Les premiers ministres des provinces passent à la vitesse supérieure
Lors de la réunion des premiers ministres qui s’est tenue cette semaine, le premier ministre de l’Ontario Doug Ford a fait des vagues avec sa casquette de baseball bleu marine – qui n’était pas sans rappeler la casquette MAGA – sur laquelle on pouvait lire « Canada is not for sale » (Le Canada n’est pas à vendre). Mais c’est la première ministre de l’Alberta Danielle Smith qui s’est vraiment démarquée parmi les dirigeants fédéraux, provinciaux et territoriaux qui étaient réunis. À l’issue de la réunion, elle a été la seule à ne pas signer la déclaration commune décrivant la réponse anticipée du Canada aux menaces de tarifs douaniers du président désigné Trump.
L’objet du désaccord (article en anglais)? Les taxes à l’exportation et les restrictions sur les exportations de pétrole et de gaz albertains : les autres premiers ministres sont réticents à l’idée de les exclure complètement des mesures de rétorsion que le Canada pourrait appliquer. Comme l’a dit le premier ministre Ford, les autres dirigeants de la fédération canadienne estiment que le Canada ne peut pas se permettre de laisser des options de côté, car après tout : « L’union fait la force. Nous devons rester unis. »
Dans ce bulletin, nous analyserons cette lutte épineuse entre les premiers ministres d’Équipe Canada ainsi que les autres événements politiques canadiens de cette semaine, alors que le jour de l’investiture, le 20 janvier, est à nos portes.
Alex Steinhouse, avocat-conseil au sein du groupe RG&DP, fait le point.
Plan visant à renforcer la sécurité à la frontière canadienne
Mardi, Dominic LeBlanc, ministre des Finances, a rencontré le premier ministre Ford pour lui donner un aperçu du plan pour la frontière avant la réunion des premiers ministres de mercredi.
M. Ford, qui préside le Conseil de la Fédération, a confié aux journalistes que ce qu’il avait vu était « phénoménal » et qu’il s’agissait d’un « plan solide, très solide ».
Lors d’une conférence de presse ultérieure, David McGuinty, ministre de la Sécurité publique et Marc Miller, ministre de l’Immigration, ont présenté le plan de sécurité frontalière de 1,3 milliard de dollars.
Le plan prévoit le déploiement de deux hélicoptères Black Hawk loués à partir de ce week-end et de 60 nouveaux drones de surveillance. Le gouvernement fédéral cherche à acquérir de nouvelles « tours de surveillance mobiles » et d’autres nouvelles technologies pour renforcer la sécurité à la frontière. Il met également sur pied 80 nouvelles équipes canines pour faciliter la recherche de drogues comme le fentanyl aux points de passage.
Le ministre Miller a aussi dévoilé un tableau de bord des efforts renouvelés du Canada en matière d’immigration : de juin à décembre 2024, il y a eu une diminution de 89 % des appréhensions vers le sud et un taux de refus de 63 % pour toutes les demandes de résidence temporaires en novembre 2024, par rapport à 38 % en novembre 2023. De plus, le gouvernement a reconnu (article en anglais) qu’il avait discrètement accepté d’inclure les résidents permanents qui traversent la frontière dans le partage de données personnelles qui a lieu entre le Canada et les États-Unis.
Les ministres ont également affirmé que le Canada se préparait au cas où la promesse du président désigné de procéder à des déportations massives d’immigrants illégaux aux États-Unis entraînerait une augmentation du nombre de demandeurs d’asile tentant de trouver refuge au Canada.
Sur une note plus personnelle, le ministre de la Sécurité publique a déclaré (en anglais) que sa prochaine action consisterait à inviter le « tsar des frontières » américain Tom Homan à venir pêcher au Canada : « Il paraît qu’il adore la pêche », a lancé le ministre McGuinty.
Réunion des premiers ministres des provinces et des territoires
En plus de discuter du plan de sécurité frontalière et de travailler ensemble pour empêcher l’imposition de tarifs américains, les premiers ministres ont discuté de la réponse du Canada à ces tarifs.
Douze des quatorze dirigeants étaient à Ottawa pour la réunion. En effet, le premier ministre de la Colombie-Britannique David Eby et la première ministre Smith y ont assisté virtuellement, cette dernière depuis le Panama, où elle était de passage après sa fin de semaine à Mar-a-Lago (publication en anglais) pour y rencontrer le président désigné Trump, Kevin O’Leary et Jordan Peterson.
Les images transmises aux médias de la réunion des premiers ministres montrent que, lorsque la première ministre de Alberta est apparue à l’écran, le premier ministre du Québec François Legault, tout en bavardant avec d’autres premiers ministres, s’est exclamé : « Est-elle à Mar-a-Lago? » Le premier ministre Legault a également fait parler de lui cette semaine en raison de la lettre qu’il a publiée sur le site de politique américaine The Hill, dans laquelle il met en garde les Américains contre les tarifs, qui pourraient faire mal à leur portefeuille.
La déclaration publiée après la réunion résume comme suit la stratégie proposée par Équipe Canada : « Alors qu’ils déploient tous les efforts possibles pour empêcher l’imposition de droits de douane par les États-Unis, les premiers ministres sont déterminés à poursuivre leur collaboration sur une gamme complète de mesures visant à assurer une réponse solide à d’éventuels droits de douane américains, y compris des mesures de soutien pour les secteurs, les entreprises et les particuliers. Advenant que le gouvernement fédéral mette en œuvre des mesures de rétorsion, il assurera la disponibilité rapide de ressources substantielles qui atténueront efficacement les répercussions économiques sur les travailleurs et les entreprises. Cela comprend, sans toutefois s’y limiter, de redistribuer le plus rapidement possible les revenus provenant d’éventuels tarifs de rétorsion. Ils ont convenu qu’il fallait adopter une approche collaborative dans le cadre de leurs entretiens avec les États-Unis, qui tient compte des besoins économiques uniques de chaque province et territoire. »
Même si les restrictions ou les tarifs sur les exportations d’énergie ne seront pas la première mesure de rétorsion qui sera déployée, les premiers ministres souhaitent néanmoins conserver « tous les outils disponibles dans leur boîte à outils » en vue d’une réponse véritablement nationale.
Le premier ministre Trudeau a déjà laissé entendre (article en anglais) que de bloquer les flux de pétrole et de gaz vers les États-Unis était une possibilité, ce qui constituerait un véritable levier de négociation pour le Canada puisque nous exportons environ quatre millions de barils vers les États-Unis chaque jour et que de nombreuses raffineries de pétrole américaines dépendent du pétrole brut lourd canadien.
En résumant les points de vue des autres premiers ministres, le premier ministre Ford a déclaré : « Je respecte le fait que [la première ministre Smith] soit soucieuse de protéger l’énergie de sa province, et c’est son choix... Mais j’ai une théorie différente. Il faut protéger sa province, mais le pays passe avant tout. »
De son côté, le premier ministre de la Saskatchewan Scott Moe, qui travaille habituellement de concert avec l’Alberta, surtout dans le domaine du pétrole et du gaz, a déclaré ceci à propos de l’approche adoptée par le gouvernement Trudeau : « Nous avons des désaccords politiques de temps en temps... Mais il y a des moments où nous devons faire front commun pour représenter ce qui est dans l’intérêt supérieur de tous les Canadiens. Et nous, en Saskatchewan, nous continuons à être canadiens. »
Selon la première ministre Smith, tout tarif ou restriction sur les exportations d’énergie est inacceptable pour l’Alberta. Une réponse prévoyant des tels tarifs ou restrictions risque donc de semer la zizanie au sein de la fédération. Mme Smith assistera à l’investiture présidentielle lundi et continuera probablement à faire valoir les intérêts albertains, plutôt que l’approche d’Équipe Canada décrite ci-dessus, auprès de tous les représentants de l’administration Trump 2.0 qu’elle y rencontrera.
Actions du gouvernement fédéral
Alors que la course à la chefferie du Parti libéral va bon train, le premier ministre Trudeau continue de mettre l’accent sur les relations entre le Canada et les États-Unis. Cette semaine, il a annoncé qu’il avait convoqué une retraite de deux jours du Conseil des ministres la semaine prochaine afin de continuer à élaborer le plan du Canada contre la grave menace économique posée par l’administration Trump 2.0.
Le premier ministre a également dévoilé la composition d’un nouveau Conseil sur les relations canado-américaines, composé de chefs de file dans les domaines des affaires, de l’innovation et des politiques et provenant de différents partis. Le conseil compte 18 membres, dont de grandes pointures : les anciens premiers ministres provinciaux Jean Charest, Stephen McNeil et Rachel Notley, ainsi que David Macnaughton, Flavio Volpe, Steve Verheul, le sénateur Hassan Yussuff et Arlene Dickinson. Leur première réunion a lieu aujourd’hui (le vendredi 17 janvier), à Toronto.
En outre, des sources gouvernementales laissent croire (article en anglais) que le gouvernement fédéral sera prêt à divulguer lundi les détails de sa première série de propositions de tarifs de rétorsion. Cette première série s’appliquerait à environ 37 milliards de dollars d’importations américaines, la mise en œuvre devant suivre immédiatement après. Une autre série de tarifs couvrant 110 milliards de dollars serait ensuite préparée, selon l’ampleur des tarifs américains.
De passage à Washington pour des réunions avec ses homologues américains, Jonathan Wilkinson, ministre de l’Énergie, a confirmé (article en anglais) avoir entendu dire que les tarifs pourraient être appliqués par étapes : « Il y a l’option du 25 %. Puis il y a la simple option d’un 10 % sur tout... Et puis on a parlé ces derniers jours du fait que les tarifs pourraient commencer par être moins élevés puis augmenter au fil du temps. »
M. Wilkinson a ajouté que les décrets de M. Trump sont élaborés par un petit groupe au sein de la future administration Trump, et qu’il est donc difficile d’avoir une bonne idée de ce à quoi pourrait ressembler un tarif.
Partis d’opposition
Jagmeet Singh, le chef du NPD, qui avait jusqu’ici souvent réclamé des élections immédiates, a écrit une lettre au premier ministre dans laquelle il s’éloigne de sa position habituelle en déplorant que la prorogation empêche les comités permanents de la Chambre des communes de contribuer à « forger une approche concertée ». Il demande aussi à ce que l’approche d’Équipe Canada soit élargie pour inclure les partis d’opposition de façon permanente.
De son côté, le chef du Parti conservateur Pierre Poilievre soutient qu’il présentera la riposte proposée par les conservateurs à tout nouveau tarif douanier américain dans les semaines à venir. Cette réponse comprendra des tarifs de rétorsion ciblés ainsi que l’abandon de l’augmentation proposée du taux d’inclusion des gains en capital. M. Poilievre refuse actuellement de dire s’il pense que le pétrole devrait être utilisé comme monnaie d’échange, ce pour quoi M. Trudeau l’accuse de ne pas avoir choisi de camp.
Qu’est-ce que le monde des affaires en pense?
Le Laboratoire de données sur les entreprises de la Chambre de commerce du Canada a lancé une nouvelle carte du commerce Canada–États-Unis, conçue pour aider les entreprises et les parties prenantes à se faire une idée précise de l’étendue et de la nature des relations commerciales entre le Canada et les États-Unis.
Manufacturiers et Exportateurs du Canada a recommandé (page en anglais) une série de mesures d’urgence immédiates pour soutenir les entreprises face aux tarifs douaniers, y compris un mécanisme fédéral de couverture des coûts à court terme financé par les recettes des tarifs de rétorsion et des taxes à l’exportation. Les recommandations comprennent aussi des nouveaux crédits d’impôt à l’investissement pour encourager les entreprises à aller de l’avant avec les investissements prévus, des reports de l’impôt sur les sociétés et des mesures d’assurance-emploi pour aider les entreprises à éviter les licenciements.
En outre, le Conseil commercial Canada–États-Unis, qui vient tout juste de voir le jour, compte organiser des réunions régulières entre des dirigeants sectoriels et des syndicats afin d’échanger des renseignements et des idées sur la meilleure façon d’aborder la guerre tarifaire attendue et la nouvelle phase d’examen de l’ALENA qui s’ensuivra. D’après son communiqué de presse (en anglais), le conseil commercial pourra compter sur le savoir-faire de conseillers (dont Steve Verheul, ancien négociateur commercial en chef du Canada), d’experts des enjeux transfrontaliers (dont Laura Dawson) et d’anciens politiciens (dont James Moore et Jean Charest).
Conclusion
La semaine prochaine s’annonce chargée : en plus de l’investiture lundi, la course à la chefferie du Parti libéral du Canada commencera officiellement afin de choisir le prochain premier ministre ou la prochaine première ministre du Canada qui devra faire face à M. Trump (même si le mandat pourrait être de courte durée).
Les principaux candidats sont Mark Carney, qui vient d’annoncer sa candidature jeudi à Edmonton, et Chrystia Freeland, qui lancera officiellement sa campagne dimanche. Les deux candidats prennent déjà leurs distances avec le gouvernement Trudeau, en laissant entendre (article en anglais) qu’ils ne soutiendront plus la « taxe carbone ». Parmi les autres candidats potentiels figurent Karina Gould (leader du gouvernement à la Chambre des communes et ministre), Jonathan Wilkinson (ministre), Chandra Arya (député d’Ottawa), Jaime Battiste (député de Nouvelle-Écosse) et Frank Baylis (ancien député).
Vous comprendrez donc que les nouvelles à suivre dans les jours à venir ne manquent pas pour ceux et celles qui s’intéressent aux relations entre le Canada et les États-Unis.
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