Le 30 mai 2024, l’Assemblée nationale du Québec a adopté le projet de loi no 56 introduisant la Loi portant sur la réforme du droit de la famille et instituant le régime d’union parentale. Ce projet de loi institue un régime d’union parentale s’appliquant aux conjoints de fait lorsqu’ils deviennent les parents d’un enfant, ou lorsque les parents d’un même enfant deviennent ou redeviennent conjoints de fait.
L’impact de ce projet de loi en matière familiale, particulièrement en cas de séparation des conjoints en union parentale, a fait couler beaucoup d’encre, alors que son impact sur le droit des successions a jusqu’à maintenant fait l’objet de moins de discussions.
Mise en contexte
La réforme introduite par le projet de loi no 56 fait suite à de nombreux débats quant à l’absence de réglementation des rapports entre les conjoints de fait au Québec. En effet, depuis la célèbre décision de 2015 Québec (Procureur général) c. A.[1], mieux connue sous le nom de Éric c. Lola, il est bien établi que les couples non mariés ou non unis civilement ne bénéficient pas des diverses protections offertes par la loi, tant en matière familiale que successorale. La Cour suprême avait jugé que l’autonomie de la volonté constituait une justification conforme aux orientations de la Charte canadienne des droits et libertés. Ainsi, l’exclusion des conjoints de fait de l’application des dispositions n’était pas discriminatoire selon le plus haut tribunal du pays. La logique derrière cette décision de faire bénéficier uniquement les conjoints unis légalement du cadre juridique reposait sur la liberté contractuelle. Autrement dit, il était présumé qu’à défaut de mariage ou d’union civile, les conjoints souhaitent demeurer en marge des droits et obligations associés au statut matrimonial ou aux dispositions successorales.
Le projet de loi découle de plusieurs recommandations présentées par le Comité consultatif sur le droit de la famille dans les dernières années. L’une des plus importantes proposait de cesser d’opposer l’union de fait et le mariage et de plutôt différencier les couples avec des enfants des couples sans enfants. Celle-ci ayant été accueillie favorablement par l’Assemblée nationale du Québec, il s’agit dorénavant de distinguer le statut conjugal du statut parental.
Le projet de loi no 56 et son impact sur le droit des successions
Champ d’application
À partir du 30 juin 2025, les couples qui répondront aux critères du nouvel article 521.20 du Code civil du Québec (« C.c.Q. ») seront soumis aux nouvelles dispositions successorales introduites par le projet de loi no 56. Ainsi, les conjoints de fait qui deviennent les père et mère d’un même enfant après le 29 juin 2025 formeront une union parentale au sens de la loi. Les dispositions légales s’appliqueront également aux parents qui partageaient auparavant la parenté d’un enfant et qui deviennent conjoints de fait ou le redeviennent à partir de cette même date. Le projet de loi précise que deux personnes qui font vie commune et se présentent publiquement comme un couple sont des conjoints de fait selon les nouvelles dispositions successorales. De plus, il établit une présomption de vie commune des conjoints en présence d’un lien de parenté à un même enfant combiné à une cohabitation.
Le projet de loi en matière successorale prévoit des modifications aux règles de la dévolution légale ab intestat. Les nouvelles dispositions s’appliquent donc dans le cas où le défunt a omis de préparer un testament au préalable, sa succession se réglant ainsi selon les termes prévus par la loi. Cette dévolution légale intervient également dans des circonstances où le testament est incomplet ou lorsque celui-ci contient certains legs qui sont caducs.
Dévolution de la succession au conjoint survivant
Le nouveau régime institué par le projet de loi no 56 modifie le droit antérieur applicable à la dévolution légale ab intestat[2] qui n’accordait aucun droit successoral au conjoint survivant dans la mesure où celui-ci n’était pas lié au défunt par mariage ou union civile. En effet, les dispositions du Code civil du Québec qui prévoyaient la dévolution légale de la succession du défunt excluaient expressément le conjoint de fait. Conséquemment, le conjoint survivant en union de fait n'avait aucune revendication légale sur la succession de son partenaire, sauf dans les cas où un testament prévoyait des stipulations en sens contraire. En l’absence de dispositions testamentaires, la totalité de la succession était dévolues aux enfants, parents, frères et sœurs ou autres membres de la famille du défunt.
Par l’institution du régime d’union parentale, les conjoints de fait qui répondent aux critères précédemment mentionnés, et qui ont fait vie commune pendant plus d’une année précédant le décès, sont dorénavant inclus à la définition de « conjoint survivant » de l’article 653 C.c.Q. et obtiennent par conséquent le droit à la dévolution successorale de leur partenaire. La condition d’une telle durée de vie commune est imposée uniquement aux conjoints en union parentale et ne touche pas les couples mariés ou unis civilement. Lorsque cette exigence est respectée et que l’un des conjoints décède sans avoir préalablement rédigé de testament, le tiers de sa succession est dévolue au conjoint de fait survivant, tandis que le deux tiers restant revient aux enfants du couple et aux autres enfants du défunt provenant d’une union antérieure, le cas échéant, en vertu de l’article 666 C.c.Q. lequel demeure inchangé.
Prestation compensatoire
En outre, le nouveau régime permet au conjoint survivant de l’union parentale d’obtenir une prestation compensatoire s’il estime s'être appauvri après avoir contribué, en biens ou en services, à l’enrichissement de son conjoint au cours de leur vie commune. Au moment du décès de l’un des conjoints, le tribunal peut désormais ordonner qu’une prestation soit payable au conjoint survivant pour compenser sa contribution à l’accroissement de la richesse du patrimoine du défunt.
Les éléments constitutifs d’une prestation compensatoire sont: un apport du survivant, un enrichissement du patrimoine du défunt, un lien de causalité entre ces deux occurrences, la proportion dans laquelle l’apport a contribué à l’enrichissement et l’absence de justification[3]. Lorsque les critères sont satisfaits de l’avis du tribunal, la prestation compensatoire sera payée, au comptant ou par versement, avant le partage de la succession puisqu’il s’agit d’une dette due au conjoint survivant. Dans le versement de cette prestation, le tribunal tiendra compte cependant des avantages que procure au conjoint survivant la succession qu’il recueillera.
Attribution préférentielle
Le projet de loi met également en place un droit d’attribution préférentielle au conjoint survivant en union parentale. À moins de dispositions testamentaires autres, celui-ci peut exiger de recevoir certains biens spécifiques qui font partie de la masse successorale par préférence à tout autre héritier. Il s’agit précisément de la résidence familiale ou des droits qui en confèrent l’usage, ainsi que des meubles qui servent à l’usage du ménage.
Ce droit nouvellement attribué au conjoint survivant à partir du décès de son partenaire est indépendant de sa qualité d’héritier ou de légataire. Il s’apparente plutôt à la mesure de protection prévue par le régime matrimonial légal des conjoints mariés ou unis civilement et vise à assurer la subsistance du conjoint survivant et la stabilité des enfants issus de l’union. Les autres héritiers du défunt ne peuvent donc empêcher l’attribution préférentielle de ces biens, celle-ci ayant lieu avant tout partage de la masse successorale. Par ailleurs, lorsque la valeur des biens attribués au conjoint survivant excède les sommes qui lui sont dues par la succession, il devra procéder au paiement d’une soulte en contrepartie du trop-perçu.
Caractère impératif
Contrairement aux dispositions portant sur les effets de l’union parentale en cas de séparation des conjoints, les modifications aux dispositions successorales ne prévoient aucune possibilité de se soustraire de leur application. Dorénavant, la dévolution successorale des conjoints en union parentale est automatiquement régie par les dispositions légales qui prévoient l’attribution d’au moins un tiers de la succession au conjoint survivant. Par conséquent, les couples qui ne souhaitent pas se prévaloir de ces règles devront expressément établir le partage de leurs droits successoraux par convention de vie commune ou par le biais d’un testament.
Conclusion
Avec ce nouveau régime d’union parentale qu’introduit le projet de loi no 56, les conjoints de fait, qui sont parents d’un même enfant et qui font vie commune depuis plus d’un an au moment du décès, peuvent dorénavant profiter de la même protection légale en matière successorale que les conjoints mariés ou unis civilement. L’ adoption de ce projet de loi avait pour objectif d’adapter le droit civil aux réalités des familles québécoises d’aujourd’hui.
[1] 2013 CSC 5.
[2] C’est-à-dire dans le cas où le défunt a omis de préparer un testament au préalable, sa succession se réglant ainsi selon les termes prévus par la loi. Cette dévolution légale intervient également dans des circonstances où le testament est incomplet ou lorsque celui-ci contient certains legs qui sont caducs.
[3] M. (M.E.) c. L. (P.), [1992] 1 R.C.S. 183.