Le 4 mars 2024, pendant qu’il assistait au congrès annuel de l’Association canadienne des prospecteurs et entrepreneurs, le ministre de l’Innovation, des Sciences et de l’Industrie du Canada[1], François-Philippe Champagne, s’est vu poser une question sur le projet envisagé par SRG Mining Inc. (« SRG »), une société établie au Québec, de se relocaliser aux Émirats arabes unis après avoir accepté de vendre 19,4 % de la société à Carbon ONE New Energy Group Co., Ltd. (« Carbon One »), une société chinoise.
Même si SRG croyait que la relocalisation supprimerait la nécessité d’obtenir l’approbation du gouvernement du Canada relativement au marché envisagé, le ministre Champagne a réagi en déclarant que le Canada contesterait l’évitement envisagé de l’examen du gouvernement du Canada : [Traduction] « Il n’est jamais judicieux d’essayer de contourner les règles […] [Le gouvernement fédéral est prêt à utiliser] tous les outils à sa disposition [pour s’assurer que les lois canadiennes sont respectées]. »
Peu après les commentaires du ministre Champagne, SRG a annoncé qu’elle n’irait pas de l’avant avec l’opération avec Carbon One.
Contexte
Le 10 juillet 2023, SRG a annoncé que Carbon One avait offert d’acquérir une participation de 19,4 % dans SRG pour 16,9 M$. Dans un communiqué de presse, SRG a indiqué qu’elle avait l’intention d’utiliser le produit de la vente d’actions pour faire progresser son projet Lola Graphite en République de Guinée, en Afrique occidentale. Le communiqué de presse indiquait également qu’un avis volontaire serait déposé en vertu de la Loi sur Investissement Canada (« LIC »).
Le gouvernement du Canada considère le graphite comme étant un « minéral critique » et que, de ce fait, l’opération aurait été assujettie à sa Politique concernant les investissements étrangers par des entreprises d’État dans les minéraux critiques dans le cadre de la Loi sur Investissement Canada. Le Globe and Mail a par la suite rapporté que SRG avait dit à ses investisseurs que l’opération était assujettie à un examen au titre de la sécurité nationale en vertu de la LIC.
Le 29 novembre 2023, SRG a annoncé qu’elle relocaliserait son entreprise à l’extérieur du Canada et que, par conséquent, l’opération envisagée ne nécessiterait plus l’autorisation du gouvernement du Canada en vertu de la LIC. Le 26 février 2024, SRG a annoncé que la société avait choisi le marché mondial d’Abu Dhabi, aux Émirats arabes unis, comme emplacement privilégié pour sa relocalisation. Dans un communiqué de presse, SRG a indiqué que : [Traduction] « L’implantation aux Émirats arabes unis offrira à la société une plus grande marge de manœuvre stratégique. De plus, les Émirats arabes unis ont une convention de double imposition et un traité bilatéral d’investissement avec la République de Guinée, où se trouve le principal actif de SRG, soit le projet Lola Graphite. »
Le ministre aurait-il pu bloquer cette relocalisation?
Bien que le projet Lola Graphite soit situé en Afrique de l’Ouest, il semble probable qu’en l’absence d’une relocalisation, les dispositions de l’ICA relatives à l’examen de la sécurité nationale se seraient appliquées à l’opération envisagée avec Carbon One, car le paragraphe 25.1 c) de l’ICA prévoit que les dispositions de l’ICA relatives à l’examen de la sécurité nationale s’appliquent à un investissement envisagé par un non-Canadien en vue d’acquérir, en tout ou en partie, une entité exploitée en tout ou en partie au Canada, si l’entité possède un établissement au Canada.
Selon notre évaluation concluant à la compétence du ministre en vertu de l’ICA avant la relocalisation prévue de SRG aux Émirats arabes unis, le ministre aurait pu aviser Carbon One de la possibilité d’un examen au titre de la sécurité nationale en vertu du paragraphe 25.2(1) de l’ICA. Un tel avis aurait interdit à Carbon One d’effectuer l’investissement et, probablement, de prendre des mesures visant à le faire (comme la relocalisation), en attendant la décision du gouvernement de rendre ou non une ordonnance prévoyant un examen de la sécurité nationale.
Par ailleurs, le ministre aurait pu obtenir un décret en vertu de l’article 25.3 de la LIC prévoyant l’examen du placement par le gouverneur en conseil. Une fois Carbon One et SRG avisées de l’ordonnance, celles-ci n’auraient pas pu procéder l’opération avant qu’une ordonnance leur permette de le faire.[2] Une autre option dont le au ministre aurait pu se prévaloir aurait été de faire émettre à Carbon One une mise en demeure, en vertu de l’article 39 de la LIC, de mettre fin à la contravention ou de démontrer l’absence de contravention, à défaut de quoi le ministre aurait pu demander un éventail d’ordonnances judiciaires de sévérité variable.
Si le gouverneur en conseil n’avait pas agi avant la relocalisation, il aurait été plus difficile de contester le placement à la seule fin d’assurer sa compétence personnelle sur les parties (quoique dans cette hypothèse, le fait que SRG soit inscrite à la cote d’une bourse canadienne aurait pu être utile au ministre). Sous réserve de cette restriction potentiellement importante, il semble qu’il n’aurait pas été très difficile de lier la relocalisation au placement dans Carbon One.
Relocalisation sans opération envisagée
Si SRG avait décidé unilatéralement de se relocaliser dans un territoire étranger pour un motif commercial véritable (autre qu’un motif lié à une opération réelle), on peut sans doute soutenir que le droit du ministre d’intervenir en vertu de la LIC aurait été plus faible.
Toutefois, la relocalisation n’est probablement qu’un des nombreux facteurs à prendre en considération pour tenter d’écarter efficacement l’application de la LIC à une entreprise canadienne. Le filet de l’article 25 de la LIC est très large et la mesure dans laquelle une entreprise canadienne doit rompre ses liens avec le Canada pour éviter d’y être assujettie n’est pas claire. On pourrait soutenir que tout lien continu avec le Canada, même avec une seule personne au Canada, à titre de membre du personnel ou de travailleur autonome, dans le cadre de l’exploitation de l’entité, pourrait créer un lien suffisant pour permettre au ministre de démontrer qu’il continue d’avoir compétence en vertu de la LIC.
N’hésitez pas à communiquer avec un membre des groupes Concurrence, commercialisation et investissements étrangers ou Sécurité nationale de Fasken si vous avez des questions.Les renseignements et les conseils fournis dans ce bulletin ne constituent pas un avis juridique et ne doivent pas être considérés co
[1] Innovation, Sciences et Développement économique Canada est le ministère du gouvernement du Canada qui est responsable de l’administration des aspects non culturels de la LIC, notamment ce qui concerne les questions de sécurité nationale.
[2] Il convient de noter que sila Loi sur la modernisation de l’examen des investissements relativement à la sécurité nationale (qui a reçu la sanction royale et doit entrer en vigueur ce printemps) avait été en vigueur,le ministre aurait pu simplement prendre un arrêté prévoyant l’examen de l’investissement au titre de la sécurité nationale en vertu du paragraphe 25.3 révisé.