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Partis politiques et renseignements personnels des électeurs : protection nouvelle, mais partielle

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Bulletin #21 | Série spéciale - Projet de loi n° 64 et la réforme des lois québécoises sur la protection des renseignements personnels

Nous vous présentons aujourd'hui un portrait des changements proposés par le Projet de loi n° 64 (le « Projet de loi ») en ce qui a trait au traitement des renseignements personnels des électeurs québécois.

Dans l'Union européenne, tout comme en Nouvelle-Zélande et en Colombie-Britannique, les partis politiques sont des entités couvertes par la législation régissant la protection des renseignements personnels. Au Québec, malgré la proposition dans le Projet de loi d'ajouter un nouveau Titre III.1 intitulé « Protection des renseignements personnels des électeurs »[1] dans la Loi électorale[2], les partis politiques se voient imposer que peu de nouvelles obligations pour protéger les données sensibles qui leur sont confiées.

Contexte

Actuellement, en contraste aux règles en vigueur en Colombie-Britannique, les partis politiques n'ont pas d'encadrement légal au Québec quant au traitement des renseignements personnels qu'ils détiennent[3].

Les technologies permettant le microciblage des individus ont été rapidement adoptées par les partis politiques[4]. La menace à l'intégrité des élections dans les démocraties à travers le monde s'est concrétisée dans l'affaire Cambridge Analytica de 2015. Cette société recueillait des données de millions d'internautes dans plusieurs pays, incluant le Canada, sans consentement ou même la connaissance des personnes concernées, le tout afin de les analyser à des fins politiques et électorales. Les données résultantes furent vendues à divers acteurs politiques pour les aider à peaufiner leurs stratégies électorales[5].

Conséquemment, au Canada, les autorités chargées de la protection de la vie privée des différentes juridictions signalèrent l'urgence à réformer les lois en place afin d'assurer une protection adéquate des renseignements personnels des électeurs[6]. En Colombie-Britannique, une enquête extensive sur les pratiques des partis politiques résulta en des recommandations du Information & Privacy Commissioner[7], concluant notamment que la législation électorale britanno-colombienne s'applique également aux partis fédéraux qui sont présents dans la province[8]. Cette question demeure toutefois à être tranchée par les tribunaux au moment d'écrire ces lignes.

Projet de loi n° 64 : Certains nouveaux droits pour les électeurs québécois

Le Projet de loi propose d'étendre la protection des renseignements personnels en ce qui a trait à leur collecte, leur utilisation et leur communication par les partis politiques.  Ces nouveaux droits sont toutefois fort limités et ne correspondent pas aux obligations imposées aux entreprises ou aux organismes publics québécois. On crée plutôt un cadre particulier qui ne s'applique qu'aux entités autorisées[9] par le Directeur-Général des Élections, incluant les partis politiques :

PROTECTION DES RENSEIGNEMENTS PERSONNELS DES ÉLECTEURS

127.22. Sauf disposition inconciliable avec la présente loi, la Loi sur la protection des renseignements personnels dans le secteur privé (chapitre P-39.1) s'applique aux renseignements personnels d'électeurs détenus par une entité autorisée, à l'exception des articles 4, 5, 12 et 23.

[…]

127.24. Une personne ne peut faire supprimer un renseignement personnel qui la concerne et qui provient de la liste électorale.

Elle ne peut non plus faire supprimer les renseignements personnels la concernant qui sont nécessaires à l'entité autorisée afin de respecter son refus de recevoir toute communication de la part de cette entité.

Ces entités autorisées ne peuvent recueillir que les renseignements personnels qui leur sont nécessaires pour les fins électorales ou pour le financement politique. De plus, ces entités autorisées ne peuvent recueillir ou utiliser les renseignements personnels sans le consentement de la personne concernée[10]. Par contre, un électeur ne peut demander de faire supprimer un renseignement personnel qui provient de la liste électorale ou qui est nécessaire à l'entité autorisée pour faire respecter un refus de recevoir toute communication de sa part[11].

Cette initiative du Projet de loi est beaucoup trop limitée selon le Directeur général des élections du Québec (le « Directeur »)[12]. Les principales critiques du Directeur sont reliées au fait que les articles 4, 5, 12 et 23 de la Loi sur la protection des renseignements personnels dans le secteur privé ne s'appliqueraient toujours pas aux entités autorisées[13]. Voici quelques-unes des lacunes soulevées par le Directeur :

  • les partis politiques détiennent des renseignements personnels sensibles sur plusieurs catégories de personnes, incluant les candidats, réels et potentiels, les militants, les bénévoles, et leurs propres employés, et ces personnes peuvent ne pas figurer sur la liste électorale qui leur est fournie trois fois par année par Élections Québec;
  • ni les partis politiques municipaux ni les candidats indépendants non autorisés ne sont couverts par les obligations du Projet de loi, mais reçoivent néanmoins une copie de la liste électorale;
  • contrairement aux règles en place en Nouvelle-Zélande, au Royaume-Uni et en Colombie-Britannique, on propose de créer un régime d'exception au Québec pour les partis politiques[14]. En effet, les obligations de détermination de la finalité et de la collecte de renseignements personnels, la limitation de la collecte aux renseignements nécessaires, et la limite de l'utilisation se font remplacer par des principes de nécessité pour des fins électorales ou de financement politique. Or les partis politiques détiennent beaucoup d'information provenant de personnes autres que les électeurs;
  • il n'est pas clair  ce qui constitue un consentement valide ni si un consentement est requis de nouveau lors d' un usage pour une fin politique différente ultérieurement;
  • les partis politiques sont exempts de l'obligation de détruire les renseignements personnels, lorsque la finalité pour la collecte ou l'utilisation est accomplie;
  • conséquemment, la Commission d'accès à l'information du Québec ne peut jouer pleinement son rôle auprès des partis politiques.

Conclusion

Les recommandations du Directeur-Général prennent du relief lorsqu'on apprend qu' « ailleurs au Canada, la date de naissance et le sexe ne figurent pas sur les listes électorales transmises aux députées, aux personnes candidates et aux partis politiques. »[15].

Même si un candidat reçoit une copie des listes électorales après s'être engagé par écrit à préserver leur confidentialité[16] et malgré le fait que le montant des amendes serait multiplié par 10, il demeure que les partis politiques au Québec conservent une quantité impressionnante de renseignements sensibles avec relativement peu de restrictions. Malgré le principe bien établi en droit canadien voulant que la liberté d'expression protège le discours politique[17], il convient de se demander si le juste équilibre a réellement été atteint ici, bien qu'il s'agit certainement d'un pas dans la bonne direction.

 

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[1]      Projet de loi, article 81.

[2]      RLRQ c. E-3.3.

[3]      Colin J. Bennett, Département des sciences politiques de l'Université de Victoria (C.-B.), Les partis politiques fédéraux du Canada et la protection des renseignements personnels : une analyse comparative, Commissariat à la protection de la vie privée du Canada, mars 2012.

[4]      Susan Delacourt, Shopping for Votes: How Politicians Choose Us and We Choose Them, Douglas &McIntyre, 2013.

[5]      Colin J. Bennett, Département des sciences politiques de l'Université de Victoria (C.-B.), Les partis politiques fédéraux du Canada et la protection des renseignements personnels : une analyse comparative, Commissariat à la protection de la vie privée du Canada, mars 2012.

[6]      Mémoire du Directeur général des Élections sur le Projet de loi 64, 22 septembre 2020.

[7]      Office of the Informaiton & Privacy Commissioner for British Columbia, Investigation Report p19-03, pipeda-035913.

[8]      Courtenay-Alberini Riding Association of the New Democratic Party of Canada, Michael McEvoy, Information and Privacy Commissioner for British Columbia, Order P19-02, 28 août 2019.

[9]      Aux termes de l'article 41 de la Loi électorale, une entité autorisée signifie « tout parti politique, toute instance d'un parti, tout député indépendant ou tout candidat indépendant qui désire solliciter ou recueillir des contributions, effectuer des dépenses ou contracter des emprunts » et autorisé par le directeur general des élections suivant le Chapitre I de la Loi électorale.

[10]     Projet de loi, article 127.23.

[11]     Projet de loi, article 127.4.

[12]     Mémoire du Directeur général des Élections sur le Projet de loi 64, 22 septembre 2020 (« Mémoire »).

[13]     Projet de loi, article 127.22.

[14]     Information Commissioner's Office, Investigation into the use of data analytics in political campaigns, 6 November 2018.

[15]     Mémoire, p. 20.

[16]     Projet de loi, article 82.

[17]     Prud'homme c. Prud'homme, 2002 CSC 85, par. 41.

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