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Reconnaissance et exécution d’une sentence arbitrale étrangère : la Cour supérieure du Québec ordonne le versement d’un cautionnement de 620 000$ en attendant une décision finale des tribunaux ontariens

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Bulletin litiges et résolution de conflits

Contexte

La Cour supérieure du Québec a rendu une décision intéressante dans l'affaire récente Libelula inc. c. Presse Café Franchise Restaurant inc., opposant un franchisé et un franchiseur portant sur la reconnaissance et l’exécution d'une sentence arbitrale étrangère.

Le tribunal a décidé de surseoir à la demande d'homologation et de reconnaissance de la sentence jusqu'à ce que la Cour supérieure de l'Ontario se prononce sur un appel formulé contre la sentence par le franchiseur. Se faisant, il a également ordonné au franchiseur de verser un cautionnement de 620 000 $ pour protéger les intérêts des demandeurs en attendant la décision finale des tribunaux ontariens.

Cette décision est importante pour la jurisprudence canadienne en matière de modalités d'exécution des sentences arbitrales étrangères et de coopération judiciaire interprovinciale.

Résumé des faits

Tout récemment, dans l'affaire Libelula inc. c. Presse Café Franchise Restaurant inc., 2024 QCCS 421, la Cour supérieure du Québec a statué sur une demande en homologation et en reconnaissance d'une sentence arbitrale étrangère. Le tribunal met en relief d'importantes questions quant à la reconnaissance des sentences arbitrales étrangères au Québec, à l'application des lois provinciales sur les franchises, et à la coordination judiciaire interprovinciale. Au terme de son analyse, le juge Immer sursoit à la demande d’homologation et de reconnaissance afin de laisser cheminer l’appel partiel de la sentence devant les tribunaux ontariens. Il ordonne également au franchiseur, qui faisait déjà l’objet d’une sentence arbitrale le condamnant à verser une somme de 619 608,22$, de verser un cautionnement de 620 000 $. 

Le litige initial repose sur un contrat de franchise entre Libelula inc. et Presse Café Franchise Restaurant inc., régi par le Arthur Wishart Act (« AWA »), lequel impose des obligations d'information significatives au franchiseur. Les demandeurs (Libelula, Bautista et Placarte), s'appuyant sur les droits conférés par cette loi, ont obtenu gain de cause devant un arbitre en Ontario et ont ainsi obtenu la résolution de leur contrat de franchise ainsi que la condamnation du franchiseur et de personnes liés au franchiseur au paiement de dommages-intérêts et frais substantiels. En effet, l’AWA permet au franchisé de réclamer les sommes dues, solidairement, d'une personne qui a un lien avec le franchiseur. En l’espèce, les demandeurs ont obtenu la sentence non seulement contre le franchiseur, mais aussi contre deux personnes qui ont un lien avec celui-ci, c'est-à-dire, Marcel Hachem (« Hachem ») et Eastern Canadian Coffee Company Ltd. (« ECCC »).

Face à cette sentence arbitrale, les demandeurs ont cherché à en obtenir l'homologation et la reconnaissance au Québec contre le franchiseur, alors que ce dernier contestait en partie la sentence et avait initié des procédures parallèles d’appel en Ontario.

Dans sa décision, le tribunal décide de surseoir à la demande d'homologation et de reconnaissance de la sentence. Dans un premier temps, notant que la demande d’homologation visait exclusivement le franchiseur, il écarte un argument du franchiseur à l’effet que la Cour ne pouvait homologuer la sentence puisque Hachem at ECCC ne sont pas parties à la convention d’arbitrage.

Ensuite, en appliquant l’article 653(6) du Code de procédure civile (« C.p.c. »), la Loi type sur l'arbitrage commercial international (la « Loi type ») et l’arrêt Yugraneft Corp. c. Rexx Management Corp.[1] de la Cour Suprême du Canada, il arrive à la conclusion que le remède approprié dans les circonstances est de surseoir à la demande d’homologation jusqu’à l'obtention d'une décision finale par la Cour supérieure de l'Ontario quant à l’appel visant l'annulation partielle de la sentence soumise par le franchiseur. Cette décision de surseoir repose sur une analyse minutieuse des dispositions du C.p.c., de la Loi type et de l'importance de respecter le processus judiciaire en cours dans une autre juridiction.

En somme, en agissant de la sorte, la Cour supérieure reconnaît la validité de la sentence arbitrale tout en soulignant la nécessité d'attendre l'issue des procédures en Ontario pour éviter toute décision prématurée qui pourrait compromettre les droits des parties.

Toutefois, en parallèle, conscient des potentiels préjudices financiers que pourraient subir les demandeurs en cas de retard dans l'exécution de la sentence et l’absence de procédure d’appel relativement à la portion de la sentence qui visait le franchiseur, le tribunal a ordonné au franchiseur de verser un cautionnement de 620 000$ conformément au pouvoir que lui accorde l'article 654 al. 2 C.p.c.

Cette décision illustre la volonté du tribunal d'équilibrer les intérêts des parties, assurant ainsi une protection efficace aux demandeurs, au vu de la sentence arbitrale rendue, tout en respectant le cadre juridique et les procédures en cours dans une autre province.

Cette approche, à la fois prudente et proactive, met en relief le principe selon lequel la justice au sein d’un même État, laquelle s’exprime différemment selon les juridictions, requiert non seulement une compréhension approfondie des enjeux légaux mais aussi une certaine sensibilité aux contextes procéduraux variés.

Le cautionnement, véritable gage de prudence choisi par la Cour, est imposé afin de maintenir un équilibre dans les droits des parties en attendant le traitement final devant d’autres juridictions nationales. Cette décision marque un jalon important dans la jurisprudence relative à l'exécution des sentences arbitrales étrangères et à la coopération judiciaire interprovinciale, notamment quant à l’application at à la portée des articles 653 et 654 C.p.c.



[1] 2010 CSC 19, [2010] 1 R.C.S. 649

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  • Sébastien Richemont, Associé, Montréal, QC, +1 514 397 5121, srichemont@fasken.com
  • Lucas Métral, Avocat, Montréal, QC, +1 514 397 7588, lmetral@fasken.com

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