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Redéfinir les limites de la « protection » Redwater : la Cour d’appel de l’Alberta confirme la priorité des hypothèques

Fasken
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Bulletin insolvabilité et restructuration

Le 8 avril 2024, la Cour d’appel de l’Alberta a rendu un arrêt très attendu dans Qualex-Landmark Towers Inc v. 12-10 Capital Corp, 2024 ABCA 115 (l’«Arrêt»). La Cour a accueilli l’appel et annulé la décision de première instance (la «Décision de première instance ») qui accordait une ordonnance de saisie pour les coûts estimés de l’assainissement environnemental d’une parcelle de terrain appartenant à la demanderesse. Elle a ainsi accordé une priorité plus élevée à l’ordonnance de saisie conservatoire afin qu’elle soit payée avec les produits de la vente des terrains de la défenderesse avant même les hypothèques enregistrées antérieurement.

Cet arrêt constitue une bonne nouvelle pour les prêteurs garantis puisqu’il confirme la priorité des distributions sur le produit de la vente de terrains établie dans les lois albertaines, précisément dans la Land Titles Act et Civil Enforcement Act. L’arrêt confirme également que les particuliers ne peuvent pas se substituer à un organisme de réglementation à moins que la loi ne le prévoie expressément. 

Contexte

La demanderesse, QL Towers Inc. (« QLT »), a acheté des terrains (les « Terrains de QLT ») situés directement à côté de terrains appartenant à la défenderesse, 12-10 Capital Corp. (« Capital Corp », et ses terrains ci-après les « terrains 12-10 »). Avant l’achat de chacun des terrains de QLT et des Terrains 12-10, des études souterraines ont révélé que les Terrains 12-10 étaient contaminés sur le plan environnemental (la « Contamination »).

QLT a finalement découvert que la contamination avait migré des Terrains 12-10 aux terrains de QLT et a intenté une demande en dommages-intérêts (la « Demande »).

Les Terrains 12-10 représentaient le seul actif de Capital Corp. QLT craignait donc que cette dernière ne vende les Terrains 12-10 et distribue l’entièreté du produit de la vente aux créanciers hypothécaires, ne prévoyant aucun fonds pour satisfaire à un éventuel jugement rendu dans le cadre de la Demande, fonds que QLT aurait utilisés pour remédier à la contamination qui avait migré sur ses terrains. Par conséquent, QLT a demandé une ordonnance de saisie conservatoire contre Capital Corp. et a demandé que l’ordonnance soit appliquée à tout produit brut tiré de la vente des Terrains 12-10, en priorité sur les hypothèques déjà enregistrées sur le titre.

Décision de première instance

Le juge en chambre a accordé la demande d’ordonnance de saisie conservatoire de QLT au motif que cette dernière avait une « probabilité raisonnable » d’obtenir gain de cause. Dans ses motifs, le juge s’est appuyé sur les principes relatifs aux obligations de remise en état de l’environnement énoncés dans l’arrêt Orphan Well Association c. Grant Thornton Limited, 2019 CSC 5 («Redwater ») où la Cour suprême du Canada a statué que, dans une procédure d’insolvabilité, les organismes de réglementation jouissent d’une « superpriorité » par rapport aux prêteurs garantis en ce qui a trait aux fonds nécessaires à l’exécution des travaux de décontamination environnementale.

Selon la décision de première instance, les obligations relatives à la décontamination environnementale sont des obligations d’intérêt public et, par conséquent, la « superpriorité » dont jouit un organisme de réglementation environnementale peut être étendue à un particulier partie à un litige visant à obtenir des dommages-intérêts pour les coûts estimés de décontamination environnementale puisque cette décontamination contribue au bien public. Par conséquent, le juge de première instance a accueilli la demande de QLT visant à obtenir une ordonnance de saisie conservatoire à l’égard de tout produit tiré de la vente des Terrains 12-10 et a prévu que les fonds s’y rattachant auraient priorité sur les hypothèques valides et exécutoires grevant les Terrains 12-10.

Pour une analyse plus détaillée de la décision de première instance, consultez le bulletin de Fasken sur le sujet ici (disponible en anglais seulement).

Décision de la Cour d’appel

La Cour d’appel a infirmé la décision du juge en chambre au motif que la « superpriorité » décrite dans l’arrêt Redwater ne s’étend pas aux parties privées. Ainsi, elle a affirmé, selon la norme de la décision correcte, que le juge en chambre avait commis une erreur en concluant qu’il existait une « probabilité raisonnable » que QLT réussisse à obtenir un jugement qui lui permette d’être payée en priorité par rapport à tous les autres créanciers.

Sur ce point, la Cour d’appel a conclu ce qui suit [traduction] :

« Si la “probabilité raisonnable” n’exige pas que la partie demanderesse démontre, selon la prépondérance des probabilités, qu’elle obtiendra la réparation demandée, il faut quelque chose de plus qu’un “doute ou un espoir subjectif” pour accorder une réparation extraordinaire avant jugement. En l’espèce, le juge en chambre a estimé que le seuil de probabilité raisonnable était atteint, car, pour reprendre ses mots, il soupçonnait que les limites « de la protection mise en place dans le cadre de l’arrêt Redwater en ce qui concerne les obligations de remise en état de l’environnement » seraient mises à l’épreuve pendant un certain temps. En effet, il ne pouvait pas aller plus loin que de reconnaître l’espoir subjectif de la demande de Qualex. L’ordonnance de saisie conservatoire est donc annulée. [citations omises]

 

La Cour d’appel a souligné que les prêts garantis au Canada, tant dans le contexte de l’insolvabilité qu’en dehors, sont régis par un ensemble complexe de lois fédérales et provinciales, et que les tribunaux doivent faire preuve d’une grande prudence lorsqu’ils élargissent ou interprètent l’application de la common law, car les ramifications peuvent être importantes. À cet égard, la Cour d’appel a expliqué que la décision de la Cour suprême dans l’affaire Redwater ne créait pas une nouvelle priorité en common law en faveur de l’organisme de réglementation, mais qu’elle confirmait plutôt le régime des priorités élaboré par le Parlement. En revanche, aucune disposition législative ne permettait à QLT d’obtenir une priorité plus élevée pour son ordonnance de saisie.

Enfin, la Cour d’appel a souligné la différence entre un organisme de réglementation qui fait respecter des obligations légales de remise en état de l’environnement dans l’intérêt du public et une partie privée qui cherche à obtenir des dommages-intérêts. La Cour a déclaré [Traduction] :

« Une partie privée, agissant dans son propre intérêt, n’est pas tenue d’agir au profit d’autrui. Les litiges privés ne peuvent se substituer à une réglementation dans l’intérêt public. Perturber le régime des priorités prévu par la loi et la certitude commerciale qu’il apporte en accordant des « superpriorités » en common law aux parties privées pour les demandes relatives à l’assainissement environnemental n’apporte aucune garantie que l’argent récupéré sera utilisé autrement que pour servir les intérêts de la partie en cause. Cette réalité compromet l’objectif de la loi albertaine sur la protection de l’environnement, la Environmental Protection and Enhancement Act, plutôt que d’aller dans le même sens. »

Implications et points à retenir

L’arrêt a bien été accueilli par les prêteurs garantis, car celui-ci confirme qu’une sûreté ne sera pas subordonnée aux réclamations de parties privées inconnues au moment de l’octroi du prêt. À cet égard, la Cour d’appel a affirmé que bien que les obligations d’ordre public découlant d’une loi puissent exister indépendamment de l’intervention d’un organisme de réglementation ou son application, seul un organisme de réglementation autorisé par la loi – et non des intervenants privés – peut faire respecter ces obligations dans l’intérêt public.

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Auteurs

  • Robyn Gurofsky, Associée, Calgary, AB, +1 403 261 9469, rgurofsky@fasken.com
  • Jessica Cameron, Associée, Calgary, AB, +1 403 261 9468, jcameron@fasken.com
  • Anthony Mersich, Avocat, Calgary, AB, +1 587 233 4124 , amersich@fasken.com

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