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Une clientèle difficile justifie-t-elle de ne pas engager une personne en raison de son identité de genre?

Fasken
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Espace RH

En 2016, le législateur québécois a modifié l’article 10 de la Charte des droits et libertés de la personne (la « Charte québécoise ») pour ajouter l’identité et l’expression de genre à la liste de motifs prohibés de discrimination. Jusqu’à présent, une seule décision portant sur ce motif avait été rendue par le Tribunal des droits de la personne (« TDPQ »), soit la décision Kin[1], dans un contexte de propos discriminatoires. En juin dernier, le TDPQ a rendu une décision confirmant que la discrimination fondée sur l’identité de genre lors du processus d’embauche est interdite.

Les faits

En l’espèce, la plaignante s’identifie comme une personne trans. Elle postule un emploi de serveuse dans un Bar de Montréal. Après que le gérant manifeste son intérêt pour sa candidature, la plaignante est invitée à se présenter au Bar pour une formation. La plaignante est laissée aux soins d’une autre employée, qui assure sa formation. Cette dernière atteste de la qualité de travail de la plaignante. Après sa formation, on l’avise qu’on la contactera pour lui donner ses heures de travail.

Plus tard en soirée, la plaignante rencontre formellement le gérant du Bar, qui lui demande si elle est trans, ce à quoi elle répond par l’affirmative. Le gérant du Bar signifie immédiatement à la plaignante qu’elle ne sera pas engagée, en expliquant que « la clientèle est vieux jeu, je ne veux pas avoir à prendre ta défense tous les jours ».

Peu après, la plaignante dépose une plainte à la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse.

La décision

Le TDPQ conclut que la plaignante a été victime de discrimination fondée sur son identité de genre, qui a pris la forme d’un refus d’embauche. L’Employeur a clairement énoncé que la plaignante n’était pas engagée en raison de sa transidentité.

À titre de justification toutefois, l’Employeur invoque que d’être une personne cisgenre constituait une exigence professionnelle justifiée au sens de l’article 20 de la Charte québécoise. Celui-ci prétend effectivement que les dangers anticipés à la sécurité de la plaignante ainsi que la réaction négative de sa clientèle face à l’embauche d’une femme trans le justifiaient de refuser d’embaucher la plaignante.

Le juge rejette massivement ces arguments :

  • Il ne suffit pas d’invoquer un simple risque de danger et de violence pour refuser d’embaucher une personne. Le risque doit être réel, grave et excessif, et une telle preuve n’a pas été faite en l’espèce;
  • La crainte d’un impact économique ou commercial sur les affaires de l’Employeur, qui prendrait par exemple la forme d’une diminution du volume d’affaires en raison du dédain ou du mépris des clients envers des employés trans, ne constitue en aucun cas un motif pour écarter les droits de la personne;
  • Un employeur ne peut justifier un traitement discriminatoire par les préférences et les préjugés de sa clientèle.

Ainsi, le TDPQ accueille la plainte, et condamne notamment l’Employeur à une somme de 10 000 $ à titre de dommages moraux, ainsi qu’à 4 000 $ de dommages punitifs.

Points à retenir

Cette décision s’inscrit visiblement dans un vaste courant législatif et jurisprudentiel des dernières années visant à réaffirmer la dignité et les droits des personnes trans, et de protéger l’identité de genre[1]. En outre, cette décision confirme que les droits de la personne représentent une préoccupation majeure dans le domaine de l’emploi et que les infractions comme celle-ci méritent d’être sanctionnées. Le juge y énonce d’ailleurs qu’il est « obligatoire et important de dénoncer un tel comportement » et que l’on « ne peut tolérer que ce genre de pratique perdure au Québec ».

Dans cette décision, le TDPQ a clairement indiqué que la transphobie n’est pas un motif de décision d’embauche.

Si vous avez besoin de conseils à ce sujet, nous vous invitons à consulter votre avocat(e) chez Fasken.

 



[1] Kin c. McNicoll, 2021 QCTDP 34.

[2] Par ex. : Centre de lutte contre l’oppression des genres c. Procureur général du Québec, 2021 QCCS 191; Kin c. McNicoll, 2021 QCTDP 34; Bilac c. Abbey, Currie et NC Tractor Services Inc., 2023 TCDP 43; Loi visant à renforcer la lutte contre la transphobie et à améliorer notamment la situation des mineurs transgenres, LQ 2016, c. 19; Loi visant à protéger les personnes contre les thérapies de conversion dispensées pour changer leur orientation sexuelle, leur identité de genre ou leur expression de genre, RLRQ, c. P-42.2.

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Auteure

  • Daphnée Legault, Avocate, Montréal, QC, +1 514 397 7680, dlegault@fasken.com

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