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La protection de la vie privée en public: les limites à la surveillance non désirée dans les lieux publics

Fasken
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Bulletin Protection des renseignements confidentiels, vie privée et cybersécurité

Résumé

Les gens ne renoncent pas à leurs attentes raisonnables quant à la protection de leur vie privée dans les lieux publics ou des espaces faisant l’objet d’une surveillance générale.

L’utilisation généralisée de technologies de surveillance dans des endroits ouverts au regard des autres ne signifie pas qu’il ne peut y avoir aucune attente raisonnable en matière de protection de la vie privée.

La Cour suprême du Canada vient de réitérer que les individus au Canada peuvent, à juste titre, s’attendre à la protection de leur vie privée, même dans des lieux publics où une technologie de surveillance peut être utilisée.

Le contexte

Les organisations du secteur privé, les employeurs et les institutions publiques utilisent depuis longtemps des technologies de surveillance aisément disponibles et de plus en plus précises. Leur utilisation prudente à des fins légitimes a été approuvée avec précaution par les tribunaux et les organismes de réglementation en matière de protection de la vie privée au Canada, pour veiller à ce que leurs caractéristiques portant atteinte à la vie privée soient réduites au minimum nécessaire dans diverses circonstances.

La surveillance peut être utilisée en toute légalité pour surveiller l’intégrité des bâtiments et des objets, par exemple. Elle contribue également à assurer la sécurité des personnes qui l’utilisent. Les règles applicables peuvent inclure un avertissement relatif à la surveillance, un accès aux images personnelles sur demande et l’effacement des images ou des enregistrements après un délai raisonnable. La surveillance est également souvent utilisée dans le cadre d’enquêtes.

Cependant, avec le temps, le recours généralisé à divers moyens de surveillance intégrés au quotidien, allant de caméras sophistiquées aux drones en passant par les webcams, a amené les gens à s’attendre à être surveillés plus étroitement ou même à être filmés lorsqu’ils se trouvent dans un lieu public.

Le coût relativement bas et la miniaturisation de la technologie de surveillance la rendent accessible à de nombreux consommateurs. Son omniprésence a mené certains observateurs à suggérer qu’une personne ordinaire n’a probablement pas beaucoup d’attentes en matière de protection de la vie privée lorsqu’elle est dans un lieu public. Cette école de pensée a annoncé la mort de la protection de la vie privée, ceci n’étant qu’un aspect de la vie contemporaine, et affirmé que l’on peut s’attendre à être soumis à une surveillance constante.

Attentes en matière de protection de la vie privée dans les lieux publics

La Cour suprême du Canada a déclaré que la vie privée n’était pas un concept du « tout ou rien » au Canada. Elle reconnaît que la protection de la vie privée comporte de nombreuses variations et gradations, en fonction de divers facteurs. Et surtout, le fait pour une personne de se trouver dans un lieu public ou semi-public n’entraîne pas automatiquement une renonciation à toute attente de protection de la vie privée en matière d’observation ou d’enregistrement.

Une affaire récente relative à la protection de la vie privée a porté sur l’interprétation du Code criminel en ce qui concerne une catégorie d’infraction d’ordre sexuel: le voyeurisme. L’accusation de voyeurisme formulée par la Couronne à l’encontre d’un enseignant dans l’affaire R. c. Jarvis a été l’occasion pour la Cour suprême du Canada de développer de manière assez détaillée les multiples éléments qui font partie de l’attente multidimensionnelle en matière de protection de la vie privée que peut avoir un individu dans de nombreux contextes différents. Les indications données en l’espèce sont utiles pour les organisations, les employeurs et les administrateurs qui ont recours à la surveillance à des fins légitimes de sécurité ou autres, et qui souhaitent néanmoins que les attentes en matière de protection de la vie privée des individus soient toujours respectées.

Les circonstances de l’atteinte à la vie privée

M. Jarvis était enseignant dans une école intermédiaire. Il a utilisé une caméra cachée dans un stylo pour prendre des photos subreptices de jeunes adolescentes. Prenant des images sous différents angles, il se focalisait presque exclusivement sur leurs seins. Les élèves se trouvaient dans des lieux semi-publics de l’école : les couloirs, la cafétéria ou à l’extérieur, mais sur le terrain de l’école.

L’école avait déployé un système de vidéosurveillance de ses aires communes. Des affiches indiquaient que des caméras de sécurité étaient utilisées 24 heures sur 24. Il n’y avait pas d’enregistrement sonore. L’école ne permettait pas aux enseignants de changer l’orientation des caméras ni d’accéder aux images pour leur usage personnel. Elle interdisait également aux enseignants de faire des vidéos personnelles d’élèves.

Préserver la protection de la vie privée dans divers contextes

L’un des éléments constitutifs de l’infraction de voyeurisme est qu’elle doit avoir lieu dans des circonstances pour lesquelles il existe une attente raisonnable de protection en matière de vie privée. Une personne peut-elle avoir une attente raisonnable de protection en matière de vie privée lorsqu’elle se trouve dans un lieu public ou semi-public? Oui, a déclaré la Cour suprême du Canada, affirmant que le Parlement avait adopté cette infraction spécifiquement pour protéger la vie privée et l’intégrité sexuelle à une époque où les nouvelles technologies sont en constante évolution.

Les attentes en matière de protection de la vie privée peuvent être définies par une longue liste de facteurs. La Cour a énuméré les éléments suivants et indiqué qu’il pourrait en exister d’autres:

  • l’endroit où se trouvait la personne,
  • la nature de la conduite reprochée telle qu’une observation ou un enregistrement,
  • la connaissance ou le consentement de la personne,
  • la manière dont l’observation ou l’enregistrement a été fait,
  • l’objet ou le contenu de l’observation ou de l’enregistrement,
  • l’existence de règles, règlements ou politiques applicables,
  • la relation entre la personne et l’auteur,
  • l’objectif de l’observation ou de l’enregistrement,
  • les attributs personnels de la personne observée ou filmée. Par exemple, s’agit-il d’enfants et de jeunes

Dans la présente affaire, les jeunes élèves se trouvaient à leur école, cependant ont fait l’objet, sans leur connaissance ou leur consentement, d’enregistrements subreptices de leur corps à des fins sexuelles par une personne en qui elles avaient confiance, un enseignant (à qui l’école avait interdit de faire des enregistrements personnels d’élèves). Il y a eu atteinte à leur attente raisonnable de protection en matière de vie privée.

Leçons à retenir pour les organisations

Les organisations, les employeurs et les administrateurs responsables de lieux où la surveillance de sécurité est utilisée et dont l’utilisation est indiquée doivent faire attention à la présence éventuelle de technologies d’observation et d’enregistrement invasives utilisées par des personnes présentes dans le lieu et au potentiel de responsabilité du fait d’autrui pour la conduite des employés. Pour les employeurs, cela signifie d’avoir une politique claire indiquant qu’il est interdit d’observer et d’enregistrer de façon subreptice des collègues, clients ou utilisateurs sans leur consentement.

La décision Jarvis a également une incidence importante sur la définition et l’élargissement éventuel de la responsabilité civile, délictuelle ou autre, en ce qui concerne les atteintes à la vie privée au Canada qui nécessitent de déterminer si le plaignant jouissait d’une attente raisonnable en matière de protection de la vie privée.

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