Plusieurs avocats du groupe de Litiges et résolution de conflits du bureau de Québec vous invitent à revisiter des décisions marquantes de 2024 dans un ensemble de domaines de droit pour garder vos réflexes affutés face aux évolutions des tribunaux.
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Actions collectives
Par Valérie Deshaye et Camila Saïdi
Procureur général du Québec c. Centre d'amitié autochtone de Val-d'Or, 2024 QCCA 403
Cet arrêt rendu par la Cour d’appel en 2024 constitue l’autorité la plus récente sur la question de savoir comment concilier le droit à l’anonymat d’un membre d’une action collective, d’une part, et le privilège relatif au litige et le droit de la partie défenderesse à une défense pleine et entière, d’autre part.
En première instance, la Cour supérieure a assorti la divulgation de l’identité des membres de l’action collective à des modalités de confidentialité strictes applicables jusqu’au débat sur l’autorisation de l’action collective.
La Cour d’appel a infirmé ce jugement, estimant que la façon de procéder de la Cour supérieure constituait une ingérence inacceptable de la part du tribunal et de la partie demanderesse dans la conduite de la défense de la partie défenderesse. Elle a estimé que la partie demanderesse ne devait pas être informée en temps réel des démarches effectuées par la partie défenderesse pour vérifier les allégations de la demande d’autorisation d’intenter une action collective. Ainsi, les mesures imposées par la Cour supérieure ne respectaient pas le droit à une défense pleine et entière et le privilège relatif au litige dont bénéficie la partie défenderesse.
Cet arrêt réitère que la recherche de la vérité sous-tend tout procès civil, incluant la phase pré-autorisation de l’action collective, bien que celle-ci n’ait pas tous les attributs d’une véritable phase exploratoire.
Action Autonomie, Collectif pour la défense des droits en santé mentale de Montréal c. Institut national de psychiatrie légale Philippe-Pinel, 2024 QCCS 3515
Cette décision s’inscrit dans le contexte d’une action collective sollicitée par un patient de l’Institut national de psychiatrie légale Philippe-Pinel (l’« Institut Pinel ») en raison du fait qu’à partir du mois de mars 2020, tous les patients étaient mis en isolement complet 24 heures par jour pendant 14 jours, avec uniquement une sortie de 30 minutes aux deux jours, dès l’apparition d’un cas soupçonné de COVID-19 chez un patient ou un membre du personnel de l’Institut Pinel de leur unité. Cette action vise l’octroi de dommages moraux et punitifs à l’encontre de l’Institut Pinel en raison des traumatismes qu’auraient subis les patients en raison de leur isolement.
Quelques semaines suivant le dépôt de la demande d’autorisation d’exercer une action collective, le demandeur est décédé et Action Autonomie, Collectif pour la défense des droits en santé mentale de Montréal a été substitué au demandeur initial. Comme les avocats du demandeur estimaient que le dossier médical du demandeur initial était nécessaire afin d’avoir toutes les informations requises sur les paramètres factuels de la cause d’action proposée, les avocats du demandeur ont produit une demande de communication de documents pour obtenir son dossier médical complet.
La Cour supérieure a toutefois rejeté la demande de communication du dossier médical complet du demandeur initial et rappelé que la jurisprudence est unanime à l’effet qu’on ne peut pas contraindre la partie défenderesse à communiquer de la preuve au stade de l’autorisation. Bien que la Cour reconnaisse qu’il puisse en découler un déficit informationnel entre les parties, il y a lieu de garder à l’esprit que l’étape de l’autorisation est un mécanisme de filtrage lors duquel le demandeur a simplement le fardeau de démontrer une « cause défendable » ou « soutenable ». Dans la détermination de l’existence d’une cause défendable ou soutenable, les faits allégués sont tenus pour avérés. En effet, depuis l’arrêt Homsy c. Google, 2023 QCCA 1220, il établit que « si les faits allégués sont suffisamment clairs, précis et spécifiques, la partie en demande est dispensée de fournir une « certaine preuve » au soutien de ce qu’elle allègue ».
Secret professionnel
Par Alex McCutcheon et Marie-Ève Montminy
Plusieurs décisions et arrêts rendus en 2024 permettent de rappeler les grands principes du secret professionnel et ses trois (3) conditions d’application, soit l’existence (i) d’une communication entre un avocat et son client, (ii) qui comporte une consultation ou un avis juridique, et que (iii) les parties considèrent de nature confidentielle.
En ce qui a trait aux communications ou documents protégés par le secret professionnel, il est pertinent de se rappeler, au regard des développements récents en jurisprudence, que la mention « confidentiel » ou « privilégié » n’est pas nécessaire pour qu’une communication soit visée par le secret professionnel. Par ailleurs, l’intérêt de la justice à la découverte de la vérité ne permet pas de lever le secret professionnel de l’avocat, qui est un droit protégé notamment par la Charte des droits et libertés de la personne. De plus, le secret professionnel s’applique pour un client canadien qui communique avec un avocat dans un autre pays, car c’est un droit qui appartient au détenteur du secret professionnel, en l’occurrence le client qui se trouve au Canada.
Enfin, la jurisprudence récente est à l’effet qu’il peut y avoir des conséquences découlant du fait d’enfreindre le secret professionnel. En effet, la conduite d’une personne qui porte atteinte au secret professionnel peut donner ouverture à des dommages punitifs tant en vertu de l’article 49, alinéa 2 de la Charte des droits et libertés de la personne (atteinte intentionnelle et illicite) que des articles 51 et suivants du Code de procédure civile (abus de procédure).
Contrats commerciaux
Par François Dion
Groupe Inco inc. c. Groupe VSLG inc., 2024 QCCA 1436
En avril 2020, l’appelante a découvert que l’intimée, Groupe VSLG inc., cherchait à s’approvisionner en masques N95, rares sur le marché pendant la pandémie de COVID-19. Les deux parties ont signé un contrat d’approvisionnement le 23 avril 2020, désignant l’appelante comme fournisseur exclusif de VSLG pour deux types de masques N95, incluant une clause de confidentialité et de non-sollicitation. Par la suite, leur relation commerciale a évolué en un partenariat, formalisé par un contrat le 6 juin 2020, où l’appelante était responsable de la vente des produits médicaux de VSLG, et les profits étaient partagés entre les deux parties. Un litige a ensuite surgi, entraînant la fin du partenariat, et l’appelante a réclamé 5 millions de dollars en pénalité, alléguant une violation de la clause de non-sollicitation du contrat d’approvisionnement.
Le juge de première instance a refusé d’imposer la pénalité contractuelle de 5 millions de dollars. En appel, il a été jugé que la demande de l’appelante, fondée uniquement sur la clause pénale du contrat d’approvisionnement, n’était pas recevable, car ce contrat avait été remplacé par le contrat de partenariat. La relation entre les parties étant devenue un partenariat d’affaires, la clause de non-sollicitation du contrat d’approvisionnement ne s’appliquait plus. L’appel a donc été rejeté, confirmant que l’existence du contrat de partenariat, avec sa clause d’intégralité, rendait le contrat d’approvisionnement inapplicable.
Cet arrêt précise les modalités d’application d’une clause d’intégralité et réaffirme qu’elle ne constitue pas une simple formule de style.
Droit administratif et Procédure civile
Par Olfa Riahi
Auer c. Auer, 2024 CSC 36 & TransAlta Generation Partnership c. Alberta, 2024 CSC 37
La Cour suprême est venue préciser la norme de contrôle applicable au contrôle judiciaire des textes législatifs subordonnés mettant ainsi fin aux débats sur la pertinence continue de l’arrêt Katz Group Canada Inc. c. Ontario (Santé et soins de longue durée), 2013 CSC 64 (« Katz »), à la lumière de l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65 (« Vavilov»).
En effet, l’arrêt Katz avait établi les principes d’évaluation d’un texte législatif subordonné sans pour autant discuter de la norme de contrôle applicable. L’Arrêt Vavilov avait quant à lui modifié le droit relatif au contrôle judiciaire sans pour autant écarter entièrement la jurisprudence antérieure. L’arrêt Vavilov avait également instauré une « culture de justification » en établissant que les motifs du décideur – lorsque disponibles – devaient constituer le point de départ de l’application de la norme de la décision raisonnable. Or, souvent, les textes législatifs subordonnés ne sont pas accompagnés de motifs.
La Cour suprême a donc confirmé que la norme de la décision raisonnable telle qu’exposée dans l’arrêt Vavilov est présumée s’appliquer lors du contrôle de la validité d’un texte législatif subordonné, lequel contrôle continue d’être guidé par certains principes tirés de l’arrêt Katz. Toutefois, la Cour suprême a établi que le maintien du seuil de l’arrêt Katz serait incompatible avec le contrôle rigoureux selon la norme de la décision raisonnable et que, de ce fait, pour être déclaré ultra vires au motif d’incompatibilité avec l’objet de sa loi habilitante, il n’était plus nécessaire que le texte législatif subordonné soit « sans importance, non pertinent ou complètement étranger » à l’objet de la loi.
Pour plus de détails, lire notre Bulletin : Le changement de paradigme entraîné par l’arrêt Vavilov vaut également pour le contrôle judiciaire des textes législatifs subordonnés
Honeywell International inc. c. Bombardier inc., 2024 QCCA 19
Dans cette affaire, la Cour d’appel s’est penchée en profondeur sur la modification récente de l’article 211 C.p.c. (juin 2023) par l’ajout d’un second alinéa applicable aux instances en cours même si instituées avant le 30 juin 2023 et faisant que le droit d’appel d’un jugement rendu sur l’une des demandes résultant d’une scission d’instance ne puisse désormais être exercé qu’à compter de la date de l’avis du jugement qui met fin à l’instance ou de la date de ce jugement si celui-ci a été rendu à l’audience.
Tout en concédant que le législateur, au moment de modifier l’article 211 C.p.c., n’avait selon toute vraisemblance pas envisagé une situation comme celle dont était saisie le Tribunal, la Cour d’appel a affirmé que l’alinéa 2 de l’article 211 C.p.c. n’était pas une disposition qui affecte le droit d’appel puisqu’il ne fait que reporter le moment où cet appel peut être interjeté. Le droit d’appel de la défenderesse subsistait donc tout en devant être exercé selon d’autres modalités temporelles. La Cour d’appel a confirmé que cet alinéa écarte désormais l’application de l’article 31 al. 2 C.p.c. en présence d’une scission d’instance.
Appels d’offres et Contrats public
Par Karo Dupuis
Le domaine des appels d’offres et des contrats publics demeure un sujet d’actualité au Québec. Son cadre législatif évolue rapidement avec l’entrée en vigueur des dispositions du Projet de loi 12 en 2022 et 2023 et de celles du Projet de 62 en octobre 2024, et avec le dépôt du Projet de loi 79 par la ministre des Affaires municipales en novembre 2024.
De plus, l’Autorité des marchés publics (« AMP ») a vu ses pouvoirs renforcés dans les dernières années. Parmi ces pouvoirs figurent celui de suspendre des appels d’offres publics et celui d’émettre des recommandations ou ordonnances. En octobre 2024, l’AMP a émis l’Ordonnance 2024-03 à l’encontre du ministère des Transports et de la Mobilité durable en raison de violations aux principes de transparence et de traitement intègre et équitable des concurrents dans deux processus d’appel d’offres.
Quant aux tribunaux judiciaires, dans l’affaire Neptune Security Services Inc. c. Autorité des marchés publics, 2024 QCCS 1966 , la Cour supérieure a rejeté le pourvoi en contrôle judiciaire intenté à l’encontre de la décision de l’AMP de révoquer l’autorisation de contracter de l’entreprise. Dans son analyse, la Cour a conclu que l’AMP pouvait raisonnablement interpréter la Loi sur les contrats des organismes publics (« LCOP ») de manière à n’accorder aucune mesure correctrice à une entreprise lorsqu’elle juge que cela ne lui permettrait pas d’atteindre les normes d’intégrité requises, et ce, sans être obligée de permettre à cette entreprise de présenter ses observations à cet égard.
Contrats et réclamations de construction
Par Alexandre Belzile
Ville de Montréal c. Pavages D’Amour inc., 2024 QCCA 1464
L’arrêt étudié est l’occasion de rappeler les conditions de la résiliation-sanction, par opposition à la résiliation unilatérale permise par 2125 C.c.Q. en matière de contrats de services. En effet, la résiliation-sanction, contrairement à la résiliation unilatérale, permet aux parties de réclamer leurs dommages découlant des inexécutions de l’autre partie, alors que la résiliation unilatérale ne permet que le paiement des soldes dus au moment de la résiliation (2129 C.c.Q.).
Cette cause sur fond d’appel d’offres public est l’occasion de rappeler que la résiliation-sanction, découlant des articles 1604 et 1590 du Code civil du Québec, n’est pas d’ordre public, et qu’il est donc possible de prévoir un mode contractuel de résiliation distinct du Code civil. Quant à la résiliation-sanction, ses conditions sont 1) une inexécution, 2) injustifiée, 3) qui n’est pas de peu d’importance, ou qui est répétitive, et 4) alors que la partie adverse est en demeure.
Ici, même en l’absence de délais clairs dans les avis donnés par la Ville à Pavages d’Amour, la Cour conclut que ceux-ci constitueraient tout de même des mises en demeure valide en ce que le délai effectivement laissé à Pavages d’Amour était raisonnable. Qui plus est, la Cour énonce également que la justification de certains manquements ne suffit pas pour éviter la résiliation-sanction si les inexécutions injustifiées sont répétées ou suffisamment graves.
Nous espérons que cette revue de la jurisprudence vous sera utile, et n’hésitez pas à contacter nos avocats si vous désirez poursuivre la conversation plus loin.