En mai 2024, la firme FTI Consulting a publié son premier rapport (en anglais seulement) portant sur l’arbitrage commercial au Canada intitulé « Canadian Arbitration Report 2024 » (le « Rapport »). Les résultats découlent d’une enquête menée sur une période de trois ans, de janvier 2020 à décembre 2022, faisant intervenir tous les acteurs du milieu, des arbitres aux professeurs, en passant par les experts et les conseillers juridiques.
Les conclusions du Rapport sont sans équivoque : l’arbitrage, qu’il soit domestique ou international, est un mode de résolution des conflits de plus en plus prévalent au Canada. Les co-auteurs, la professeure Janet Walker et l’Honorable Barry Leon, écrivent que l’avenir de l’arbitrage est prometteur au Canada :
« [By] working cooperatively and energetically, and together with Canadian businesses, governments, and institutions, the practice of arbitration will see significant growth in the coming years. »
Comme l’indiquent les auteurs, la montée de l’arbitrage commercial au Canada aura un impact positif sur l’économie canadienne, en rendant la résolution des différends plus efficaces et économiques, faisant du Canada une terre plus fertile pour les transactions et les investissements.
Diversité et représentation : qui sont nos arbitres?
Le Rapport se penche sur la représentation des professionnels qui occupent la fonction d’arbitre. Les statistiques suivantes sont les plus marquantes :
- 88% des arbitres sondés proviennent du milieu juridique (p. 2);
- 66% d’entre eux sont avocats et 12% d’anciens juges (p. 2);
- selon les arbitres sondés, 70% des arbitres avec lesquels ils ont siégé au sein d’un tribunal arbitral étaient des hommes (p. 10).
Considérant la présence de plus en plus marquée des femmes dans le milieu juridique, celles-ci semblent sous-représentées dans cette sphère du droit. À cet égard, en 2020-2021, le Barreau du Québec rapporte que les femmes représentent près de 55% de l’ensemble des avocats inscrits[1].
Enfin, dans la même veine, seuls 5% à 7% des arbitres avec lesquels les sondés ont siégé appartiennent à des communautés historiquement sous-représentées (p. 11).
Il y a donc encore beaucoup de chemin à faire vis-à-vis de la diversité dans le milieu de l’arbitrage.
Arbitrages domestique et international : quelles sont les grandes tendances?
Le Rapport fait la distinction entre les deux grands types d’arbitrage commercial : international (AI) et domestique (AD). Les statistiques suivantes sont les plus significatives :
- 9% des arbitres sondés ont une pratique axée sur l’arbitrage international et 38% d’entre eux se concentrent sur des cas d’arbitrage domestique (p. 5);
- la vaste majorité des arbitres sondés pratiquent dans les deux sphères (p. 5);
- en arbitrage international, les arbitres sondés rapportent avoir principalement siégé avec des arbitres nord-américains (48%) ou européens (37%) (p. 12);
- en arbitrage domestique, 81% des arbitres avec lesquels les répondants ont siégé étaient Canadiens, suivis par des co-arbitres du Royaume-Uni (11%) et des États-Unis (8%) (p. 12).
Il ressort du Rapport une plus grande activité en matière d’arbitrage domestique au Canada. En effet, en ce qui a trait à l’arbitrage international :
- 89% des arbitres et 85% des conseillers juridiques disent avoir siégé ou avoir été impliqués dans des dossiers d’arbitrage cinq fois ou moins dans les trois dernières années (p. 29 et 30);
- 52% des conseillers juridiques n’ont pas vu d’augmentation, ou ont vu une réduction du nombre d’arbitrages internationaux dans la même période (p. 31).
À l’opposé, en ce qui a trait à l’arbitrage domestique 46% des arbitres et 24% des conseillers juridiques disent avoir siégé ou avoir été impliqués dans des dossiers d’arbitrage plus de cinq fois lors de la même période (p. 29 et 30).
Le Rapport confirme également la tendance voulant que les dossiers d’arbitrage international portent généralement sur de plus gros montants que ceux en arbitrage domestique. En effet, près de la moitié des dossiers d’arbitrage international porte sur un montant en litige de 20 millions de dollars ou plus, tandis que cette valeur est de 5 millions de dollars ou moins dans 73% des dossiers d’arbitrage domestique (p. 33).
Enfin, le Rapport souligne la différence dans la durée des audiences entre ces deux types d’arbitrage :
- arbitrage international : 75% des arbitres rapportent que les audiences d’arbitrage durent entre 3 jours et 2 semaines;
- arbitrage domestique : 69% des arbitres rapportent que les audiences durent 6 jours ou moins (p. 45).
Le travail des conseillers juridiques en arbitrage
La plupart des conseillers juridiques et arbitres au Canada travaillent dans des cabinets répartis dans les plus grandes villes du Canada, soit Montréal, Toronto, Calgary, Vancouver et Ottawa (p. 7). La répartition des grands bureaux canadiens est plutôt uniforme à travers le pays : aucune des villes ci-haut mentionnées ne se démarque réellement des autres de par la présence de bureaux d’avocats. Contrairement à d’autres juridictions, les plus grands cabinets canadiens assurent généralement une présence nationale parmi les plus grands centres économiques du pays.
Le travail des conseillers juridiques en arbitrage s’articule comme suit selon les chiffres présentés :
- près de 70% des répondants indiquent que leurs cabinets comptent entre 21 et 100 avocats impliqués dans des dossiers d’arbitrage (p. 8), et que le nombre d’avocats dans le domaine a augmenté de 10-24% dans leur cabinet au terme des trois ans;
- la principale tâche est de conseiller les justiciables en matière d’arbitrage, incluant l’inclusion de clauses compromissoires dans des contrats, la détermination du type d’arbitrage (institutionnel ou ad hoc), les choix du ou des arbitres et la détermination d’une juridiction d’arbitrage.
À cet égard, plus des deux tiers des avocats ont choisi de soumettre de faire administrer leur arbitrage par une institution reconnue dans plus de 50% des cas (p. 27). Parmi les raisons mettant de côté l’arbitrage ad hoc, nous retrouvons le fait de ne pas voir l’avantage d’un arbitrage institutionnel (37%), le coût moins onéreux de l’arbitrage ad hoc (29%) et le fait que l’autre partie l’ait choisi (18%) (p. 28).
La clause compromissoire : pourquoi s’en défaire?
Selon le Rapport, les principales raisons pour lesquelles les avocats n’ont pas inclus de clauses compromissoires, en arbitrage domestique comme international, sont les suivantes :
- la volonté de conserver un moyen d’appel (20% en matière internationale et 17% en arbitrage domestique);
- le client n’étant pas favorable à l’arbitrage (17% en matière internationale et 19% en arbitrage domestique) et;
- les coûts de l’arbitrage (15% en AI, 11% en AD).
Encore aujourd’hui, on constate qu’il existe certaines réticences ou appréhensions vis-à-vis de l’institution arbitrale. Malgré tous les avantages qu’on lui attribue, la finalité de la sentence arbitrale et une méconnaissance du processus constituent encore certains freins au développement de la pratique au pays.
Les coûts de l’arbitrage directement reliés au nombre d’arbitres
Le choix du tribunal arbitral est un autre élément sur lequel les avocats canadiens conseillent leurs clients puisqu’il est directement relié à la question des coûts.
Selon le Rapport, les principales raisons qui soutiennent l’arbitre unique sont les coûts liés au fait d’avoir plusieurs arbitres (41%), l’importance du dossier (29%) et la rapidité de la résolution (24%) (p. 18). En effet, considérant que près de la moitié des arbitres interrogés offrent un taux horaire de 700$ à 999$ et que seulement 17% d’entre eux offrent un taux horaire en deçà de 499$, les coûts d’un arbitrage peuvent rapidement augmenter en fonction du nombre de professionnels impliqués (p. 19). Cependant, bien que la rémunération des arbitres puisse avoir un impact sur la composition du banc en termes du nombre de ceux-ci, environ 84% des conseillers interrogés répondent que ce facteur n’a jamais ou a parfois influencé leur choix quant à l’arbitre qu’ils suggéraient (p. 19).
Le choix de l’arène
En matière d’arbitrage international, les conseillers sont souvent appelés à suggérer l’établissement d’une juridiction d’arbitrage. Les statistiques suivantes sont les plus importantes :
- 84% des conseillers ont recommandé le choix du siège de l’arbitrage la plupart du temps (p. 23);
- Toronto, Vancouver, et Montréal sont les trois villes les plus recommandées à titre de siège canadien selon les avocats sondés (p. 24);
- 27% des avocats sondés n’ont jamais recommandé que le siège de l’arbitrage soit en dehors du Canada dans un contrat international, et 12% l’ont recommandé dans la majorité des cas;
- Les principales raisons pour choisir un siège d'arbitrage à l'étranger incluent la commodité étant donné la présence de multiples acteurs internationaux (37%), l’institution choisie et son lien avec le siège (23%), la préférence du client en termes d’audience et de voyage (17%) et le choix de la partie adverse (17%).
Les domaines de droit les plus fréquents
En arbitrage, qu’il soit domestique ou international, l’interprétation contractuelle demeure le principal sujet de litige. En arbitrage international, elle est suivie des litiges de construction et infrastructure, tandis qu’en arbitrage domestique, la deuxième plus grande source de litige est le droit des affaires, les litiges entre actionnaires et les coentreprises (joint-ventures) (p. 41).
En bref : un processus « satisfaisant » et économique
À titre de mode alternatif de règlement des différends, l’arbitrage connaît du succès puisqu’il bénéficie aux parties dans des temps où les tribunaux judiciaires ne répondent plus aux exigences des justiciables. En effet, 82% des avocats se sont dis satisfaits ou très satisfaits des arbitrages internationaux et domestiques dans lesquels ils ont été impliqués au cours de la période couverte par l'enquête. Une vaste majorité des avocats ont attribué leur satisfaction à l'efficacité du processus en termes de temps (36%) et de coût (19%), et à la justesse et l’équité de l'audition, quelle qu'en soit l'issue (28%) (p. 56). Forts de ces constatations, Fasken demeure engagée à promouvoir et à perfectionner la pratique de l'arbitrage commercial, un atout majeur pour une résolution efficace des différends.
[1] Barreau du Québec, « Barreau-Mètre : la profession en chiffres » (2022), consulté en juillet 2024
<https://www.barreau.qc.ca/media/jxqb0xgh/barreau-metre-2022.pdf>.