Une récente décision du tribunal apporte des précisions concernant l’application de la Loi sur le Programme de protection des salariés (« LPPS ») à l’égard des anciens employés d’entreprises en restructuration en vertu de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies (« LACC »). La question centrale consistait à savoir si la LPPS s’appliquait aux employés licenciés en raison d’une ordonnance de dévolution inversée (« ODI »).
Contexte
Le Groupe Juste Pour Rire (« Groupe JPR ») était un acteur majeur dans la production de festivals d’humour et de contenu médiatique au Québec. Le 5 mars 2024, six entités du Groupe JPR ont déposé un Avis d’intention en vertu de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité, dont les procédures ont par la suite été converties en procédures applicables en vertu de la LACC pour l’ensemble du groupe.
À la suite d’un processus de vente à découvert et de sollicitation d’investissements, une importante vente d’actifs a été réalisée en mai 2024 dans le cadre de laquelle trois entités ont vendu leurs actifs à un acheteur, ComediHa! 24 inc., et ont mis fin à leurs activités. L’une de ces entités, Gestion FormerCS S.E.C., a licencié tous ses employés avant que l’opération ne se réalise. De plus, douze autres entités (les « Entités visées par l’ODI ») ont transféré des actions et certaines obligations à une entité nouvellement enregistrée, ResidualCo (une société résiduelle), aux termes d’une ordonnance de dévolution inversée. Cinq des Entités visées par l’ODI ont licencié leurs employés, et les obligations restantes en matière d’emploi ont été transférées à ResidualCo.
Environ 100 employés ont été licenciés avant l’opération, dont 45 étaient à l’emploi de Gestion FormerCS S.E.C. et 55, à l’emploi des Entités visées par l’ODI. Bien que la totalité des salaires et des vacances accumulées ait été versée, les employés n’ont pas reçu d’indemnité de préavis.
Le Groupe JPR a demandé au tribunal de rendre une ordonnance approuvant la vente et de déclarer que leurs anciens employés étaient visés par la LPPS. Le Groupe JPR a ensuite fait part de ses préoccupations relativement au fait qu’Emploi et Développement social Canada (« EDSC »), qui administre la LPPS, puisse refuser de verser les salaires impayés aux anciens employés des Entités visées par l’ODI.
Afin d’assurer le traitement équitable de tous les anciens employés, le Groupe JPR a demandé au tribunal d’exercer le pouvoir discrétionnaire que lui confère l’article 11 de la LACC pour déclarer, aux fins de la LPPS, que l’ensemble des anciens employés du Groupe JPR étaient au service de Gestion FormerCS S.E.C. au moment de leur licenciement. Le Groupe JPR a également demandé au tribunal de déclarer que les employeurs des anciens employés du Groupe JPR étaient, au moment de leur licenciement, d’anciens employeurs répondant aux critères énoncés à l’article 3.2 du Règlement sur le Programme de protection des salariés (le « Règlement sur le PPS »).
Le procureur général du Canada, qui représente EDSC, s’est opposé à la demande, soutenant que la demande de réparation rétroactive était injustifiée, que le tribunal ne pouvait pas interférer avec l’autorité du ministère de déterminer l’admissibilité en vertu de la LPPS et que, puisque les Entités visées par l’ODI n’avaient pas cessé leurs activités, la LPPS ne s’appliquait pas à leurs anciens employés.
Décision
Le tribunal a soutenu que la LPPS était applicable aux anciens employés des Entités visées par l’ODI. Par conséquent, elle n’a pas jugé nécessaire de se prononcer sur la demande visant à déclarer rétroactivement que Gestion FormerCS S.E.C. était l’employeur des employés.
Le tribunal a ainsi confirmé que la LPPS était conçue pour offrir une indemnisation en temps opportun aux employés qui perdent leur emploi en raison d’une insolvabilité ou d’une restructuration. Il convient donc d’interpréter la loi au sens large pour qu’elle puisse remplir son objectif.
Le tribunal a estimé que l’article 3.2 du Règlement sur le PPS n’exige pas d’un employeur qu’il soit en voie de liquider ses affaires pour que ses anciens employés soient admissibles en vertu de la LPPS. La disposition est facultative et permet aux employés licenciés de demander un salaire rétroactif même si certaines personnes travaillent encore à la cessation des activités de l’employeur. Le tribunal a mis l’accent sur le fait que la manière dont les actifs et les obligations d’un employeur sont transférés ne devait pas nuire à l’objectif de protection de la LPPS. Le facteur essentiel consiste plutôt à savoir si les employés sont licenciés en raison d’une insolvabilité ou d’une restructuration :
Le tribunal a convenu avec le Groupe JPR que pour déterminer l’applicabilité de la LPPS, il fallait tenir compte du moment où tous les employés d’une entité insolvable étaient licenciés en raison d’un cas d’insolvabilité. Le tribunal a soutenu qu’il serait contraire à l’objectif de la LPPS de refuser d’indemniser un employé licencié parce que l’opération a été réalisée au moyen d’une ordonnance de dévolution inversée au lieu d’une ordonnance de dévolution ordinaire.
Conclusion
Cette décision renforce l’objectif de protection de la LPPS et veille à ce que les anciens employés touchés par un cas d’insolvabilité et de restructuration ne se voient pas refuser une indemnisation simplement parce les obligations de leur employeur ont été transférées à une autre entité à la suite d’une ordonnance de dévolution inversée. Il s’agit d’une décision importante pour les employés et les employeurs qui doivent composer avec la complexité de la restructuration d’une entreprise.