Dans la récente décision Delta 9 Cannabis Inc (Re), 2024 ABKB 657 (« Delta 9 »), la Cour du Banc du Roi de l’Alberta a refusé d’acquiescer à une demande de convocation d’une assemblée des créanciers en vertu de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies, L.R.C. (1985), ch. C-36 (la « LACC »). Bien que de telles ordonnances soient couramment accordées dans les procédures intentées sous le régime de la LACC, la Cour a estimé qu’il existait des circonstances uniques justifiant le rejet de la demande d’ordonnance. En particulier, le plan de transaction et d’arrangement proposé avait une incidence sur les droits d’un créancier garanti de premier rang, mais ne donnait pas à ce dernier la possibilité de voter sur le plan.
Contexte
Le groupe Delta 9, qui se compose des sociétés débitrices parties à une procédure intentée sous le régime de la LACC. 2759054 Ontario Inc., faisant affaire sous le nom de Fika Herbal Goods (« Fika »), est le promoteur du plan aux termes d’un sommaire des modalités de financement temporaire approuvé par le tribunal. Fika a déposé une demande visant à obtenir l’autorisation pour le groupe Delta 9 de tenir une assemblée des créanciers afin de permettre aux créanciers touchés de voter sur une résolution visant à approuver le plan proposé.
SNDL Inc. (« SNDL »), créancier garanti de premier rang du groupe Delta 9, s’est opposée à la demande, qui, selon elle, violait plusieurs dispositions de la LACC. Elle a notamment fait valoir que le plan aurait une incidence sur ses droits, mais qu’elle n’aurait pas le droit de voter sur le plan étant donné qu’elle serait considérée comme un créancier non touché. Le contrôleur et d’autres créanciers importants ont appuyé la demande par Fika de convocation d’une assemblée des créanciers.
La décision
Le juge Marion commence son analyse en faisant remarquer que les articles 4 et 5 de la LACC, qui, selon Fika, confèrent à la Cour le pouvoir d’ordonner la tenue d’une assemblée des créanciers, sont de nature facultative et n’imposent pas d’obligations à la Cour. La décision d’ordonner une assemblée était laissée à la discrétion de la Cour.
Le critère à satisfaire pour ordonner la tenue d’une assemblée des créanciers consiste à établir qu’il est dans l’intérêt du débiteur et de ses parties prenantes de le faire. Les exigences pour satisfaire à ce critère sont peu élevées, mais le juge Marion mentionne que même une norme peu exigeante peut entraîner un refus dans des circonstances appropriées. La Cour fournit une liste non exhaustive de circonstances dans lesquelles une demande d’ordonnance de convocation d’une assemblée des créanciers peut être rejetée, soit dans les cas suivants :
- lorsque le plan n’est pas dans l’intérêt du débiteur et de ses parties prenantes;
- lorsqu’il n’y a aucune chance raisonnable que le débiteur soit en mesure de poursuivre ses activités;
- lorsque le plan est irréaliste d’un point de vue économique;
- lorsqu’il n’y a aucune chance que le plan soit approuvé par les créanciers;
- lorsque le plan ne serait pas approuvé par les tribunaux;
- lorsque le plan est incompatible avec des ordonnances antérieures rendues en application de la LACC ou que la procédure ne s’est pas déroulée de manière équitable et transparente.
La Cour souligne que selon le sommaire des modalités de restructuration précédemment approuvé entre le groupe Delta 9 et Fika, Fika devait payer toutes les sommes dues à la SNDL lors de la mise en œuvre d’un plan. Le fond du plan proposé ne prévoit pas le paiement intégral à SNDL, ce qui constitue une modification importante du sommaire des modalités de restructuration. SNDL n’a été informée du traitement de sa créance aux termes du plan qu’au moment où Fika a déposé sa demande.
La Cour constate également que les droits de SNDL seraient touchés par le plan, mais que SNDL ne s’était pas vu accorder un droit de vote. En outre, le plan n’a pas été proposé de manière équitable et transparente et, dans sa forme actuelle, il ne répondrait pas aux critères d’homologation d’un plan. Ces deux facteurs militaient contre une ordonnance de convocation d’une assemblée des créanciers.
Compte tenu des circonstances particulières, la Cour a refusé d’exercer son pouvoir discrétionnaire d’ordonner la convocation d’une assemblée des créanciers. Étant donné que le traitement de la dette de SNDL aurait une incidence importante sur la procédure intentée sous le régime de la LACC, le juge Marion a déclaré que les parties devraient résoudre le différend avant que le plan ne soit proposé aux créanciers afin [traduction] « d’éviter un processus possiblement inutile ».
Le juge Marion a rejeté la demande d’ordonnance de convocation d’une assemblée des créanciers sous réserve du droit de Fika de présenter une nouvelle demande.
Implications et points à retenir
Comme le souligne le juge Marion, une demande d’ordonnance de convocation d’une assemblée des créanciers est généralement une étape procédurale non controversée, rarement rejetée par les tribunaux. Delta 9 rappelle aux parties qu’une demande de convocation d’une assemblée des créanciers peut être rejetée si les circonstances le justifient, en particulier lorsqu’un plan est contraire à la LACC ou aux principes fondamentaux d’équité et de transparence. Les motifs énoncés dans Delta 9 rappellent également que même les étapes routinières d’une procédure d’insolvabilité restent soumises à l’examen des tribunaux et relèvent de leur pouvoir discrétionnaire.
Les points de vue et les opinions exprimés dans le présent article sont ceux des auteurs et ne remplacent pas un avis juridique indépendant. Si vous souhaitez discuter des circonstances particulières d’une affaire, l’un des membres de l’équipe Insolvabilité et restructuration de Fasken se fera un plaisir de vous aider.