Proposition d’un nouveau cadre réglementaire pour les travaux en zones inondables et milieux humides et hydriques
Le 19 juin 2024, le ministre de l’Environnement, de la Lutte contre les changements climatiques, de la Faune et des Parcs (« MELCCFP ») a publié plusieurs projets de règlements sur les milieux hydriques et sur les ouvrages de protection contre les inondations [1] (les « Projets de règlements ») visant à remplacer le régime transitoire de gestion des zones inondables, des rives et du littoral, en vigueur depuis le 1er mars 2022 (le « Régime transitoire »).
La publication des Projets de règlements se veut une concrétisation du Plan de protection du territoire face aux inondations élaboré par le gouvernement du Québec à la suite des inondations de 2017 et 2019.
Votre équipe Fasken en Droit de l’environnement vous propose un aperçu des principales modifications proposées.
Nouvelle classification et cartographie des zones inondables
- Accroissement des zones inondables : de nouvelles cartes des zones inondables seront élaborées et le MELCCFP estime que le territoire assujetti au régime de protection des zones inondables serait agrandi de 30% à 40%.
- Les nouvelles cartes prendront en compte à la fois la fréquence des inondations, leur intensité et les impacts des changements climatiques. Elles seront basées sur les connaissances scientifiques les plus récentes et seront élaborées en collaboration avec les municipalités.
- La nouvelle cartographie des zones inondables sera déployée progressivement suivant l’entrée en vigueur des règlements.
Considérant le fait que la cartographie des zones inondables telles qu’elles seraient classifiées n’est pas encore terminée, il est difficile pour les assujettis d’anticiper les impacts de ces Projets de règlements. Le MELCCFP a toutefois publié un projet de guide méthodologique applicable à l’établissement des zones inondables et de mobilité pour permettre de comprendre les changements apportés dans la méthode de délimitation. [2]
Notons également que ni la LQE, ni les règlements en vigueur ou les Projets de règlements ne prévoient la possibilité de contester la délimitation de ces zones inondables lorsque complétée. L’alinéa 4 de l’article 46.0.2.1 de la LQE prévoit que le ministre de l’Environnement, de la Lutte contre les changements climatiques, de la Faune et des Parcs doit publier dans la Gazette officielle du Québec, après avoir consulté le ministre des Ressources naturelles et de la Faune, un avis précisant que la délimitation des zones inondables des lacs et des cours d’eau et des zones de mobilité des cours d’eau a été établie. De tels avis pourraient faire l’objet de pourvois en contrôle judiciaire en Cour supérieure.
- Détermination de la limite du littoral : la manière de déterminer la limite du littoral et certaines zones inondables serait prévue à l’annexe 1 du nouveau Règlement sur l’encadrement d’activités sous la responsabilité des municipalités réalisées dans des milieux hydriques en remplacement de la Politique de protection des rives, du littoral et des plaines inondables[3] et dépendrait de différents facteurs tels la présence d’un ouvrage ou des conditions écologiques particulières.
Aperçu des modifications règlementaires proposées
Ce projet de cadre réglementaire révisé propose plusieurs ajustements comparativement au Régime transitoire actuellement en vigueur :
Publication du Règlement sur l’encadrement d’activités sous la responsabilité des municipalités réalisées dans des milieux hydriques (« REARMMH »)
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- Ce règlement constitue la pièce maîtresse du nouveau régime réglementaire et son application serait déléguée en grande partie aux municipalités.
- Encadrement des zones de mobilité des cours d’eau : ces zones, qui ne seraient pas comprises dans les zones inondables, seraient définies comme étant un espace dans lequel le lit du cours d’eau peut se déplacer en raison de différents processus physiques, dont l’érosion et la sédimentation. Selon notamment leur taux d’érosion et le recoupement de méandre, ces zones de mobilités seraient classées à court ou long terme et certaines activités y seraient interdites ou encadrées. L’implantation d’un bâtiment résidentiel et de ses ouvrages et bâtiments accessoires serait par exemple interdite en zone de mobilité court terme.
- Création de catégories de zones inondables : les Projets de règlements élargissent les possibilités de catégorisation des zones inondables, en prévoyaient qu’elles puissent être de classe très élevée, élevée, modérée, et faible. Les activités interdites ou autorisées continueraient de dépendre de la classification des zones. Par exemple :
- La reconstruction d’un bâtiment résidentiel existant serait interdite dans les zones inondables de classe très élevée;
- L’agrandissement de bâtiment résidentiel existant serait possible en zone d’inondation faible et modérée, et possible en zone d’inondation élevée et très élevée seulement lorsqu’il est prévu le déplacement de pièces de vie ou d’habitation essentielle;
- La construction d’un bâtiment résidentiel dans un nouveau secteur situé en zone inondable serait interdite;
- Obligation d’obtenir un permis municipal : les municipalités seraient responsables de délivrer les permis pour la réalisation de plusieurs activités en milieu hydrique et en zone inondable qui ne sont pas assujetties à une autorisation ministérielle ou à une déclaration de conformité en vertu de la Loi sur la qualité de l’environnement[4], notamment :
- En milieu hydrique :
- Construction et démantèlement d’un accès résidentiel et de certains chemins;
- Construction et démantèlement de système d’égout, d’aqueduc ou de gestion des eaux pluviales;
- Construction d’une canalisation desservant un bâtiment résidentiel qui est raccordé à un système d’aqueduc, d’égout ou de système de gestion des eux pluviales, sous certaines conditions;
- Travaux de stabilisation, tels que la construction d’un ouvrage de stabilisation ou d’un mur de soutènement associé à un ponceau;
- Construction et démantèlement d’une structure permettant de traverser un cours d’eau ou d’accéder à une infrastructure, un bâtiment ou un ouvrage situé dans le littoral.
- En zone inondable et en zone de mobilité :
- Construction et démolition d’un bâtiment résidentiel, de ses ouvrages et bâtiments accessoires;
- Construction et démolition d’un bâtiment non-résidentiel qui ne comporte pas de travaux d’excavation, sous certaines conditions.
- Conditions applicables à la réalisation d’activités assujetties à un permis municipal : le règlement prévoit de nombreuses conditions à respecter, qui varient selon le type d’activité et la catégorie de zone inondable.
- Les conditions visent notamment la remise en état et la gestion de la végétation, les remblais et déblais, l’utilisation de véhicule et de machinerie et les travaux sur des bâtiments.
- Plan de gestion des risques liés aux inondations :
- Les municipalités régionales de comté (« MRC ») pourraient adopter un plan de gestion afin de permettre certaines activités sur leur territoire, sous certaines conditions.
- Les MRC devront réviser leur plan de gestion à chaque période de 10 ans, sauf en cas de modification à la délimitation des zones inondables ou en cas d’inondation.
- Sanctions pénales : d’importantes amendes, pouvant varier entre 2 500 $ et 6 000 000 $, seraient applicables en cas de non-respect du règlement, à la fois pour les municipalités et pour les personnes physiques ou morales.
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Grande nouveauté – l’encadrement des ouvrages de protection contre les inondations (« OPI ») :
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- Publication du Règlement sur les ouvrages de protection contre les inondations (« ROPI ») :
- Le ROPI viserait à mettre en place plusieurs mesures afin d’assurer un meilleur encadrement des OPI, au bénéfice de la sécurité des collectivités;
- On y retrouve notamment l’obligation d’effectuer une étude de caractérisation pour chaque OPI aux dix (10) ans, l’obligation de respecter des exigences de conception et de performance pour les OPI et l’interdiction de certaines activités sur un OPI;
- Également, certains renseignements doivent être inscrits dans le nouveau Registre des OPI et au Registre foncier.
- D’autres règlements encadreraient les travaux en lien avec les OPI, notamment :
- Le REARMMH assujettirait certaines activités liées aux OPI à un permis municipal [5];
- Le Règlement sur l’encadrement d’activités en fonction de leur impact sur l’environnement (« REAFIE ») serait modifié afin de :
- Soumettre à une autorisation ministérielle la construction et le démantèlement d’un OPI [6];
- Exempter d’une autorisation ministérielle l’entretien d’un OPI, sous certaines conditions [7];
- Prévoir une déclaration de conformité pour remplacer un ouvrage ou construction connexe à un OPI, sous certaines conditions. [8]
- Le Règlement relatif à l’évaluation et l’examen des impacts sur l’environnement de certains projets (« REEIE ») intègrerait la plupart des projets relatifs à la construction, prolongement, rehaussement, rabaissement, raccourcissement, conversion, démolition ou neutralisation d’un OPI à la liste d’activités soumise à une procédure d’évaluation et d’examen des impacts sur l’environnement.
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Remplacement complet du Règlement sur les activités dans des milieux humides, hydriques et sensibles (« RAMHHS ») :
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Le RAMHHS s’applique aux activités réalisées dans des milieux humides et hydriques qui ne sont pas visées par le nouveau REARMHH;
- Il détermine, en fonction des milieux concernés, les activités interdites, les conditions applicables à la réalisation de certaines activités et les sanctions applicables;
- Le RAMHHS serait modifié afin d’ajouter des restrictions, conditions et interdictions à la réalisation de certaines activités en milieux humides et hydriques, notamment :
- Le dépôt de neige en rive, en littoral ou en milieu humide serait interdit;
- Les ouvrages de stabilisation devraient être végétalisés à la fin des travaux.
- Le RAMHHS serait également modifié afin d’ajouter des restrictions, conditions et interdictions à la réalisation de certaines activités en milieux hydriques spécifiquement. Par exemple, l’aménagement d’une aire de stationnement permanente et la construction d’un stationnement souterrain seraient interdits en littoral, en rive ou en zone de mobilité court terme.
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Modifications au Règlement sur l’encadrement d’activités en fonction de leur impact sur l’environnement (« REAFIE »)[9] :
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- Le REAFIE serait modifié afin de revoir les exigences applicables aux activités réalisées dans des milieux humides ou hydriques;
- Plusieurs travaux réalisés en milieux humides et hydriques qui sont actuellement assujettis à une autorisation ministérielle deviendraient admissibles à une déclaration de conformité sous certaines conditions, notamment :
- La construction d’une installation de prélèvement d’eau de surface;
- Le remplacement ou la réfection d’un ponceau.
- Un resserrement des critères de non-assujettissement est proposé notamment pour l’empiètement des quais et abris à bateaux dans la rive et le littoral. [10] En outre, certaines activités en milieux hydriques qui étaient exemptées pourraient ne plus l’être lorsqu’elles sont réalisées en zone de mobilité.
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Modifications au Règlement sur la compensation pour l’atteinte aux milieux humides et hydriques (« RCAMHH »)
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- Les travaux exécutés dans toutes les classes de zones inondables seraient soustraits du paiement d’une contribution financière exigible pour compenser l’atteinte à des milieux humides et hydriques.
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Publication du Règlement concernant les règles transitoires applicables en cas de changement à la délimitation des zones inondables et des zones de mobilité ainsi que celles applicables à la mise en œuvre des règlements instaurant un nouveau régime d’aménagement dans les zones inondables et encadrant les ouvrages de protection contre les inondations:
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- Ce règlement prévoirait les règles transitoires applicables aux projets en cours en cas de changement à la délimitation des zones inondables et des zones de mobilité. Ainsi, sous certaines conditions, une activité débutée dans une zone visée par un changement à sa délimitation en tant que zone inondable ou de mobilité pourrait se poursuivre, même si le changement implique des mesures plus sévères.
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Modifications de concordance à la règlementation en vigueur :
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- Plus de 33 règlements présentement en vigueur seraient modifiés à des fins de concordance.
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Prochaines étapes
Les Projets de règlements font présentement l’objet d’un processus de consultations publiques, jusqu’au 17 septembre 2024. Ils peuvent être consultés à l’adresse suivante : https://www.publicationsduquebec.gouv.qc.ca/fileadmin/gazette/pdf_encrypte/lois_reglements/2024F/83510.pdf
À l’issue de cette période, les Projets de règlements feront l’objet d’une publication finale et entreront progressivement en vigueur. Il est à noter que le régime transitoire, applicable depuis le 1er mars 2022, cessera d’avoir effet seulement à compter de l’entrée en vigueur du cadre réglementaire révisé.
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[1] https://www.publicationsduquebec.gouv.qc.ca/fileadmin/gazette/pdf_encrypte/lois_reglements/2024F/83510.pdf (PDF)
[2] Ce projet de guide peut faire l’objet de commentaires au MELCCFP.
[3] RLRQ, c. Q-2, r. 35, abrogée depuis le Régime transitoire.
[4] RLRQ, c. Q-2.
[5] Art. 103 et ss. REARMMH
[6] Art. 165.2 REAFIE
[7] Art. 165.14 REAFIE
[8] Art. 165.6 REAFIE
[9] Page 38 et ss. du PDF, version administrative : https://www.environnement.gouv.qc.ca/ministere/consultation-modernisation/ProjetModRegl_REAFIE.pdf (PDF)
[10] Article 341.3 REAFIE