquestre peut contrôler le secret professionnel de l’avocat afin de s’acquitter de son mandat. Plus particulièrement, la Cour devait déterminer si un séquestre pouvait avoir accès à des courriels échangés entre le dirigeant de sociétés mises sous séquestre et d’autres parties intéressées. En l’espèce, elle a conclu que, lorsque le secret professionnel de l’avocat s’applique à une société mise sous séquestre et que le séquestre possède l’autorité nécessaire pour examiner ces documents, le secret professionnel ne peut pas empêcher le séquestre de procéder à cet examen. La décision Go-To Developments est un rappel important qu’un ancien administrateur d’une société ne peut pas se servir du secret professionnel comme bouclier dans le cadre de procédures d’enquête le visant.

Contexte factuel

KSV Restructuration Inc., le séquestre nommé par la Cour (le « séquestre ») de 23 sociétés liées (collectivement, le « Groupe Go-To »), a demandé une ordonnance visant à contraindre le dirigeant du Groupe Go-To à lui communiquer plus de 11 000 courriels. En réponse, le dirigeant a soutenu que le secret professionnel de l’avocat ou le privilège d’intérêt commun empêchait une telle divulgation.

Le Groupe Go-To était composé de promoteurs immobiliers en Ontario qui avaient recueilli un montant important auprès d’investisseurs en vendant des parts de sociétés de personnes. Au moment de la demande de mise sous séquestre, les projets de développement étaient inachevés. La Cour a mis le Groupe Go-To sous séquestre à la demande de la Commission des valeurs mobilières de l’Ontario (la « CVMO »), en raison de préoccupations concernant certaines pratiques commerciales qui pourraient constituer des violations de lois et des cas de fraude. L’ordonnance de mise sous séquestre ne visait pas le dirigeant à titre personnel.

Les préoccupations de violations de lois et de cas de fraude concernaient notamment certaines opérations entre le Groupe Go-To et un tiers promoteur. Les courriels dont le séquestre souhaitait prendre connaissance avaient été échangés entre le dirigeant (avec son adresse courriel professionnelle) et un représentant du tiers promoteur. Le dirigeant n’avait pas retenu les services d’un avocat, et lorsqu’un avocat était en copie conforme dans les échanges, il s’agissait d’un avocat représentant le Groupe Go-To ou un avocat représentant le promoteur tiers.

La décision

La Cour a conclu que le séquestre devait obtenir les courriels afin d’exercer pleinement ses pouvoirs conférés par l’ordonnance de mise sous séquestre. Elle a invoqué des décisions antérieures qui démontrent que, dans certaines circonstances, un séquestre a le pouvoir de lever le secret professionnel de l’avocat dont profite un client pour lequel il agit. Selon la Cour, [traduction] « [l]a jurisprudence démontre clairement que la capacité d’un séquestre de surpasser le secret professionnel découle des pouvoirs qui lui sont accordés par l’ordonnance dans laquelle il a été nommé ».

La Cour a souligné que ses conclusions ne contredisaient pas l’arrêt faisant jurisprudence de la Cour suprême du Canada, soit Canada (Revenu national) c. Thompson, 2016 CSC 21, dans lequel il a été reconnu que le secret professionnel de l’avocat constitue un principe de justice fondamentale garanti par la Charte canadienne des droits et libertés. En l’espèce, la Cour ne devait pas lever ou écarter le privilège du secret professionnel de l’avocat, mais plutôt confirmer le pouvoir de contrôle d’un séquestre à l’égard de ce privilège dans le cadre de son mandat.

L’ordonnance de mise sous séquestre accordait au séquestre de vastes pouvoirs d’enquête et d’examen des faits qui l’autorisaient à examiner la correspondance par courriel. La Cour a également souligné que la mise sous séquestre ne s’inscrivait pas dans le cadre d’une procédure d’insolvabilité, mais qu’elle avait plutôt été demandée en vertu de la Loi sur les valeurs mobilières de l’Ontario en raison des préoccupations de la CVMO concernant les opérations commerciales du Groupe Go-To et à des fins de protection des investisseurs. Elle a aussi reconnu que la conclusion concernant le tiers promoteur et les courriels aurait une incidence importante sur les distributions aux autres intervenants dans le cadre des procédures de mise sous séquestre.

Enfin, la Cour a déclaré inapplicable une disposition de l’ordonnance de mise sous séquestre qui établissait expressément que la remise de données protégées par le secret professionnel de l’avocat ou l’octroi d’un accès à ces données n’étaient pas requis. Cette disposition constituait une reconnaissance du droit du Groupe Go-To au secret professionnel de l’avocat. Le dirigeant ne pouvait alors pas invoquer l’ordonnance de mise sous séquestre pour se protéger de l’obligation de divulguer les courriels envoyés au Groupe Go-To et en provenance de celui-ci. La Cour a conclu que le dirigeant devait démontrer que les courriels étaient protégés par le secret professionnel qui le liait personnellement à son avocat pour empêcher leur divulgation, ce qui n’était pas le cas.

Répercussions et conclusions

Bien que la question du secret professionnel de l’avocat relève largement du cadre civil, elle demeure quelque peu controversée dans le domaine de l’insolvabilité. Dans la jurisprudence, il a été conclu qu’un syndic de faillite ne peut pas lever le privilège, notamment dans l’arrêt Bre-X Minerals Ltd (Trustee of) v. Bennett Jones Verchere, 2001 ABCA 255 (« Bre-X »). Dans cette décision faisant jurisprudence, la Cour d’appel de l’Alberta, à la majorité, a statué que [traduction] « [l]e secret professionnel est le privilège du failli. [...] En cas de faillite, le privilège n’est pas transféré au syndic, qui n’a pas le pouvoir de le lever ». La Cour d’appel de l’Alberta s’est appuyée sur un arrêt antérieur de la Cour d’appel de l’Ontario, Re Chilcott and Clarkson Co Ltd, 48 OR (2d) 545, dans lequel il a été conclu que les communications entre le failli et son avocat ne pouvaient pas être divulguées au syndic de faillite en raison du privilège.

Depuis plusieurs années, la tendance générale observée en droit canadien est que les syndics de faillite n’ont pas le pouvoir de lever le secret professionnel de l’avocat des sociétés qu’ils représentent. Les décisions postérieures à l’arrêt Bre-X ont suivi l’exemple de la Cour d’appel de l’Alberta. Toutefois, l’application n’a pas été uniforme : certains tribunaux ont conclu à certaines exceptions à la règle Bre-X pour permettre une divulgation limitée aux syndics. Cette question ne semble pas avoir été étudiée en profondeur en dehors du contexte de la faillite.

L’approche Bre-X adoptée par les tribunaux crée une incertitude pour les syndics et les séquestres qui pourrait nuire à réalisation de leurs mandats. La décision Go-To Developments est donc une bonne nouvelle pour de nombreux syndics et séquestres, car elle s’éloigne de l’autorité de l’arrêt Bre-X et permet au séquestre nommé par le tribunal de contrôler le privilège appartenant au débiteur, le séquestre ayant été nommé pour contrôler et gérer tout le reste.

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Auteurs

  • Jessica Cameron, Associée, Calgary, AB, +1 403 261 9468, jcameron@fasken.com
  • Kaitlyn Wong, Avocate, Calgary, AB, +1 403 261 7388, kwong@fasken.com
  • Tom Kusch, Avocat, Calgary, AB, +1 587 233 4066 , tkusch@fasken.com

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