Les États-Unis et le Canada entretiennent des relations commerciales étroites, chacun étant le principal partenaire commercial de l’autre. En 2023, les États-Unis et le Canada ont échangé près de 3,6 milliards de dollars en biens et services par jour. En effet, les deux pays partagent une chaîne d’approvisionnement hautement intégrée.
Au cours des derniers mois, le président des États-Unis a annoncé son intention d’imposer des droits de douane de 25 % sur les marchandises en provenance du Canada. Divers représentants canadiens ont, à leur tour, déclaré que des tarifs de représailles pourraient être imposés sur les marchandises en provenance des États-Unis si le président Trump mettait ses propos à exécution.
Si des droits de douane étaient appliqués à une partie ou à la totalité des marchandises par l’un ou l’autre des pays, cela pourrait avoir un impact majeur sur les relations commerciales entre les entreprises transfrontalières et perturber les chaînes d’approvisionnement existantes de manière importante. Les entreprises pourraient envisager de revoir leurs engagements contractuels transfrontaliers actuels[1] , y compris de résilier les contrats en vigueur, en raison de l’évolution de la conjoncture financière. Même si les affaires prospèrent, une entreprise peut tout de même faire face à un contractant transfrontalier cherchant à modifier la relation existante ou à s’en retirer complètement. Ce bulletin offre un aperçu de certains enjeux juridiques que les entreprises ayant des engagements contractuels transfrontaliers doivent prendre en compte si leurs activités sont touchées par les droits de douane ou pourraient l’être, à la lumière de la jurisprudence canadienne[2] .
Passer en revue vos contrats pour en connaître les modalités essentielles
L’outil le plus précieux pour toute entreprise qui souhaite évaluer une relation d’affaires existante est le contrat applicable. Les ententes commerciales contiennent généralement des dispositions qui établissent les principales modalités de paiement ou de fixation des prix et précisent les conditions dans lesquelles une partie peut résilier le contrat ou être légalement relevée de son exécution. Ces dernières comprennent des clauses de résiliation particulières ou des clauses de force majeure.
Modalités de paiement ou de fixation des prix
Même si l’impact direct est limité, les droits de douane peuvent tout de même influencer la tarification des fournisseurs ou le coût des marchandises tout au long de la chaîne d’approvisionnement et ainsi entraîner certaines perturbations.
Clauses de résiliation
Clauses de force majeure
Les ententes commerciales contiennent aussi souvent des clauses de force majeure. Ces clauses permettent de relever, de manière permanente ou temporaire, les parties concernées de l’exécution de leurs obligations contractuelles et des conséquences d’un manquement à celles-ci, lorsque l’exécution devient effectivement impossible en raison d’événements imprévus ou extraordinaires.
Une clause de force majeure courante est souvent rédigée comme suit : « La “force majeure” désigne toute circonstance imprévisible, échappant au contrôle d’une partie, ou tout événement inévitable, même s’il est prévisible, qui empêche cette partie d’exécuter, en tout ou en partie, ses obligations aux termes du présent Contrat. Ces circonstances comprennent les catastrophes naturelles, les actes de guerre, le terrorisme, les émeutes, les conditions de travail ou les mesures gouvernementales. »
Dans la jurisprudence canadienne, le seuil requis pour déclencher l’application d’une clause de force majeure est élevé. La partie qui cherche à invoquer une clause de force majeure pour être exonérée de ses obligations contractuelles doit démontrer que la clause s’applique aux circonstances données et qu’il n’existe aucun moyen raisonnable d’honorer ses obligations contractuelles.
Selon la jurisprudence canadienne, plusieurs tribunaux ont conclu que le simple fait qu’un contrat soit devenu plus coûteux à exécuter (même de manière considérable) ne constitue pas un motif valable pour exonérer une partie sur la base d’une force majeure. Toutefois, la majorité de ces décisions ont été rendues dans le contexte d’une hausse des coûts d’approvisionnement, plutôt qu’à la suite d’une intervention gouvernementale directe.
Autres enjeux en droit des contrats
Avis
Comme indiqué ci-dessus, de nombreux contrats contiennent des obligations de préavis dans les clauses de résiliation applicables. Toutefois, en l’absence d’une disposition expresse, les parties sont généralement tenues de fournir un préavis raisonnable avant de résilier un contrat[3] .
La détermination de ce qui constitue un préavis raisonnable un examen approfondi des circonstances propres à chaque situation, y compris, par exemple, la durée de la relation d’affaires entre les parties et les pratiques établies dans le secteur concerné.
Les tribunaux canadiens imposent rarement un délai de préavis inférieur à quelques mois; en général, ce délai se situe autour de douze mois.
Obligation de bonne foi
Les tribunaux canadiens ont établi plusieurs obligations de bonne foi applicables aux relations contractuelles.
L’une d’elles est l’obligation d’exécution honnête, laquelle impose aux parties d’agir avec honnêteté et de ne pas s’induire intentionnellement en erreur (y compris par omission) lors de l’exécution de leurs obligations contractuelles.
Il y a aussi l’obligation d’exercer les pouvoirs discrétionnaires de nature contractuelle de bonne foi, qui oblige les parties à exercer tout pouvoir discrétionnaire d’une manière liée à l’objet sous-jacent à l’octroi du pouvoir discrétionnaire (la détermination de l’« objet » est une question d’interprétation contractuelle).
Le troisième est l’obligation générale de coopérer pour atteindre les objectifs de toute entente contractuelle.
Malgré le développement de ces obligations dans la jurisprudence canadienne, les tribunaux canadiens reconnaissent néanmoins que les parties doivent être autorisées à faire passer leurs intérêts avant ceux de l’autre partie et ont donc précisé que ces obligations n’exigent pas des parties contractantes qu’elles « subordonnent » leurs intérêts à ceux de l’autre partie.
En fin de compte, les parties doivent tenir compte de ces obligations lorsqu’elles envisagent de résilier un contrat et la façon de le faire.
Que faire si une partie à un contrat transfrontalier manque à ses obligations?
Si, en raison d’un changement de la conjoncture financière, une partie n’exécute pas son contrat ou le rompt, il est normalement indiqué d’envisager des options juridiques pour remédier à son défaut.
De nombreuses ententes commerciales contiennent des dispositions relatives à la résolution des litiges qui définissent les étapes à suivre. Ces mesures peuvent inclure la résolution informelle des conflits, par exemple, en imposant des discussions entre les cadres supérieurs, ainsi que la résolution formelle des conflits, comme la médiation ou l’arbitrage.
En l’absence de dispositions applicables en matière de règlement des litiges, les parties doivent pondérer une kyrielle d’éléments avant d’entamer une procédure judiciaire. Voici quelques éléments à considérer :
- l’utilité de recourir d’abord à des modes alternatifs de résolution des conflits (y compris ceux mentionnés ci-dessus);
- la question de savoir si une éventuelle décision de justice (que ce soit pour une exécution particulière du contrat ou pour des dommages-intérêts) justifie les frais de procédure, qui peuvent souvent être considérables;
- la capacité de l’autre partie à payer les dommages-intérêts éventuels;
- le lieu d’introduction de l’action en justice (y compris la compétence du tribunal, la question de savoir si l’autorité compétente adopte une approche plus favorable à l’égard des réclamations prévues, le lieu où se trouvent les actifs de l’autre partie, etc.);
- la possibilité de demander une injonction dès le départ (par exemple, pour empêcher la résiliation du contrat ou son inexécution continue).
Conclusion
Pour les entreprises qui dépendent du commerce transfrontalier, il s’agit d’une période d’incertitude et de possibles bouleversements. Il incombe aux entreprises d’examiner leur situation juridique par rapport aux parties contractuelles susceptibles d’être affectées, afin de déterminer si elles disposent de motifs juridiques pour modifier leurs contrats en fonction de l’évolution de l’environnement financier ou pour se dégager d’un engagement contractuel désormais indésirable, ou si une partie peut invoquer les mêmes motifs.