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Congédiement et accusations criminelles : l’importance d’évaluer avec précaution les véritables motifs de congédiement pour éviter la discrimination

Fasken
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Espace RH

Dans ce dossier devant le Tribunal administratif du travail du Québec, l'employé embauché en décembre 2018 travaillait comme chef d’équipe des ventes pour l’employeur, une entreprise œuvrant dans le domaine du recrutement. Employé exemplaire, son dossier disciplinaire était vierge. Toutefois, avant son embauche, l’employé avait fait l’objet de jugements civils le condamnant à verser un million de dollars pour fraude, faits qu’il n’a pas mentionnés à l’employeur.

Le 15 novembre 2022, l’employé a été arrêté pour des accusations de fraude en lien avec des transactions immobilières, sans lien avec son emploi actuel. Remis en liberté en attendant son procès, cette arrestation a été médiatisée, notamment dans un article de CTV News qui a mis l’employeur au courant des accusations criminelles. Suite à cette découverte, l’employeur a entrepris des recherches approfondies, découvrant alors les jugements civils antérieurs. L’employé a été suspendu avec solde le 21 décembre 2022, le temps de procéder à une enquête interne.

À l’issue de cette enquête, le 18 janvier 2023, l’employeur a décidé de congédier l’employé, invoquant que la découverte de ces jugements civils pour fraude était incompatible avec les valeurs et les attentes de l’entreprise vis-à-vis de ses employés. L’employeur précise que le congédiement était fondé sur les jugements civils antérieurs, et non sur les récentes accusations criminelles.

La décision

L’employé a contesté son congédiement devant le Tribunal administratif du travail (ci-après « TAT ») en vertu de l’article 124 de la Loi sur les normes du travail (ci-après la « LNT »).

Il prétend que les jugements civils ne sont qu’un prétexte et que le réel motif de congédiement repose sur son arrestation et les accusations criminelles qui ont suivi, lui conférant ainsi la protection prévue à l’article 18.2 de la Charte des droits et libertés de la personne (« Charte») étant donné l’absence de lien entre son poste et les accusations criminelles portées contre lui.

Le TAT a jugé que les accusations criminelles, et non les jugements civils, constituaient la véritable raison du congédiement, conférant ainsi à l’employé la protection de l’article 18.2 de la Charte. L’employeur devait alors prouver un lien objectif entre les accusations de fraude immobilière et les fonctions de chef d’équipe des ventes occupées par l’employé. Pour ce faire, l’employeur a invoqué que la nature frauduleuse des accusations minait la confiance requise pour ce poste, impliquant des interactions fréquentes avec des clients. Cependant, le TAT a jugé que ce lien n’était pas prouvé : les accusations criminelles concernaient des transactions immobilières, distinctes des fonctions de l’employé en recrutement. En effet, ses tâches se limitaient au développement et au soutien des clients dans le recrutement, sans manipulation de fonds ni gestion d’aspects financiers. De plus, son poste n’impliquait aucune exigence déontologique particulière ni risque de récidive dans ce contexte. Le TAT a conclu qu’il n’y avait pas de lien objectif entre les accusations et ses responsabilités.

L’employeur reprochait également à l’employé un manquement à son obligation de loyauté pour ne pas avoir divulgué les jugements civils antérieurs ni les accusations criminelles lors de son arrestation. Cependant, le TAT a jugé que l’employé n’était pas tenu de révéler ces informations, car elles relevaient de sa vie privée et n’avaient aucun lien avec ses fonctions.

En conséquence, le TAT a ordonné la réintégration de l’employé.

Ce qu’il faut retenir

Cette décision souligne des points importants pour les employeurs faisant affaire au Québec en matière de congédiement, particulièrement lorsque des accusations judiciaires sont en jeu :

  1. Lien direct avec l’emploi requis : Un employeur ne peut congédier un employé sur la seule base de ses antécédents judiciaires ou de ses accusations criminelles sans prouver que celles-ci impactent directement les responsabilités du poste. En l’absence de lien clair et objectif entre les faits reprochés et l’emploi occupé, l’article 18.2 de la Charte protège l’employé contre un tel congédiement discriminatoire.
  2. La non-divulgation d’antécédents judiciaires : La non-divulgation d’antécédents judiciaires ou de jugements civils, sans demande explicite de l’employeur, ne constitue pas en soi une faute justifiant un congédiement. Les informations relevant de la vie privée n’ont pas à être divulguées si elles n’impactent pas directement les fonctions exercées.

Il convient également de noter que les régimes juridiques au Québec, en Alberta et en Colombie-Britannique confèrent certaines protections en ce qui concerne les antécédents judiciaires et les accusations criminelles. D’autres provinces, dont l’Ontario, ne considèrent pas comme discriminatoire de congédier des employés contre qui pèsent des accusations criminelles ou des infractions non pardonnées.

 

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Auteure

  • Isabelle Bertrand, CRIA, Avocate, Montréal, QC, +1 514 657 2750, ibertrand@fasken.com

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