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Projet de loi 73 : Légiférer sur le partage sans consentement d'images intimes

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Bulletin Technologies, médias et télécommunications

Le bulletin suivant décrit la portée du nouveau projet de loi du Québec et aborde les défis auxquels les entreprises pourraient être confrontées en ce qui concerne sa mise en œuvre.

Le 4 décembre 2024, le projet de loi 73 du Québec intitulé « Loi visant à contrer le partage sans consentement d’images intimes et à améliorer la protection et le soutien en matière civile des personnes victimes de violence » est entré en vigueur.

Le projet de loi établit une procédure permettant aux individus de prévenir ou de faire cesser de manière urgente et rapide le partage non consensuel d'une image intime. Il vise principalement à sauvegarder les droits et la vie privée des Québécois, ainsi qu’à préserver leur dignité, leur honneur et leur réputation. Il est expressément reconnu dans le texte du projet que le partage d'images intimes peut causer un préjudice irréparable aux individus en raison du risque de diffusion de l'image par le biais de moyens technologiques. Le projet de loi permet donc aux individus visés d'obtenir des ordonnances judiciaires pour empêcher le partage de ces images par d’autres personnes.

Le champ d'application de la loi 73 : Qu'est-ce qu'une « image intime » et quelles sont les activités visées ?

Selon l'article 2 du projet de loi, une « image intime » est une image qui montre ou représente une personne nue ou partiellement nue, avec une partie intime de son corps exposée. Une image intime est également une image qui montre une personne se livrant à une activité sexuelle explicite, alors que cette personne aurait raisonnablement pu s'attendre à ce que sa vie privée soit respectée.

Une « image » comprend les photos, les enregistrements vidéo ou audio, et les images « créées » qui semblent représenter une personne. Il peut s'agir d'images fixes et de vidéos générées par l'intelligence artificielle, d'images animées, de dessins artistiques, de contrefaçons profondes (en anglais « deep fakes ») et d'autres images fausses ou fabriquées.

En ce qui concerne le partage de ces images, toute activité permettant la publication, la diffusion, la distribution, la transmission, la vente, la communication, la mise à disposition ou la publicité d'images intimes entre dans le champ d'application de la loi.

La loi précise que ces activités deviennent problématiques lorsqu'une personne révoque son consentement au partage des images et que le partage persiste. Elle précise également que le consentement peut être révoqué à tout moment, sauf s'il est donné en vertu d'un contrat commercial ou artistique contenant une disposition interdisant la révocation de son consentement.

L’application du projet de loi 73 : Comment demander une ordonnance et que peuvent ordonner les tribunaux ?

Une demande d'ordonnance en vertu de ce projet de loi peut être introduite par la personne qui est représentée dans l'image ou, avec le consentement de cette personne, par une autre personne ou un autre organisme. Le projet de loi prévoit également que le conjoint ou le parent d'une personne décédée peut introduire une demande en son nom. Les mineurs âgés de 14 à 17 ans peuvent déposer la demande eux-mêmes ou donner leur accord à une autre personne pour qu'elle le fasse en leur nom. Les demandes des mineurs de moins de 14 ans devront toujours être introduites par un adulte.

Toutes les audiences entamées en vertu du projet de loi se déroulent à huis clos.

Pour obtenir une ordonnance, une personne doit déclarer ce qui suit :

  • qu'elle est représentée dans l'image ou qu'elle a reçu le consentement de la personne représentée dans l'image pour déposer une demande en son nom ;
  • que l'image est partagée ou que quelqu'un menace de la partager sans le consentement de la personne représentée sur l'image ; et
  • qu'elle demande l'ordonnance prévue par la loi 73.

La Cour du Québec a le pouvoir d'ordonner à toute personne en possession ou sous le contrôle de l'image de s'abstenir de la distribuer.

  • de cesser toute distribution de l'image ;
  • de détruire l'image ;
  • de désindexer tout lien hypertexte permettant d'accéder à l'image ; et/ou
  • de fournir au tribunal toute information nécessaire ou utile pour mettre fin à la diffusion de l'image.

Il n'est pas nécessaire de notifier la demande au défendeur, et une ordonnance peut être rendue à l'encontre d'une personne même si le tribunal ne connaît pas son identité.

La personne concernée par l'ordonnance peut demander l'annulation de celle-ci dans les 30 jours suivant la notification, pour l'un des motifs suivants :

  • la personne représentée dans l'image n'avait pas d'attente raisonnable en matière de vie privée dans les circonstances de la création, de la prise, de l'enregistrement ou du partage de l'image (en particulier, parce que la personne a librement consenti ou que l'image a été prise dans le cadre d'un accord contractuel professionnel ou artistique) ; ou
  • l'image sert un objectif public légitime sans aller au-delà de ce qui est raisonnable.

La conformité : Ce qu’elle signifie pour les sociétés ou les « intermédiaires internet »

Le projet de loi 73 prévoit l’émission d’ordonnances à l'encontre de toute « personne », sans toutefois définir ce terme. Les intermédiaires internet sont assujettis à la loi et pourraient donc faire l'objet d'ordonnances d'exécution, notamment en vue de la désindexation et la suppression de contenu. En outre, compte tenu de la nature de l'ordonnance qui peut être émise en vertu de l'article 6 du projet de loi, il est possible que ces intermédiaires internet fassent l'objet d'une ordonnance de retrait ou de destruction d’images se trouvant sur leurs serveurs.

Les intermédiaires internet pourraient également commencer à recevoir des demandes de la part de juges québécois et de personnes à qui l'on ordonne de faire des efforts raisonnables pour rendre une image inaccessible, pour supprimer des images des moteurs de recherche ou pour détruire tous les points d'accès à l'image.

Il convient de noter qu'une société qui néglige ou refuse de se conformer à une ordonnance est passible d'une amende de 5 000 à 50 000 dollars par jour (en plus de l'outrage au tribunal et d'une éventuelle peine d'emprisonnement), et que le montant de l’amende est doublé en cas de récidive.

En outre, en vertu du projet de loi, les juges ont la possibilité d'émettre des ordonnances incidentes demandant à l'intermédiaire internet d'identifier les personnes qui partagent des images et/ou de veiller à ce que les images ne soient pas partagées ou qu'elles soient effectivement détruites.

Enfin, les entreprises et les intermédiaires internet doivent noter que les demandes d'ordonnances sont entendues et décidées en urgence. Cela peut introduire un certain degré d'imprévisibilité en ce qui concerne la vitesse et le volume des demandes d'exécution d'ordonnances judiciaires reçues par les intermédiaires. Il est primordial que les intermédiaires internet se tiennent au courant des ordonnances existantes, puisque les dirigeants, administrateurs et représentants qui ont consenti à l'inexécution d'une ordonnance judiciaire sont personnellement responsables.

Conclusion

Le projet de loi 73 aura des conséquences importantes pour les personnes dont les images intimes sont partagées et qui cherchent à faire respecter leur droit à la vie privée, ainsi que pour les tiers qui pourraient être impliqués par une ordonnance du tribunal ou des demandes d'assistance pour la suppression ou la destruction d'images. Dorénavant, les sociétés québécoises et les intermédiaires internet offrant des services au Québec devront faire preuve de prudence lorsqu'ils autoriseront leurs utilisateurs à partager des vidéos, des enregistrements ou des images en ligne.

Les outils d'intelligence artificielle pourraient poser les défis les plus importants. Les entreprises et les intermédiaires internet doivent rester vigilants afin de garantir que l’internet reste un espace créatif tout en permettant aux individus de se sentir en sécurité lorsqu'ils partagent des images.

 

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Auteurs

  • Gerald (Jay) Kerr-Wilson, Associé | Agent de marques de commerce | Propriété intellectuelle, Ottawa, ON, +1 613 696 6884, jkerrwilson@fasken.com
  • Jamie Schmidt, Stagiaire en droit, Ottawa, ON, +1 613 696 3152, jschmidt@fasken.com

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